Le numérique est-il satanique ?
La question peut paraître provocatrice. Dans son dernier ouvrage, « Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé », Rod Dreher y réponde de manière radicale :
« Nous
sommes tombés dans un avatar technologique de l’antique hérésie gnostique.
»
Excessif ?
Son diagnostic est appuyé par son constat étayé des pratiques
occultistes chez nombre d’acteurs de l’IA; ce qui je vous l'avoue m'a impressionné.
Mais loin d’une
simple critique technophobe Dreher pose une vraie question en lien direct avec
le thème de son livre.
Un gnosticisme du XXIe siècle
La gnose
antique désignait une hérésie chrétienne des premiers siècles, fondée sur
la croyance que le monde matériel est mauvais, que le salut vient d’un savoir
caché (gnôsis) et que l’homme peut se libérer de la condition charnelle
pour rejoindre un ordre supérieur, pur, immatériel.
Rod Dreher
voit dans le numérique contemporain un nouvel avatar de cette gnose. Il
ne s’agit plus de fuir le monde matériel en se retirant dans une ascèse
spirituelle, mais de le remplacer par un monde virtuel, modulable à
volonté. Par les écrans, les identités liquides, les algorithmes
omniscients et l’illusion d’autodéfinition, l’homme moderne tente d’échapper
à sa condition, de créer son monde et en même temps d’accéder à un monde
mystérieux.
« Le
numérique est une technologie spirituelle. Nous avons l’illusion de pouvoir
choisir notre propre réalité, mais sans un cadre religieux cela ne peut
déboucher que sur l’impuissance. Nous construisons une forme de tour de Babel.
Nous sommes face à un nouveau veau d’or. »
Nous
construisons un monde sans mystère, mais saturé de simulacres. La vérité n’y
est plus révélée, elle y est construite. Tel est selon Dreher le fond de
l’hérésie moderne. Et il convoque les épisodes marquants de la Bible tels que
la Tour de Babel ou le Veau d’or.
La tour de Babel version 4.0
Or dans sa
toute première allocution devant la presse, le pape Léon XIV, américain
comme Rod Dreher..., n’a pas hésité lui aussi à convoquer cette image puissante de la
Tour de Babel, symbole biblique d’un humanisme prométhéen qui prétend se
passer de Dieu invitant son auditoire à « promouvoir
une communication capable de nous faire sortir de notre tour de Babel ».
La tentation du diable, qu'il n'est pas politiquement correct d'évoquer bien qu'il existe, apparait donc bien comme étant au cœur de la création qui se cache derrière et arrière-fond de l'IA.
En explicitant
aux cardinaux son choix du nom de Léon XIV, le souverain pontife s’est
explicitement placé dans la lignée de Léon XIII et de son encyclique
fondatrice Rerum novarum (1891), par laquelle l’Église s’est pour la
première fois engagée face aux effets sociaux dévastateurs de la première
révolution industrielle. Ce texte est le socle de la doctrine sociale de
l’Église, articulée autour de la dignité de la personne, la solidarité
et le bien commun. Léon XIV a affirmé qu’il souhaitait que
l’Église « réagisse à une nouvelle révolution industrielle et au développement
de l’intelligence artificielle ». « Aujourd’hui, l’Église offre à
tous son trésor d’enseignement social en réponse à une autre révolution
industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle. »
Ellul, Bernanos : la prophétie oubliée
Rod Dreher
convoque également Jacques Ellul, ce grand penseur français souvent
ignoré, qui écrivait dès les années 1950 dans Le système technicien :
« La
technique se développe selon un processus autonome et irréversible. L’homme
n’est plus maître de l’outil, il est devenu son auxiliaire. »
Pour Ellul,
toute technologie suit une logique d'efficacité autonome : tout ce qui est
techniquement possible sera fait. Sans discernement éthique ou spirituel, la
technique devient une idole.
On trouve le même
diagnostic chez Bernanos, dans La France contre les robots
(1947), qui voyait dans le progrès industriel une forme d’asservissement de
l’âme :
« Ce
monde moderne, ce n’est pas qu’on y croit à rien, c’est qu’on y croit à tout.
»
Le lien
entre SS le Pape Léon XIV, Dreher, Ellul et Bernanos est évident et éclairant.
