Ces élections législatives laisseront de nombreuses et profondes traces indélébiles dans l'histoire politique de la Ve République et peut-être de l’époque moderne. L'impossible normalisation du Rassemblement National en est une.
Beaucoup se perdent en conjecture depuis hier soir. J’espère
échapper à la règle en vous faisant part d'un élément d'analyse que je ne crois
pas avoir lu ou entendu malgré beaucoup de temps perdu sur les médias.
En dehors des risques de blocage institutionnel et
politique aux effets désastreux auxquels je souscrits ainsi que je l’écrivais à
chaud hier soir, comment expliquer la redoutable efficacité de la coalition
républicaine contre le Rassemblement National ? Faut-il réellement s’en
étonner ?
Indépendamment des critiques à faire sur les manquements du
parti RN particulièrement dans l'entre-deux tours et de ses erreurs de casting
dans le choix de certains candidats, indépendamment du rôle fondamental joué
par la gauche morale qui continue de distribuer les permis de bonne conduite républicaine
et démocratique, il me semble qu'il y a une autre raison sur laquelle il
convient de réfléchir.
La normalisation du RN n’est-elle pas un leurre ?
Marine Le Pen a entrepris la dédiabolisation du parti
dont elle hérita de son père. En dehors du fait qu'elle a abandonné le
maniement provocateur du verbe de son sulfureux prédécesseur, ce qui ne fut pas
un exploit dès lors qu’elle était prête à « tuer le père », son
travail a essentiellement consisté à abandonner petit à petit les éléments programmatiques
qui forgeaient l'identité de ce parti et à tergiverser sur les fondamentaux
économiques et sociaux de ce programme afin de courtiser alternativement
différents électorats.
Dans l’inconscient populaire le Rassemblement National est
néanmoins resté un parti de rupture avec le système. C’est sa marque de
naissance depuis les fonds baptismaux du poujadisme. Et il le demeure malgré
ses renoncements y compris vis à vis de l’Union Européenne.
Ainsi, en dehors de toute considération programmatique le
Rassemblement national apparaît-il encore aux yeux des électeurs comme le parti
de la rupture avec les partis du cercle républicain qui s’organisent et se
structurent sous la houlette des détenteurs du fameux privilège rouge dénoncé
avec tant d'acharnement et de justesse par Gilles-William GOLDNADEL; la force de
ce privilège rouge tenant au fait que la gauche exerçant le magistère suprême ses
acteurs, même les plus révolutionnaires, ne sont jamais considérés comme « antisystème ».
Mon idée est que si les Français continuent d'être
sensibles aux diktats imposés par les tenants du cercle républicain, au risque
de voter pour des partis dont ils savent qu'ils conduiront une politique qui
est contraire à ce qu'ils attendent, c'est non pas tant par peur du fascisme ou
du racisme que parce qu'ils craignent de prendre le risque de renoncer à un
système auquel ils demeurent attachés. Celui-ci tire sa force attractive d'une part du
pouvoir idéologique exercé grâce au très officieux mais très puissant ministère
orwellien, d'autre part du système de protection sociale et d’assistance
généralisée- le clou ayant été enfoncé par Jacques CHIRAC avec la
constitutionnalisation du principe de précaution qui se décline sur tous les
plans et à toutes les sauces- et enfin du confort sociétal hédoniste. Et ce
même si le RN s’est attaché à se dédiaboliser sur ces trois plans.
Or, malgré la crise, tout ne va pas encore suffisamment
mal pour y renoncer en vertu du bon vieux principe proverbial un tiens vaut
mieux que deux tu l'auras. « Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux
tu l'auras ; L'un est sûr, l'autre ne l'est pas. » (Jean de La Fontaine,
Fables, Le Petit Poisson et le Pêcheur).
Je prendrai deux exemples récents. Tout d'abord le
mouvement des gilets jaunes qui fut anesthésié par la logorrhée présidentielle.
Ensuite la récente crise du monde agricole qui a également été éteinte grâce à
quelques promesses qui n'ont pas toutes été tenues. Le peuple de France râle, se
plaint, proteste, conteste mais il ne cherche pas fondamentalement à remettre
en cause le cadre rassurant dans lequel il vit. C'est toute la force du système
et de l'état profond.
