dimanche 16 avril 2023

LES LIMITES DE L'ETAT DE DROIT

L’état de droit peut-il sauver notre démocratie en crise ? Sa légitimité est-elle suffisante pour repousser les assauts d'une partie de la population?


Je vous propose deux illustrations récentes qui semblent n'avoir rien en commun.

Les deux questions n'ont rien de semblable. Ce ne sont pas les mêmes juridictions qui ont statué. Les matières sont de nature étrangère. Néanmoins dans les deux cas c’est bien de droit qu’il s’agit. Droit constitutionnel ou droit administratif de la laïcité. À chaque fois ce sont des juges, en théorie indépendants, qui sont venus imposer une solution juridique à la Nation ou à l'un de ses démembrements.

Au-delà des différences c’est bien la même question des limites de la légitimité du droit qui est posée.

Les partis de gauche et les syndicats récusent toute légitimité à la décision du conseil constitutionnel. Les habitants des Sables d’Olonne, et plus généralement ceux de nos concitoyens qui restent attachés à l’identité chrétienne de la France, contestent au fond d'eux-meêmes la décision des juges du conseil d’État.

Dans l’un et l’autre cas le droit contraint le peuple.

Arrêtons-nous à la réforme des retraites qui nous préoccupe tous à titre principal.

Face à la gronde sociale qui ne cesse d’enflammer nos rues soir après soir, et alors que la décision de vendredi 14 avril semble ne devoir calmer personne jusqu’à Laurent Berger qui après avoir dit qu’il respecterait l’état de droit en appelle à nouveau à la protestation, le Président de la République a pris le parti du passage en force. Que dira-t-il de nouveau demain soir? Sa première ministre annonce une accélération... Leur pari est-il risqué ?

Pour le général De Gaulle la légitimité ne pouvait être que celle du peuple. De fait on ne peut gouverner très longtemps un peuple par la contrainte. Il y a toujours une limite. Or cela fait quelques décennies que la France traverse une inexorable et progressive déconnexion entre le peuple et l’État. Le soir de sa ré-élection Emmanuel Macron semblait l'avoir compris. Mais il considére à présent que l’agitation sociale anti retraite à 64 ans ne reflète pas la volonté populaire. Une simple agitation ... Face à cette crise sa propre légitimité démocratique obtenue sur le fil et de manière ambiguë est-elle suffisante ?  L'application de l'état de droit est-elle légitime et posible durablement ? Le président doit-il reprendre le pouls du pays ? A défaut risquons-nous une poursuite de la dégradation du climat social et une crise démocratique ?

J’avoue être partagé entre le parti de l’ordre et de la légalité ou celui du peuple que nos gouvernants n’aiment plus comme Michel Onfray le souligne à juste titre. Les deux ont leurs limites. Et nous sempblons entrainés dans un engrenage délétaire.

Si dans le cas de la statue de Saint-Michel aux Sables d’Olonne il semble à court terme que « la messe soit dite » tant il est manifeste que la force sociale ancrée dans les racines chrétiennes de la nation a perdu beaucoup de sa vitalité, il n’en est pas de même à propos de la réforme des retraites et plus généralement des troubles qui bousculent l’équilibre entre les forces vives de notre société.

La contestation va perdurer; jusqu'au 1er Mai? Au-delà? Je fais personnellement le pari que comme la crise des gilets jaunes elle s'éteindra; mais comme un feu qui couve. Le rapport risque/profit n'est pas encore inversé. Ce n’est pas pour rien que l’Etat continue d'ouvrir les robinets de sa providence socialisante.

Le problème de fond est que le droit au nom duquel le système tente de se sauver n’incarne plus la justice, alors que le droit ne puise sa légitimité que dans la justice qu’il a pour objet de faire régner. Selon Platon et Aristote, la justice résulte d'un droit qui sert d'instrument de perfectionnement de l'homme et de la cité, de bien-être, de bien-vivre, de bonheur maximal, de vertu totale, de triomphe pour le juste, du convenable, du possible.

La vraie question n’est-elle pas celle de savoir si notre société est encore juste ?  La justice au nom de laquelle l’Etat prétend gouverner a été vidée de son contenu. Elle est creuse. Les français n’ont pas d’idéal de substitution....  Tout va mal, certes. Mais que faire ? Qui croire ? Qui suivre ? ... Rien; tant que l’Etat providence fonctionne et distribue, même de manière imparfaite!

