L'affaire PELICOT fait la « une » de tous les médias. Elle est sur toutes les langues ; dans tous les esprits. Les questions sont nombreuses. Les malaises aussi. Des mises au point s’imposent. Essayons d'analyser ce qui se passe au procès d'Avignon.
L’horreur absolue.
Le drame de ce dossier est banal et original dans la
perversité. Il additionne l’atrocité au mensonge et à la trahison. Inutile d’insister,
tout a été dit. On touche le fond. Cela étant la répression nécessite de faire rentrer cette atrocité
dans le cadre stricte du droit pénal.
Le droit méconnu.
Tout le monde semble oublier que le viol n’est punissable
que si les éléments constitutifs de ce crime sont réunis. C'est le législateur qui
les définit. Le texte est l’article 222-23 du Code Pénal : « Tout
acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte
bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur
par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Cette
énumération est d'interprétation stricte ; on ne peut rien y ajouter. Le
viol nécessite donc soit la violence, soit la contrainte, soit la menace soit
encore la surprise, mais pas le défaut de consentement. Or c’est précisément le
défaut de consentement qui est au cœur de cette affaire. Un acte de pénétration
sexuelle n'est pas un viol du seul fait qu'il n'a pas été consenti par l'un des
deux partenaires. Je sais que cette distinction purement juridique est quasiment
inaudible par un non-juriste. Et pourtant, tel est le droit. Faut-il réécrire
le code pénal ? Peut-être. Ce serait possible mais sans effet rétroactif (c'est-à-dire
sans pouvoir s'appliquer à des faits commis antérieurement à la publication du
nouveau texte). Dans l’affaire Pelicot il y a donc incontestablement la place
pour une défense « en droit » des accusés même si cela choque l’opinion.
D’où le malaise avec les avocats de la défense.
La défense impossible.
Les
avocats de la défense tentent d’effectuer leur travail, parfois de façon
ajustée, parfois de manière malhabile, pour certains d’une façon perçue comme provocatrice
et indécente. Ils sont stigmatisés s’ils ne sont pas dans la seule compassion pour la
victime. La défense n'aurait que le droit de battre la coulpe des accusés ;
elle serait illégitime dans sa tentative de faire surgir une vérité dans la
qualification juridique des faits dont a été victime Gisèle Pelicot. Cette
vérité ne devrait pas être défavorable à la victime. L’atrocité de
ce dont elle a été la victime interdit-elle de faire toute la lumière sur sa
personnalité, son attitude, sa vie de couple ou encore ses pratiques sexuelles ?
D'où viendrait son immunité ? Être victime ne sanctifie pas celui ou
celle qui est frappé et ne lui donne pas tous les droits. La justice est
contradictoire. La recherche de la vérité nécessite de tout entendre. La volonté de la victime de faire
toute la lumière ne doit pas s’arrêter à ce dont elle a injustement souffert.
La médiatisation instrumentalisée.
Le choix de la victime y est pour beaucoup. On loue à
juste titre sa dignité et son courage. Je suis gêné par le fait qu'elle ait voulu
que ce procès ne se déroule pas à huis clos. Le huis clos peut être ordonné pour
des raisons d'intérêt public ou pour protéger les intérêts privés d'une partie
au procès. Dans ce genre d’affaires criminelles il est quasiment de règle. Le
choix de Gisèle Pelicot tient à son désir et sa volonté d'inscrire ce procès dans
un combat sociétal ; elle est d’ailleurs soutenue par les mouvements
féministes et par MeToo. Ce choix est politique. Ce faisant elle lui a donné une dimension, pédagogique ?,
que ne nécessitait pas la défense de ses intérêts sur un plan strictement
procédural et de justice. De ce fait le procès se déroule à la fois dans le
prétoire et sur la place publique.
La dénaturation du procès et du rôle de la Justice.
On introduit l’opinion publique dans la
salle d’audience. Or celle-ci n’y a
jamais été la bienvenue : « L'opinion publique, chassez-la, cette
intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ». [Me
Vincent de Moro-Giafferi]. La raison de remettre en cause cette sage tradition,
nécessaire à la sérénité des débats, trouve un écho dans un slogan : Que la
honte change de camp ! Mais cela va plus loin. Il s'agit pour
beaucoup de dénoncer le patriarcat et la domination de l'homme sur la femme
dans la sexualité. Le combat féministe qui applaudit et fait la haie d’honneur
à Gisèle Pelicot tend à mettre en cause les rapports sociaux sur un thème qui se décline de manière évolutive: on ne naît pas femme on le devient; et encore : on ne naît pas violeur on le
devient; et enfin : cette affaire serait l’ordinaire de la violence patriarcale
subie par les femmes. Ce faisant on fait fausse route. Le patriarcat n'est pas
le problème. C’est le prétexte d’un combat féministe provoqué par des crimes
effectivement insupportables ; d’où la confusion. La domination de
certaines personnes sur d'autres en raison de leur âge, de leur force, de leur
sexe, de leur intelligence est un fait de nature qui n’est pas en soi la
cause de ces dérèglements du rapport sexuel même si ces derniers doivent bien
sûr être sévèrement combattus. Le problème est celui d'une éducation qui ne se
fait plus, d'un contexte culturel qui banalise le sexe et la violence qui
l'accompagne, d'une déconnexion entre le sexe et la morale et enfin entre le sexe
et l'amour.