Le RN incarne la possible remise en cause de ces avancées
sociales et économiques ancrées dans les esprits comme étant des conquêtes du système
contre les forces de résistance au « progrès ». Pourquoi ? Parce
que le RN est l’ennemi originaire du système. Il joue le rôle de
bouc-émissaire. Il est le paratonnerre face à l’orage qui le menace pour d’évidentes
raisons économiques, financières, sécuritaires, morales et identitaires dont
nous espérons inconsciemment qu’elles ne sont pas si imminentes que cela. Henri GUAINO
démontre très bien dans son dernier livre déjà cité " A la septième fois, les murailles tombèrent" que les peuples refusent
inconsciemment d'admettre la possibilité des crises qui menacent le monde dans
lequel ils vivent. Il cite cette image très éclairante tirée d’une correspondance de la période prérévolutionnaire :
« Loin du Mont Blanc on le voit, au pied on ne le voit plus ».
Il n'est dès lors pas étonnant que la main tremble au
dernier moment lorsqu'il s'agit de mettre le bulletin décisif dans l'urne. Pourquoi prendre ce risque ?
Reste que ce réflexe est encore majoritaire, mais qu’il
l'est de moins en moins.
Le risque social réside dans la radicalisation du conflit
qui va petit à petit se catalyser autour de cette opposition entre les
défenseurs du système et ses opposants. Opposition d'autant plus dangereuse et
susceptible de receler des germes d'explosion que les adhésions sont
intuitives, inconscientes, psychologiques, provoquées, manipulées et que, comme
on l'a vu dans les interviews des électeurs du Rassemblement National ils
vivent de plus en plus mal l'exclusion du pouvoir da parti pour lequel ils
votent comme on s’accroche à une bouée de sauvetage.
À terme le risque est encore aggravé par le fait que la
normalisation du Rassemblement National aura pour conséquence qu’eu égard aux
renoncements programmatiques qui sont progressivement intervenus, le dernier en
date étant celui qui concerne la binationalité après par exemple l'abandon de la dénonciation de la CEDH, une fois que ce parti sera
arrivé au pouvoir, si cela se produit un jour, les désillusions seront inévitables.
Oui, je persiste à considérer que la situation ne pourra pas aller en s’améliorant même si ce diagnostic ne doit pas nourrir un quelconque pessimisme, car comme le souligna Georges BERNANOS « Le pessimiste et l'optimiste s'accordent à ne pas voir les choses telles qu'elles sont. L'optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste, un imbécile malheureux ».
Ainsi que me le rappelle régulièrement un très cher ami Après la révolution de 1789 il y
a eu la Consulat… Il
Votre conclusion suscite une question : quelle est la longueur du tunnel ? !
RépondreSupprimermerci pour votre billet.
AB
A te lire et à observer notre nouvelle assemblée Nationale, je pense à l'opium du peuple de Kant et Marx.
RépondreSupprimerAprés 100 ans, la religions catholique est sortie du schéma.
Est-ce un sevrage ? En lisant cet article, on voit qu'une "drogue" a été remplacée par une autre.
les Marxistes d'hier ont enfin retrouvé leur place grace à de nouvelles drogues de substitution. ils sont aux portes du pouvoir.
ils ont remplacé la morale religieuse par une autre que tu évoque souvent dans tes articles (relativisme, wokisme, égalitarisme etc...). La religion était l'esprit d'une époque sans esprit disait Marx.
On doit comprendre aujourd'hui qu'il parlait non seulement du probléme mais aussi de sa solution !
C'est finalement aujourd'hui que nous sommes dans un monde sans esprit et c'est aujourd'hui qu'ils reviennent.
30 % de la population considère le RN comme la piqure d'adrénaline. (le RN est-il le moyen de redonner de l'esprit au peuple ou plutôt aux individus? franchement, vu le niveau de l'équipe c'est pas fait...)
A te lire, il serait tout juste une dose de subutex.
Le tunnel sera t-il long? Aprés le Consulat, la Restauration...