Rod Dreher
ne se limite pas à cet enjeu technologique dont il se sert comme d’un prétexte
et d’un signe. Sa démonstration est celle d’une modernité liquide – affranchie
de tous obstacles matériels – en rupture avec le lien métaphysique entre
l’esprit et la matière. Il insiste sur le lien vital et essentiel entre les deux, leur
intrication et sur les dangers de la libération du premier par rapport à la
seconde.
Il conteste
les bienfaits de la prise de contrôle par l’homme sur la nature.
« Nous
avons une soif de tout contrôler. Or ce n’est qu’en rencontrant l’incontrôlable
que nous pouvons faire véritablement l’expérience du monde et du réel. »
Le signe en
est le désenchantement de l’homme moderne qu’il définit ainsi :
« Le
désenchantement est une évaporation du spirituel, du sentiment surnaturel, et
un remplacement par la croyance que le monde est tout ce qu’il y a. »
Et il se
réfère par exemple aux travaux de Matthew Crawford sur les gabarits culturels
seuls susceptibles de nous situer dans une approche saine et positive de notre
rapport au réel en développant les pratiques permettant de voir le vrai.
Revenir à l’attention, à la structure, à la prière
Dreher ne
plaide pas pour une régression technologique, mais pour un réarmement
spirituel. Il insiste sur la prière du cœur, l’apprentissage de
l’attention et la recherche de la profondeur spirituelle à l’inverse de celle
de la seule intensité émotionnelle qui est précisément déconnectée du réel.
« On ne
peut pas mettre seul de l’ordre dans le chaos de sa conscience. On a besoin de
la religion et de la structure. »
Face à un
monde qui brouille les frontières entre réel et virtuel, vérité et sensation,
sacré et simulacre, le christianisme doit redevenir mystique, incarné,
structurant. C’est cette voie que Dreher nous invite à emprunter en
évoquant au long d’un très beau chapitre la voie de la recherche du beau à
travers la personne de Béatrice dans la Divine Comédie de Dante.
Conclusion : résister au dieu-machine
Alors, le
numérique est-il « satanique » ?
Le mérite de
ce livre est d’oser remettre en scène la figure de Satan que le monde moderne a
justement voulu écarter en la « diabolisant » ....
La gnose
technologique d’aujourd’hui est une théorie et un climat : celui où l’homme
s’auto-crée en niant ses limites, en s’éloignant du réel perçu en vérité, du
mystère et de l’enchantement.
Et c’est
bien ce que la tradition chrétienne — de Rerum Novarum à La France
contre les robots, de la Tour de Babel aux écrits de Dreher — nous appelle
à discerner, pour résister.
Pour faire
écho à la critique de Rod Dreher contre l’intellectualisation excessive de
la foi en Occident, dans la lignée de la trahison de la pensée des
scolastiques, surgit la figure de saint Augustin:
« Tard je
t’ai aimée, beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t’ai aimée ! Et voici
que tu étais au-dedans de moi et moi, au-dehors de moi, je te cherchais ; et,
dans ma laideur, je me jetais sur les belles choses que tu as faites. Tu étais
avec moi, et je n’étais pas avec toi. »
(Confessions, Livre X, chapitre 27)
Toutefois le rejet de l'intellectualisation de la foi dérive hérétique de la scholastique du Mayen Age n'est pas celle de la scholastique thomiste.
La nécessité est à la fois de s’opposer à la fois à l’excessive intellectualisation de Dieu, à l’approche sensible
du divin et à la divinisation de l’homme et de la technique dans une conception unifiée des relations entre l'esprit et la matière.
Benoît XVI ne nous a-t-il pas enseigné si
justement que « l’éros chrétien est le désir corporel sanctifié par
l’esprit. » ?
Oui l’IA est dangereuse en ce qu’elle nous entraîne dans un processus de construction d’un réel imaginé débouchant sur d’inévitables désillusions.
Réflexions salutaires et bienvenues dont un monde où les #AveuglesSoumis et autres #ServoLavés se sont laissés décérébrer par les serviteurs de Satan. #LaBoétie1548 l'avait déjà parfaitement analysé et expliqué dans sa #ServitudeVolontaire... hélas, ça concerne plus de 80% des citoyens... d'où nos élections et notre système "accepté" par les "démocraSSes"...
RépondreSupprimerLe numérique donne à chacun l'illusion d'être tout puissant, sur les autres ,et sur la Nature .
RépondreSupprimerDe se croire l'égal de Dieu .
La chute sera mortelle !