lundi 23 septembre 2024

AFFAIRE PELICOT: ET SI ON ESSAYAIT D'ANALYSER CE QUI SE PASSE AU PROCES D'AVIGNON?

L'affaire PELICOT fait la « une » de tous les médias. Elle est sur toutes les langues ; dans tous les esprits. Les questions sont nombreuses. Les malaises aussi. Des mises au point s’imposent. Essayons d'analyser ce qui se passe au procès d'Avignon.


L’horreur absolue.

Le drame de ce dossier est banal et original dans la perversité. Il additionne l’atrocité au mensonge et à la trahison. Inutile d’insister, tout a été dit. On touche le fond. Cela étant la répression nécessite de faire rentrer cette atrocité dans le cadre stricte du droit pénal.


Le droit méconnu.

Tout le monde semble oublier que le viol n’est punissable que si les éléments constitutifs de ce crime sont réunis. C'est le législateur qui les définit. Le texte est l’article 222-23 du Code Pénal : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Cette énumération est d'interprétation stricte ; on ne peut rien y ajouter. Le viol nécessite donc soit la violence, soit la contrainte, soit la menace soit encore la surprise, mais pas le défaut de consentement. Or c’est précisément le défaut de consentement qui est au cœur de cette affaire. Un acte de pénétration sexuelle n'est pas un viol du seul fait qu'il n'a pas été consenti par l'un des deux partenaires. Je sais que cette distinction purement juridique est quasiment inaudible par un non-juriste. Et pourtant, tel est le droit. Faut-il réécrire le code pénal ? Peut-être. Ce serait possible mais sans effet rétroactif (c'est-à-dire sans pouvoir s'appliquer à des faits commis antérieurement à la publication du nouveau texte). Dans l’affaire Pelicot il y a donc incontestablement la place pour une défense « en droit » des accusés même si cela choque l’opinion. D’où le malaise avec les avocats de la défense.


La défense impossible

Les avocats de la défense tentent d’effectuer leur travail, parfois de façon ajustée, parfois de manière malhabile, pour certains d’une façon perçue comme provocatrice et indécente. Ils sont stigmatisés s’ils ne sont pas dans la seule compassion pour la victime. La défense n'aurait que le droit de battre la coulpe des accusés ; elle serait illégitime dans sa tentative de faire surgir une vérité dans la qualification juridique des faits dont a été victime Gisèle Pelicot. Cette vérité ne devrait pas être défavorable à la victime. L’atrocité de ce dont elle a été la victime interdit-elle de faire toute la lumière sur sa personnalité, son attitude, sa vie de couple ou encore ses pratiques sexuelles ? D'où viendrait son immunité ? Être victime ne sanctifie pas celui ou celle qui est frappé et ne lui donne pas tous les droits. La justice est contradictoire. La recherche de la vérité nécessite de tout entendre. La volonté de la victime de faire toute la lumière ne doit pas s’arrêter à ce dont elle a injustement souffert. Les médias ne l’entendent pas de cette oreille. 


La médiatisation instrumentalisée.

Le choix de la victime y est pour beaucoup. On loue à juste titre sa dignité et son courage. Je suis gêné par le fait qu'elle ait voulu que ce procès ne se déroule pas à huis clos. Le huis clos peut être ordonné pour des raisons d'intérêt public ou pour protéger les intérêts privés d'une partie au procès. Dans ce genre d’affaires criminelles il est quasiment de règle. Le choix de Gisèle Pelicot tient à son désir et sa volonté d'inscrire ce procès dans un combat sociétal ; elle est d’ailleurs soutenue par les mouvements féministes et par MeToo. Ce choix est politique. Ce faisant elle lui a donné une dimension, pédagogique ?, que ne nécessitait pas la défense de ses intérêts sur un plan strictement procédural et de justice. De ce fait le procès se déroule à la fois dans le prétoire et sur la place publique.


La dénaturation du procès et du rôle de la Justice

On introduit l’opinion publique dans la salle d’audience.  Or celle-ci n’y a jamais été la bienvenue : « L'opinion publique, chassez-la, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ». [Me Vincent de Moro-Giafferi]. La raison de remettre en cause cette sage tradition, nécessaire à la sérénité des débats, trouve un écho dans un slogan : Que la honte change de camp ! Mais cela va plus loin. Il s'agit pour beaucoup de dénoncer le patriarcat et la domination de l'homme sur la femme dans la sexualité. Le combat féministe qui applaudit et fait la haie d’honneur à Gisèle Pelicot tend à mettre en cause les rapports sociaux sur un thème qui se décline de manière évolutive: on ne naît pas femme on le devient; et encore : on ne naît pas violeur on le devient; et enfin : cette affaire serait l’ordinaire de la violence patriarcale subie par les femmes. Ce faisant on fait fausse route. Le patriarcat n'est pas le problème. C’est le prétexte d’un combat féministe provoqué par des crimes effectivement insupportables ; d’où la confusion. La domination de certaines personnes sur d'autres en raison de leur âge, de leur force, de leur sexe, de leur intelligence est un fait de nature qui n’est pas en soi la cause de ces dérèglements du rapport sexuel même si ces derniers doivent bien sûr être sévèrement combattus. Le problème est celui d'une éducation qui ne se fait plus, d'un contexte culturel qui banalise le sexe et la violence qui l'accompagne, d'une déconnexion entre le sexe et la morale et enfin entre le sexe et l'amour.