Pour revenir à la question de la laïcité comme l’a très bien dit Pierre Manent on ne peut pas gouverner sur une séparation. De manière symétrique la justice sociale ne repose sur rien de solide. Pourquoi ? Faute de projet humain. La justice a été vidée de son sens parce que l’humanisme n’est plus qu’une fiction juridique. La fiction de l’état de droit ne produit pas de justice ; elle ne génère que des insatisfaits et des mécontents comme nous en avons l'illustration depuis trois mois.

Rappelons-nous l’image prise par Alexandre Soljenitsyne dans son discours d’Harvard auquel je me réfère si souvent. L’Occident ne tient plus debout que par des « béquilles juridiques ».

Les Français ne savent plus qui ils sont. Ils ne sont plus heureux. Ils sont maintenus en vie artificielle.

Ceci nous renvoie au débat déjà évoqué il n’y a pas si longtemps sur le sacré. Quel rapport y a-t-il entre le sacré et la justice sociale ? Patrick Buisson a eu un mot très justeTransformant une formule de René Lourau (l’instituant contre l’institué) Patrick Buisson souligne le trait : « on a contesté l’institué au nom de l’instituant ». L’institué c’est le système, l’establishment. L’instituant c’est ce qui s’oppose à l’institué, c’est la contestation, la révolte. L’ordre social a été renversé. Fondamental !

Michel Onfray, Robert Redeker, Alain de Benoist et Sonia Mabrouk l’ont senti eux aussi à leur manière. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy souligne que si notre système social et sociétal menace de s’effondrer c’est à cause de la perte sens du sacré. Non pas le sacré religieux, mais un sacré civique qu’analyse aussi Sonia Mabrouk qui évoque un secret profane ; ce sacré est constitué par un écheveau de rites dans lesquels l’humain puise pour fonder son existence, sa recherche du bonheur, son goût du travail, son désir de fonder des familles, sans souci de transmettre, d’apprendre, de découvrir, de construire ; tout ce qui fait la structure du commun. Le commun sans lequel l’humain n’est rien alors que nous vivons collectivement en nous référant à des valeurs qui ont précisément consisté à détruire le commun au nom de l’individuel.  

Que conclure ?

Le droit peut-il permettre à l’Etat de s’imposer durablement au peuple ? Non; surtout en démocratie!!!

Un jour viendra où cet édifice déstabilisé ne tiendra plus. Comme d’habitude ce sera lorsque les estomacs crieront famine et que les mères et les pères de famille hurleront leur désespoir en tapant sur des casseroles vides que le glas sonnera pour le système actuel. Au fait la NUPES appelle les français à tapper sur des casseroles pendant la prochaine allocution du Président!... Notre ordre social s’effondrera face au poids devenu insupportable des réalités par ce qu’il ne tiendra plus face à la dureté du moment présent, ou la difficulté économique, ou l’insécurité, ou la guerre, ou encore l’incertitude existentielle.

Pour le moment nos gouvernants survivent et résistent en se cantonnant dans l’horizontalité, ils se concentrent sur la gestion administrative et juridique des fonctions sociales, économiques et politiques de l'Etat. Ils pensent que leur légitimité formelle et l’application du droit seront suffisantes. Mais ils n’ont plus les moyens de redonner du sens. Tout tourne à vide, le droit comme la politique. Jusqu’à quand ? L’édifice social est fragile, très fragile... Emmanuel Macron joue avec le feu que certains lui reprochent d'avoir allumé. Et ce n'est pas en nous annonçant le "grand débat sur l'authanasie" qu'il va éteindre les braises sur lesquelles il marche tel un pyrobate! Il va falloir trouver autre chose et donner du souffle à Elizabeth Borne qui en manque singulièrement!

Tout ceci sur fond de crise de civilisation, de crise politique, de crise de régime. Il n'est certainement pas aisé de diriger la nation la plus vieille, la plus politique et la plus religieuse après un demi-siècle de déconstruction méticuleuse aussi insouciante qu'inconsciente. Comment être à la hauteur de l'histoire? Notre temps est celui de l'exigence et du sacrifice, pas celui du calcul. Le droit n'est d'aucune utilité quand il s'agit de survivre... Il nous reste la patrie, seule richesse des pauvres comme le disait Jaurès...

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.