Responsables et coupables.
Les accusés sont coupables, mais il est manifeste que par
l’effet de cette médiatisation il y a un élargissement du spectre de la
responsabilité recherchée et poursuivie. Est-ce, comme le soutiennent nombre de
féministes, la société en tant qu’elle imposerait un modèle pervers générant
des violeurs en puissance - la stigmatisation du mâle. Tous violeurs ?
Sous couvert de ce mantra, on nous entretient dans une fausse croyance qui crée
un cadre facilitant et encourageant la commission de tels faits. Les femmes revendiquent
le droit de vivre leur sexualité sans pouvoir être exposées aux excès du feu ardent
du désir attisé par ailleurs sans limites et en permanence. En n’éduquant plus,
en apprenant plus la retenue – « Un homme ça s’empêche » !
(Camus) – en récusant toute morale au prétexte de la libération sexuelle, en réduisant
la sexualité à la seule recherche du plaisir, on entretient des habitudes, un
climat et des références qui font le lit de la perversité et du viol. Oui le
problème est social et sociétal ; mais en ce sens que les structures
sociales ne jouent pas leur rôle. En dénonçant le mâle héritier d’un patriarcat
imaginaire les soutiens de Gisèle Pelicot s’arrêtent en besogne et ne veulent
pas voir que c’est le modèle qu’elles soutiennent qui est le cadre de ces
crimes inacceptables qu’elles dénoncent à juste titre. Je n’affirme pas pour
autant qu’elles n’auraient que ce qu’elles mériteraient, et particulièrement
Gisèle Pelicot. Mais à force de jouer avec le feu on finit par faire se bruler
toute une population de victimes innocentes. Les féministes revendiquent le
droit de susciter le désir en toute liberté et de pratiquer leur sexualité
selon leur volonté, en dehors de toute contrainte. L’homme et la femme
ne doivent-ils pas s’empêcher, l’un et l’autre ? Non le mâle n’est pas le
principal coupable. Nous sommes tous responsables par notre inconscience et
notre perte de tout sens moral. Le coupable est celui qui ne sait pas le
réfréner, le repousser, l’écarter, l’éliminer. Les responsables sont ceux qui
encouragent, facilitent, ne dissuadent pas, désinhibent, exhibent, exposent,
provoquent. La liberté n’est pas de faire n’importe quoi, pour les hommes comme
pour les femmes. On ne joue pas avec le sexe ; on ne joue pas avec l’amour.
Ils sont fragiles.
Elargissons le champ de la réflexion.
Il se passe sur ce sujet comme sur bien d’autres un phénomène qui illustre combien notre société est en perte de repères et ne veut pas s’avouer que son modèle est à bout de souffle. Nous sommes aveuglés par des totems que nous avons érigés depuis au moins deux siècles et même bien plus, car la période révolutionnaire et celles qui l’ont suivie n’ont fait qu’accoucher de ce qui avait été semé bien avant. La vérité triomphera tôt ou tard. La vie est plus forte. Nous finirons par prendre collectivement conscience de la nécessité de retrouver des repères sains et structurants, de réemprunter les voies de l’empêchement qui conduit à l’épanouissement et à la vraie joie ainsi qu’au bonheur dont il faut constater qu’ils ne sont pas majoritaires dans le modèle sociétal que l’on cherche à imposer aux hommes et aux femmes de notre temps. Nous sommes en mal de repères et de vrais modèles édifiants.
Clin d’œil optimiste pour conclure.
Tout n’est pas noir dans notre monde. Je suis allé voir le
film « Un petit truc en plus ». Rafraichissant. Joyeux. Gai. Nourri d’espérance.
L’être humain est aussi beau qu’il peut être laid. Ce petit conte sans
prétention révèle des personnes qui font surgir une belle humanité qui crève l’écran.
Ces jeunes pour certains trisomiques, que l’on ne veut plus voir naître dans le
monde hédoniste et libéré sexuellement, nous donnent une leçon d’espérance !
Bravo ! Merci à eux et à ceux qui les ont mis en scène comme à ceux qui
font leur succès !
Merci cher Maitre, c'est toujours un plaisir de vous lire, par la qualité de l'écriture, et par la réflexion suscitée par vos propos. Amitiés BP
RépondreSupprimerCher Bernard,
RépondreSupprimerPermets-moi d’ajouter une autre citation de Camus en conclusion de ton admirable tribune :
« L'acte d'amour, par exemple, est un aveu. L'égoïsme y crie, ostensiblement, la vanité s'y étale, ou bien la vraie générosité s'y révèle. » (La Chute)
CR