C’est la fin de C8 ! Le Conseil d’État a jugé le 19 février que l’Arcom n’a pas commis d’illégalité dans son analyse qui l’a amenée à écarter C8 et NRJ12, aussi bien dans l’appréciation qu’elle a portée sur chacun des dossiers que dans la comparaison de leurs mérites. De quoi cette fermeture est-elle le nom ?
De quoi s'agit-il?
La loi « Léotard » (loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986)
prévoit que les fréquences TNT sont attribuées après une étude d’impact et une
consultation publique, suivies d’un appel à candidatures. Lorsqu’une fréquence
de TNT est attribuée à l’issue de cette procédure, elle ne peut être reconduite
au-delà d’une durée de 20 ans sans nouvel appel à candidatures, afin d’assurer
la concurrence et le pluralisme.
C’est dans ce cadre que l’Arcom a lancé un appel à
candidatures le 28 février 2024. Le 11 décembre 2024, le régulateur a retenu
finalement 11 candidatures, dont deux nouvelles chaînes, et rejeté les
candidatures de C8 et NRJ 12.
C8 et NRJ 12 ont saisi le Conseil d’État qui a confirmé la
décision de l’Arcom.
Pour le juge administratif, le gendarme de l’audiovisuel n’a
pas commis d’illégalité dans l’appréciation qu’il a faite des différents
projets retenus par rapport à ceux qu’il a écartés et dans l’application des
critères posés par les articles 29 et 30-1 de la loi du 30 septembre 1986. Il
s’est en effet selon lui prononcé, ainsi que la loi l’impose, sur l’ensemble
des candidatures dont il était saisi dans le but d’assurer sur la TNT une
diversité de programmes et de contenus.
L’arrêt du Conseil d’Etat mérite une analyse juridique précise
compte tenu des multiples critiques dont il fait l’objet notamment au nom de la
liberté d’expression.
Il a statué sur un recours pour excès de pouvoir exercé
à l’encontre de la décision de l’Arcom en tant qu’autorité administrative publique
dite indépendante.
Toute la difficulté tient à la nature de l’Arcom, à ses
compétences et à la nature du contrôle exercé par le CE.
L’ARCOM et ses compétences.
L’Arcom gère les fréquences assignées à l’audiovisuel qui
sont utilisées pour la diffusion de la télévision numérique terrestre (TNT), de
la radio FM et de la radio en DAB+ (radio numérique terrestre), mais également
pour la télévision et la radio par satellite ainsi que dans d’autres bandes de
fréquences. Elle « a pour mission de garantir le respect de l'expression
pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes
audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l'information. Il lui
appartient à cet effet d'apprécier le respect par les éditeurs de service de
cette exigence, dans l'exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en
compte, dans l'ensemble de leur programmation, la diversité des courants de
pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes
diffusés ». Ce contrôle et cette mission relèvent
de la responsabilité de l’Etat.
Sous couvert d’un transfert à une autorité indépendante
l’Etat se dégage ainsi de sa responsabilité tout en se retranchant derrière le
fait qu’il délègue sa compétence à un organisme indépendant.
L’Arcom n’est pas un juge. Son indépendance serait garantie
par sa composition et le contrôle dont il fait l’objet comme toute autre
autorité administrative.
L’Arcom, autorité publique indépendante (API), est composée
d’un collège de neuf membres, de plusieurs directions placées sous la
responsabilité du directeur général et de ses adjoints, ainsi que de seize
délégations régionales, implantées en métropole et en Outre-mer. Cette
organisation, adaptée à l’ensemble des missions du régulateur, intègre des
profils variés de spécialistes des grands enjeux du secteur de l’audiovisuel et
du numérique.
Les neuf membres sont :
- Le président de l’Arcom, nommé par le président de la République ;
- Trois membres désignés par le président de l’Assemblée nationale ;
- Trois membres désignés par le président du Sénat ;
- Un membre désigné par le vice-Président du Conseil d’État et un membre désigné par la Première présidente de la Cour de cassation.
La nomination du président et des huit conseillères et
conseillers par cinq autorités distinctes garantit-elle l’indépendance de cette
instance ? En va-t-il de l’Arcom comme du Conseil Constitutionnel ?
