HERETIQUES et ORTHODOXIE pour ne citer qu’eux sont des livres de Gilbert K. CHESTERTON à lire, relire et à méditer.
Pour cela il faut rentrer dans le monde imaginaire de leur auteur. Ce dernier soutient la nécessité de l’imagination face à un monde difficile à comprendre et dans lequel l’homme est fatalement à l’étroit : « Dès qu’on pénètre dans le monde des faits, on pénètre dans un monde de limites ».
Avec son génie du maniement du paradoxe Gilbert K.
CHESTERTON envoie son lecteur tutoyer les sommets de la philosophie :
« Il me semblait que l’existence était elle-même un
legs si excentrique que je ne pouvais me plaindre de ne pas comprendre les
limites de cette vision alors que je ne comprenais pas la vision qu’elles
limitaient. »
Gilbert K. CHESTERTON a une exceptionnelle capacité d’émerveillement
qui passe par l’acceptation et l’humilité sans laquelle il écrit qu’il « est
impossible de jouir de quoi que ce soit ». Or pour lui nous souffrons
d’une « humilité mal placée » : « Car la vieille
humilité faisait douter un homme de ses efforts, ce qui pouvait l’encourager à
travailler dur. Alors qu’en faisant douter l’homme de ses objectifs, la nouvelle
humilité finira par le faire renoncer complètement au travail ».
Son monde n’est pas celui des savants. C’est celui de l’enfance,
de l’imagination. Suivons le guide : « Tout accepter est un exercice,
tout comprendre est une rude épreuve ». Accepter c’est-à-dire s’émerveiller
avec humilité. Tout comprendre, vouloir tout comprendre, revient à s’enfermer
dans les lois du réel au point de s’y emprisonner et donc, oui, de sombrer dans
la folie. Il insiste, presque en boucle ; la volonté de tout expliquer
scientifiquement nous aveugle, alors que notre capacité d’imagination nous en délivre.
Et de poursuivre : « l’imagination n’engendre pas la folie. Ce qui
engendre la folie c’est précisément la raison ». Pour conclure avec
cette fameuse formule tant de fois entendue mais si souvent sortie de son
contexte : « Le fou n’est pas un homme qui a perdu la raison. Le fou
est un homme qui a tout perdu sauf sa raison ».
Il précise : « l’homme vraiment sain d’esprit
sait qu’il a en lui quelque chose de fou. Pour le matérialiste, toutefois, le
monde est parfaitement simple et stable, de même que le fou est sûr de sa santé
mentale. Le matérialiste est persuadé que l’histoire se résume uniquement à une
chaine de causalités. »
Le risque est grand pour l’homme quand la raison devient
objet de foi parce qu’elle affirme que nos pensées n’ont aucun lien avec la
réalité (on retrouve là les erreurs de la philosophie moderne).
D’où le recours à l’imagination, la libre imagination !
Car « l’imagination n’engendre pas la folie. Ce
qui engendre la folie c’est précisément la raison. Les poètes ne deviennent pas
fous mais les joueurs d’échecs le deviennent. » Mais qu’on se
comprenne bien, Gilbert K. CHESTERTON ne sombre pas dans je ne sais quel refus
de la logique ou de la science : « je n’ai pas l’intention d’attaquer
la logique ; je dis seulement que le danger provient de la logique et non
de l’imagination ».
Il nous invite à adhérer à la morale du pays des Elphes !
« ce à quoi je crois le plus aujourd’hui c’est les contes de fées » !
Leur monde n’est pour lui rien d’autre que « le pays ensoleillé du bon
sens » !
Certains souriront, se moqueront. Et pourtant... faisons
l’effort de le suivre encore.
Prise de distance. Prise de hauteur. Savoir s’abstraire
du réel sans le nier ni en nier les lois ; mais se soumettre à une autre
logique dans laquelle l’imagination peut plonger ses racines.
Il y a une fraicheur inouïe chez cet auteur atypique. Il
faut du temps pour rentrer dans son univers, dans son expression, dans ses
paradoxes qui ne sont pas un jeu mais le fruit de son observation grâce à un
regard décapant !
Il peut ainsi débusquer les complexités de la modernité
transformant la pensée en un labyrinthe ou un univers kafkaïen. Un exemple avec
son attaque du déterminisme. Tel le judoka, il déstabilise. « Le monde
moderne tel que je l’ai découvert était nettement favorable à la nécessité que
les choses soient telles qu’elles sont. Mais quand j’ai interrogé ces modernes,
je me suis rendu compte qu’ils n’avaient en réalité d’autre preuve de l’inévitable
répétition de toutes choses que le fait qu’elles se répétaient ». Le
philosophe des contes de fées est heureux que les choses soient et qu’elles se répètent.
Et notre écrivain du monde des Elphes en conclue qu’il est préférable pour l’homme
de se réjouir des répétitions ou de l’ordre naturel des choses que de toujours
chercher à décortiquer ces phénomènes pour tenter de les comprendre, car se
faisant il s’interdit de dépasser la réalité et de s’en émerveiller. Et ceci à
l’image de ces scientifiques ou apprentis scientifiques qui cherchant toujours à
comprendre, se focalisant sur les causalités dégagées par la science, ne sont
plus capables de se poser la question métaphysique fondamentale. Pourquoi ?
Quelle est la cause première, motrice ? Dès lors : « La
dimension de cet univers scientifique ne procurait rien de nouveau ni d’apaisant....
Nous étions soit incapables de faire les choses soit destinés à les faire » !
Sortir de la prison cul de sac en quelque sorte...
Après une digression sur la capacité de l’enfant, à l’inverse
de l’adulte, d’en redemander toujours – ce « encore une fois ! Refais-le ! »
tant de fois entendu par les parents et les grands-parents- il en arrive à
cette conclusion « il se peut que l’homme demeure sur la terre
génération après génération, mais que chaque naissance soit en réalité sa
dernière apparition ! » et à cette autre affirmation : « seules
les histoires de magie expriment mon sentiment que la vie est non seulement un
plaisir mais aussi une sorte de privilège excentrique ».
Gilbert K. CHESTERTON est un poète. Il croit au pouvoir
de la poésie. Les poètes ne sont-ils pas princes dans le monde de l’imaginaire ?
Ces poètes dont nous avons relevé que pour lui ils ne sombrent jamais dans la
folie ; sauf lorsque comme Rimbaud, devenus fous ils ne le sont plus et n’écrivent
plus...
Le monde de cet écrivain est décidément un vrai bain de jouvence !
Plaidoirie pour le retour de « l’honnête homme » et des « humanités » éclairées (pas trop) par l’esprit scientifique…
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