dimanche 12 février 2017

FILLON "HORS SOL"...POURQUOI?

Pour quelle raison les accusations portées à l’encontre de François Fillon ont-elles aussi facilement « imprimé » dans la population, à l’inverse des accusations portées contre Marine Le Pen ? Il y a les manipulations médiatiques, les manœuvres politiciennes, les inacceptables violations du secret de l’enquête et la délétère  substitution du tribunal médiatique à l’institution judiciaire, sans doute…. Mais cela ne suffit pas ; il y a une autre raison, de fond.

Celle-ci réside dans la déconnexion de la classe politique avec la vie réelle, et plus particulièrement dans son mépris du travail de ceux qu’elle gouverne. Pénélope Fillon est accusée d’avoir été rémunérée sans aucune contrepartie par un candidat prônant la valeur du travail et la morale…. On me rétorquera que les faits sont contestés; certes. Mais les évidences sont contre François Fillon, à commencer par les propres propos de son épouse qui n’ont malheureusement pas été sortis de leur contexte… « Ce qui imprime » c’est que des rémunérations ont été versées, sur des fonds publics, sans la contrepartie d’un travail réel. Telle est la faute morale dont le candidat a tenté de s’excuser tout en essayant de s’en justifier…

Nous vivons une crise sociale qui est d’abord celle du travail. Le travail devient une denrée rare. Il est relégué au rang de variable d’ajustement dans une économie mondialisée et sans état d’âmes. La pression sociale, économique et politique est opposée au travail. De plus, le travail offert doit être accompli dans des conditions de moins en moins dignes et supportables. L’homme n’est pas respecté dans son travail. L’humanité et la dignité en sont progressivement écartées au profit des seules exigences de la rentabilité ; les services de ressources humaines sont sous la domination des financiers. Ce n’est pas se payer de mots que de dire que notre civilisation n’est plus une civilisation du travail. Or le travail est au cœur de la civilisation.

Simone Weil dont la courte vie fut une longue et profonde méditation sur le sens du travail avait réfléchi sur cette question dès les années 30. « La lecture de Simone Weil donne l’exemple d’une réflexion philosophique rigoureuse sur les conditions d’un travail non servile. D’un côté, elle semble réagir négativement aux tendances de la modernité que sont le « désenchantement du monde », la différenciation des sphères de valeurs, la perte de l’évidence du sens du monde. Ces tendances produisent le « déracinement ». D’un autre côté, les moyens d’un « enracinement » qui répondrait au désarroi de notre époque se trouvent dans l’élément le plus original de la modernité, le rôle prépondérant du travail. Il ne s’agit pas de rétablir une unité prémoderne, de remonter en deçà du « désenchantement du monde », car en démythifiant le rapport au monde naturel et social grâce au travail, la modernité donne la possibilité de renouer le pacte de l’esprit avec le monde d’une manière à la fois rationnelle et authentiquement spirituelle »[1]. "Et force est de constater que depuis la deuxième guerre mondiale l'évolution n’a pas été positive. 

Pour revenir très directement à notre sujet relisons ce qu’elle écrivait à propos des leaders marxistes et communistes :« Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux, Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus, n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers, la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade. »

Nous pourrions remplacer les noms de ces deux leaders communistes par ceux de la quasi-totalité de nos gouvernants, de nos élus et de notre haute administration. Ils sont tous déconnectés de la vie réelle et ignorent tout des affres des humiliations ressenties par les travailleurs, par tous les travailleurs ! Voilà pourquoi l’affaire Fillon est le révélateur d’une crise profonde, de la crise majeure de notre système social. Elle est le résultat d’un divorce, d’une immense incompréhension. Elle met au grand jour que ceux qui nous gouvernent sont «  hors sol » !

Notre civilisation ne parvient plus à donner du sens à la vie de nos concitoyens, dans bien des domaines, jusque dans celui-ci qui comme l’écrivait Simone Weil participe du ré-enchantement du monde et de la vie. « Lorsque l’homme travaille pour assurer la subsistance de sa famille, cela signifie que dans son travail il met toute la fatigue quotidienne de l’amour. »[2] Les inquiétudes de nos concitoyens plongent leurs racines dans leur angoisse au travail et pour le travail, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. 

Si nous cherchons quel sera le levier à partir duquel les bouleversements actuellement en cours se développeront pour finir par exploser c’est, indépendamment de la question identitaire, certainement autour de cette question du travail que se trouve la réponse. D’où l’affaire Fillon et son actuelle perte de crédibilité de celui qui avait incarné l’espoir précisément sur ce thème. Et ce n’est donc pas un hasard si Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon connaissent un tel succès, de même que Marine Le Pen…CQFD !!!




[1] Simone Weil Philosophe du travail par Robert Chenavier
[2] Saint Jean Paul II in « Loborem exercens ».

2 commentaires:


  1. Ces échanges et ces témoignages montrent au moins une chose : ce qu'est la vie réelle des habitants de ce pays et la distance qui existe entre eux et leurs représentants. Beaucoup de choses sont exprimées sans le recul qui va bien. Mais elles disent la vie des gens, leurs galères quotidiennes que les chiffres, les courbes et les tableaux ne rapportent pas. Un sociologue dispose ici d'unecarottage dans notre société qui en dit plus long que bien des études et discours.
    Nos chers candidats gagneraient à lire tout cela jusqu'au bout, ce que j'ai pris le temps de faire malgré l'aspect répétitif. Et surtout, ils s'honoreraient en y apportant des réponses concrètes. Est-ce si compliqué ?

    https://www.facebook.com/Jai-Le-Droit-De-Vivre-De-Mon-Travail-1239475996139838/

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour
    Je rajouterais un simple élément à votre propos: le dégoût d'habitants du village de Pénélope don les enfants doivent travailler pour payer leurs études.
    Fillon est réellement hors-sol... mais n'est pas le seul. Najat Vallot Belkacem plaisantant sur le salaire des enseignants s'est aliéné les salles des profs semble t-il sans s'en rendre compte...

    RépondreSupprimer

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.

Retrouvez mes anciens articles sur mon ancien blog