Ce concept de l’indépendance m’apparait d’une totale
hypocrisie puisque les « nommés » sont issus du sérail et choisis par
les titulaires du pouvoir. On est objectivement dans l’entre-soi. Les qualités
avancées pour ces membres ne peuvent aucunement à mon sens pas constituer des
garanties d’indépendance ; on a presque envie d’écrire : bien au
contraire ! C’est le même problème que pour le Conseil Constitutionnel.
Ce système utilisé pour toutes ces API comme pour les plus hautes
juridictions a pour immense avantage de permettre au pouvoir politique de se
retrancher derrière l’indépendance des membres désignés qui résulte en fait de
leur nomination par lui-même… « Je vous garantis leur indépendance
parce que j’ai choisi les meilleurs pour cette place » !!!! Comme
pour Richard Ferrand… Voilà pour l’indépendance résultant de la nomination.
Le recours devant le CE.
L’indépendance est ensuite censée être garantie par le
contrôle juridictionnel du Conseil d’Etat. Qu’en est-il ? Par ses missions, le Conseil d’État
est l’un des piliers de l’État de droit. D’une part, il propose au Gouvernement
et au Parlement des améliorations pour sécuriser les lois et réglementations,
avant qu’elles ne soient votées ou qu’elles n’entrent en vigueur. D’autre part,
il tranche les litiges qui opposent les citoyens, entreprises et associations
aux administrations. Il a donc la mission de juger la légalité des actes et
décisions d’un pouvoir dont il est par ailleurs une sorte de conseil. C’est
l’administration qui juge l’administration !
Et il n’est d’ailleurs composé
que de hauts fonctionnaires émanant principalement de l’ENA qui ne sont pas
des juges indépendants comme ceux des juridictions judiciaires ; car alors
que l’institution judiciaire est déjà sous le feu des critiques, il faut savoir
que la justice administrative n’a rien à voir avec elle en termes de statut et
d’indépendance.
Dans le cas d’espèce la décision de l’Arcom a fait l’objet d’un
recours pour excès de pouvoirs sur la nature duquel il faut enfin se pencher.
Le recours pour excès de pouvoir est fondé sur des moyens
dits de légalité externe et interne. Les premiers concernent en quelque sorte
la forme ; les spécialistes me pardonneront... Ce sont les seconds qui
nous intéressent. Ils sont rangés sous les rubriques
suivantes :
- l’erreur
de fait : la décision doit être annulée si elle repose sur des
faits matériellement inexacts. Par exemple : un préfet est mis en congé «
sur sa demande », alors qu’il n'a jamais formulé une telle demande (CE, 20
janv. 1922, Trépont, req. N° 68212, Rec., p. 65).
– la violation
de la loi, l’erreur de droit et l’erreur
sur la qualification juridique des faits.
– le détournement
de pouvoir : lorsque l’administration a utilisé un pouvoir ou une
procédure dans un but différent de ceux pour lesquels ils ont été conférés. Par
exemple : un agent prend une décision pour satisfaire un intérêt
exclusivement privé, indépendamment de toute considération d’intérêt général,
ou pour nuire à un administré.
Il en va également ainsi
du détournement de procédure.
On le voit, les moyens de
légalité interne ne concernent que la conformité de la décision rendue et le
contrôle de l’absence de détournement. Le Conseil d’Etat n’apprécie pas le bien
fondé de l’appréciation sur laquelle s’appuie la décision attaquée. Ceci veut
dire qu’un bon et habile juriste peut rendre la décision qu’il veut s’il est
capable « de bien habiller la mariée ». Cette image est sans doute
caricaturale mais elle permet de comprendre ce cadre juridique très particulier
du « RPEP ».
Que faut-il en conclure ?
L’ARCOM fait ce qu’elle
veut, à la seule condition de ne pas commettre d’erreurs dans la formulation de
ses décisions et dans leur habillage juridique, sous couvert de son rôle de
gendarme contrôlant le respect formel des règles dont les infractions sont
triées sur le volet de la bien-pensance idéologique wokiste et anti-raciste.
