Nous vivons dans la frénésie des faits
divers. Le denier accident, le dernier crime, la dernière inondation, la
dernière catastrophe aérienne ou ferroviaire sont mis en scène, avec leurs
enquêteurs, leurs experts, leurs procureurs, leurs juges. Les nouveaux
inquisiteurs exigent une explication, un responsable ; vite…. Le mal et la
souffrance, l’injustice sont insupportables, inacceptables. Les cellules
psychologiques se substituent au prêtre. Le prêche de celui-ci n’étant entendu qu’à
titre compassionnel. L’appel à Dieu et le renoncement entre les bras de la
providence sont inaudibles ; quant au pardon il ne faut pas y penser.
Dieu, s’il existe…, est injuste d’avoir laissé se produire pareille catastrophe,
d’avoir toléré qu’un tel monstre puisse vivre ! Ensuite viennent les
manifestations, les comités de soutien, les marches blanches, les lettres
ouvertes. Et, the last but not the least !, la demande d’intervention au
pouvoir exécutif puis au pouvoir législatif. Le ministre se déplace ; On
crée une commission. Un projet de loi est annoncé. Car il ne faut pas que cela
se reproduise….
Nous voulons un monde parfait, sécurisé, sans
aucune place pour l’incertitude ou l’aléa, sans mal, sans injustice. Nous
n’acceptons pas l’idée de la fatalité, d’une logique autre qu’humaine, qui nous
dépasse. Nous exigeons des sanctions, sans laisser de place à l’empathie, même
si de manière paradoxale notre système est toujours à la recherche
d’explications sociales et sociologiques. Le pardon est suspect de faiblesse,
voire de concession avec le mal. Pardonner ? Pourquoi ? Il nous faut
des responsables, des réparations, des punitions. Toute cette logorrhée exclue
tant l’acceptation que le pardon.
Notre monde est dur ; il n’a jamais été
aussi dur…. Nous suivons les événements par procuration, en même temps que nous
nous replions sur nous-mêmes. Car nous vivons avec nous-mêmes, sur nous-mêmes
et de moins en moins avec les autres, nos proches, nos familles, nos collègues
de travail ou nos voisins. Les repas en famille sont la plupart du temps
envahis par le brouhaha de la télévision ou l’immixtion des tablettes et des
téléphones portables. Et nous en savons plus sur l’accident dont la presse
s’est fait l’écho que sur les souffrances de la voisine à laquelle nous ne
parlons pas…
Nous exigeons la perfection; pas de droit à
l’erreur ! Le moindre responsable voit sa vie être épiée dans tous ses
détails. Il doit rendre compte de tout. L’écart d’il y a 20 ans ne lui est pas
pardonné ; et peu importe que le temps de la prescription soit passé,
voire mieux la justice ; il faut qu’il s’explique et qu’il soit cloué au
pilori ! Nous ne voulons que des parfaits, irréprochables ; nous ne
voulons que des purs pour nous gouverner….
Toute cette agitation et son bruit emplissent
nos vies, occupent tous nos moments de repos ou de loisirs qui sont hantés par
les réseaux sociaux et les chaines d’information continue. Du bruit, que de
bruit ! Encore du bruit….Or il ne peut rien rester de ce vacarme, si ce
n’est l’insatisfaction et le sentiment d’injustice ou d’insécurité, entretenus
de manière méthodique. La culture de cette curiosité malsaine, de cette fausse
compassion, et de cette exigence de perfection individuelle ne peuvent générer
que de la rancœur, des esprits revendicatifs, et de l’insatisfaction. D’où le
désenchantement du monde….
Les espaces de réflexion sont toujours plus
réduits ou renvoyés à la marge de l’agitation médiatique. Les analyses
philosophiques, historiques, humanistes, religieuses n’ont pas la place qui
leur est nécessaire. Elles sont elles-mêmes réduites à des slogans, à des
petites phrases, bien senties mais stériles. Même les philosophes et les
religieux tombent dans le piège du slogan, ce dont Michel Onfray est une
illustration ; sans parler des politiques… Les discussions entre amis
évitent tout ce qui touche la philosophie, la religion ou la politique, si ce
n’est pour l’anecdote ou les impôts…
Quant à nos vacances elles sont envahies par
l’activisme, la frénésie de rattraper tout ce temps que nous pensons avoir perdu,
organisées de telle manière qu’elles aussi nous enferment dans un univers
« a-réflexif » ! Il n’y a
qu’à voir la majorité des touristes courant d’activité en activité, visitant des
monuments en passant leur temps à prendre des photos sans regarder ce qu’ils
photographient, de telle sorte que les voyages virtuels de demain leur
apporteront la même satisfaction sauf le transport….
Nous subissons. Nous nous conformons. Nous
perdons notre libre arbitre, faute de volonté, de disponibilité et
malheureusement de moyens, tant il est vrai que nous ne faisons plus l’effort
de nous astreindre à la réflexion, au silence et à la prise de distance…. Nous
perdons le sens de notre lien au monde. Nous ne vivons plus socialement. Nous
vivons sans sociabilité. Nous n’avons plus le sens de l’autre et de notre
relation à lui. Nous sommes immergés dans l’univers impersonnel répercuté par
les médias. Isolés dans la tour d’ivoire qu’ils ont construite autour de nous, nous
nous rassurons en pleurant virtuellement sur les malheurs de personnes qui nous
sont inconnues, incapables de vivre avec
nos proches et d’entretenir avec eux des relations vraies, humaines et
profondes. Nous avons perdu le sens du prochain, de la charité, de l’amour, de
l’abandon à la providence, de la gratuité, et du pardon.
Nous vivons dans l’abstraction d’un monde qui
n’est pas le nôtre, par procuration. Et nous ne vivons plus nos vies…. Après
cela il n’y a pas de quoi s’étonner de voir notre incapacité grandissante à
construire des existences solides dans la vérité de la relation à l’autre.
En ce temps de carême, qui est pour les
chrétiens celui de la conversion, ce constat nous amène à la conclusion de la
nécessité de vivre autrement, afin que la relation humaine et sociale redevienne
un chemin d’échanges, de transmission et d’amour en vérité. Le conformisme de
nos sociétés contemporaines a pour caractéristique de nous écarter de tout ce
qui est vrai et de nous conduire à choisir ce qui dissout plutôt que ce qui
construit. Il en est ainsi de ce battage médiatico-politique avec lequel on
nous matraque du matin au soir…
La solution est simple, exigeante et
libératrice. Sortir du système. Soulever la chape de plomb. Tourner le bouton.
Prendre un livre. Mobiliser quelques minutes pour ouvrir son cœur à l’altérité
et à Dieu ; et si on n’y croit pas au silence de la plénitude.
Et je vais vous faire une confidence, cela
porte des fruits. J’ai constaté qu’au voilant de ma voiture je m’énervais
beaucoup moins lorsque j’écoutais de la musique classique et que j’égrainais
mon chapelet que lorsque j’écoutais France Info !
Merci pour cette invitation à l'intériorité et à ralentir le flux de l'information... BOn carême à vous
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