Responsables et coupables.

Les accusés sont coupables, mais il est manifeste que par l’effet de cette médiatisation il y a un élargissement du spectre de la responsabilité recherchée et poursuivie. Est-ce, comme le soutiennent nombre de féministes, la société en tant qu’elle imposerait un modèle pervers générant des violeurs en puissance - la stigmatisation du mâle. Tous violeurs ? Sous couvert de ce mantra, on nous entretient dans une fausse croyance qui crée un cadre facilitant et encourageant la commission de tels faits. Les femmes revendiquent le droit de vivre leur sexualité sans pouvoir être exposées aux excès du feu ardent du désir attisé par ailleurs sans limites et en permanence. En n’éduquant plus, en apprenant plus la retenue – « Un homme ça s’empêche » ! (Camus) – en récusant toute morale au prétexte de la libération sexuelle, en réduisant la sexualité à la seule recherche du plaisir, on entretient des habitudes, un climat et des références qui font le lit de la perversité et du viol. Oui le problème est social et sociétal ; mais en ce sens que les structures sociales ne jouent pas leur rôle. En dénonçant le mâle héritier d’un patriarcat imaginaire les soutiens de Gisèle Pelicot s’arrêtent en besogne et ne veulent pas voir que c’est le modèle qu’elles soutiennent qui est le cadre de ces crimes inacceptables qu’elles dénoncent à juste titre. Je n’affirme pas pour autant qu’elles n’auraient que ce qu’elles mériteraient, et particulièrement Gisèle Pelicot. Mais à force de jouer avec le feu on finit par faire se bruler toute une population de victimes innocentes. Les féministes revendiquent le droit de susciter le désir en toute liberté et de pratiquer leur sexualité selon leur volonté, en dehors de toute contrainte. L’homme et la femme ne doivent-ils pas s’empêcher, l’un et l’autre ? Non le mâle n’est pas le principal coupable. Nous sommes tous responsables par notre inconscience et notre perte de tout sens moral. Le coupable est celui qui ne sait pas le réfréner, le repousser, l’écarter, l’éliminer. Les responsables sont ceux qui encouragent, facilitent, ne dissuadent pas, désinhibent, exhibent, exposent, provoquent. La liberté n’est pas de faire n’importe quoi, pour les hommes comme pour les femmes. On ne joue pas avec le sexe ; on ne joue pas avec l’amour. Ils sont fragiles.

 

Elargissons le champ de la réflexion

Il se passe sur ce sujet comme sur bien d’autres un phénomène qui illustre combien notre société est en perte de repères et ne veut pas s’avouer que son modèle est à bout de souffle. Nous sommes aveuglés par des totems que nous avons érigés depuis au moins deux siècles et même bien plus, car la période révolutionnaire et celles qui l’ont suivie n’ont fait qu’accoucher de ce qui avait été semé bien avant. La vérité triomphera tôt ou tard. La vie est plus forte. Nous finirons par prendre collectivement conscience de la nécessité de retrouver des repères sains et structurants, de réemprunter les voies de l’empêchement qui conduit à l’épanouissement et à la vraie joie ainsi qu’au bonheur dont il faut constater qu’ils ne sont pas majoritaires dans le modèle sociétal que l’on cherche à imposer aux hommes et aux femmes de notre temps. Nous sommes en mal de repères et de vrais modèles édifiants.

 

Clin d’œil optimiste pour conclure.

Tout n’est pas noir dans notre monde. Je suis allé voir le film « Un petit truc en plus ». Rafraichissant. Joyeux. Gai. Nourri d’espérance. L’être humain est aussi beau qu’il peut être laid. Ce petit conte sans prétention révèle des personnes qui font surgir une belle humanité qui crève l’écran. Ces jeunes pour certains trisomiques, que l’on ne veut plus voir naître dans le monde hédoniste et libéré sexuellement, nous donnent une leçon d’espérance ! Bravo ! Merci à eux et à ceux qui les ont mis en scène comme à ceux qui font leur succès !

 

 

 

2 commentaires:

  1. Merci cher Maitre, c'est toujours un plaisir de vous lire, par la qualité de l'écriture, et par la réflexion suscitée par vos propos. Amitiés BP

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  2. Cher Bernard,
    Permets-moi d’ajouter une autre citation de Camus en conclusion de ton admirable tribune :
    « L'acte d'amour, par exemple, est un aveu. L'égoïsme y crie, ostensiblement, la vanité s'y étale, ou bien la vraie générosité s'y révèle. » (La Chute)
    CR

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