Dans le cas présent la
liberté d’expression en fait les frais ; celle-ci étant réservée de facto
à ceux qui acceptent de se soumettre au code de l’expression contrôlée de
manière sélective à l’initiative des collabos de notre époque dont le leader
est Mediapart. Une illustration topique en a été donnée par la dernière
interview de Michel Onfray sur BFM TV. https://youtu.be/fTHnnxRurXg?si=u_otvEeBP9R77f8S
Le postulat de la
démocratie moderne est celui de la réglementation et de l’organisation
d’autorités publiques soi-disant indépendantes.
L’état de droit est
censé garantir les libertés au prétexte de l’absence de toute influence formelle
directe, du respect formel de règles appliquées à certains et pas à d’autres et
d’une régulation par des recours juridiques censés garantir le respect de la
loi.
Or comme dit plus haut cette
indépendance est une hypocrisie de l’Etat qui se dédouane de la responsabilité
de décisions lui incombant tout en la confiant à des personnalités qui sont en
réalité sous sa dépendance de fait. Comme l’a fait le Président E. Macron à
propos de l’Arcom le gouvernement peut ainsi tel Salomon se laver les mains ;
opposant le respect de l’Etat de droit et se targuant d’une fictive et
imaginaire séparation des pouvoirs entre le gouvernement et ces API. https://youtu.be/E3VGe7u7UPA?si=WoldxxFAJRGeRoxC
L’ultime hypocrisie
résulte du soi-disant contrôle exercé par le Conseil d’Etat qui est purement
formel puisque limité par définition à d’éventuels excès de pouvoirs que tout
fonctionnaire habile sait éviter et ne pas commettre.
Nombre de nos libertés
sont ainsi encadrées, contrôlées et ... limitées ! Il en va ainsi de la
liberté d’expression.
En réalité, comme au
demeurant toutes les libertés, la liberté d’expression est relative. Elle
s’apprécie notamment au regard de l’intérêt général ; lequel relève de la
seule responsabilité de l’Etat.
Le transfert du contrôle
des modalités d’exercice de cette liberté, pourtant essentielle en démocratie,
est donc une forme de supercherie. On se croirait au jeu de Bonneteau ! L’Etat
se lave les mains d’une mission qui lui incombe au premier chef. Il prétend la
confier à des autorités indépendantes qui sont sous son contrôle en sous-main.
C’est donc le principe
même de cette « délégation » qui est critiquable. Par ce biais l’Etat
prive les citoyens du contrôle démocratique soi-disant inscrit en lettres d’or.
Le pouvoir est confié en réalité à l’état profond qui peut continuer d’exercer
son contrôle par-delà les alternances politiques. Un maillage accapare les
pouvoirs du gouvernement au profit d’un réseau de hauts fonctionnaires ou de
responsables politiques recasés dans ces différentes API à l’image des membres
du Conseil Constitutionnel.
Il est symptomatique de
relever que c’est au moment où le gouvernement est impuissant en raison du blocage
du parlement que se prennent malgré tout des décisions importantes comme
celle consistant pour la première fois de notre histoire à interdire une chaîne
de télévision; ce qui illustre la réalité de l’existence de cet état profond.
La question est d’une
importance primordiale. Sous couvert de complexité, de pouvoir économique, de
jeux d’influence et de pressions, nos « responsables », que certains
stigmatisent comme les petits hommes gris, ont progressivement mis en place un
système obscur qui contrôle l’alternance et le gouvernement en même temps que
les citoyens et la société en général.
Or les modalités n’en ont
été ni pensées ni formulées clairement et conformément à un ordre institutionnel
approuvé de manière légitime et publique. Un état de fait !
C’est sans doute là que
réside le mal français actuel dont nous voyons les effets se manifester et se
perpétuer au fil des affaires, scandales et arbitrages décidés par ce qui est
une véritable bureaucrature qui a pris le pouvoir. La vraie question est de
savoir si nous pouvons encore espérer retrouver un Etat responsable devant les
Français et soumis à un véritable contrôle. C’est me semble-t-il le seul enjeu
des alternances à venir.
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