Un livre vient de sortir sous le titre « avoir 20 ans aujourd’hui » ; François Kalfon son auteur qui ne cache pas ses sympathies socialistes cherche à réveiller une campagne atone sur un sujet pourtant central.
Que faut-il dire aux jeunes ? Dans quelle société leur proposons-nous de vivre de grandir et de s’épanouir ? Quel legs leur faisons-nous, à eux qui doivent emboîter nos pas et les prolonger ? C'est au fond la seule bonne question à se poser. Elle est angoissante en même temps qu'exaltante. Elle est tonifiante en même temps qu'exigeante. Elle est éternelle mais toujours nouvelle. Elle donne un sens profond à nos vies. Si j'étais un homme politique, ce serait l'unique et véritable raison de mon engagement.
Le lien entre les générations met en exergue notre étonnante responsabilité sur le plan individuel comme sur le plan collectif.
Sur le plan individuel tout d'abord. Un simple acte d'amour nous fait participer à l’œuvre de la création. La force mystérieuse qui se cache derrière la vie, que les croyants identifient en Dieu, nous est communiquée dans une alchimie entre le ciel et la terre. De générations en générations l'humanité se transforme, se développe, continue sa course vers son destin en même temps que vers son bonheur et parfois, trop souvent, vers son malheur. Tout part de là ; il faut s’en rappeler, ne jamais le perdre de vue.
Sur le plan collectif ensuite. Notre présence sur terre, dans ces communautés de destin qui s'entrecroisent les unes avec les autres, nous conduit à exercer des responsabilités sociales, de manière directe et indirecte. De manière directe, autour de nous, dans une agitation quotidienne dont la frénésie tourne à l’obsession ; nous nous transformons en rouages anonymes d’une énorme machine, sans boussole. De manière indirecte, par délégations dans le cadre de cette grande affaire qu'est la gestion de la cité, délégations réduites à un simple bulletin de vote, alors qu'il y a tant à faire quand on réalise le « pourquoi du comment » et l’ampleur de l’enjeu.
Voilà le cadre général dans lequel s'inscrivent cette interrogation fondamentale et les réponses qu'il convient de tenter d'y apporter.
Du premier emmaillotage du nouveau-né, de ses premiers pas, de ses premiers mots, de ses premiers efforts intellectuels, de son éducation, de ce qui lui sera enseigné et appris, de l'harmonie de son milieu familial, de l'organisation de sa vie, de ses premiers actes d'homme ou de femme libre, de son premier travail, de ses premiers engagements sociaux, de sa famille, de ses choix patrimoniaux, de ses choix culturels et religieux, de son aptitude à aider ses proches, rien n'est neutre, de cette lâche et irresponsable neutralité héritée de Ponce Pilate.
La vie est une série de choix, d’engagements, de solidarités subies et choisies, refusées ou assumées; c’est une suite, dans un tout, avec d’autres. La vie en société n'est pas une option. Elle est donnée. Nous ne la choisissons pas- décidément je n’aime pas Rousseau…- Elle est le cadre naturel dans lequel l'homme réalise son quotidien en même temps que son destin. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons de ce que l'on appelait si bien les corps intermédiaires ; ou plutôt, nous ne devrions pas pouvoir en faire ce que nous voulons. Là est le début de la sagesse. L'équilibre social est fragile… l'homme est fait de cristal, l’écrin dans lequel il vit est nécessaire, vital et précieux.
En ces temps électoraux, poser la question « que faut-il dire aux jeunes » revient donc à s'interroger sur le principe même qui anime la politique et ses enjeux. La réponse à cette question est fondamentale, cruciale, première.
Et aujourd'hui force est de constater que nous sommes en situation d'échec sur toute la ligne :
• nous nous arrogeons le droit de sélectionner l’enfant lorsqu'il est encore dans le sein de sa mère, lui refusant ainsi la première marque de respect qui lui est due ; quels peuvent être les droits de cet être dont on a prétendu pouvoir décider de celui de vivre ?
• nos familles sont à ce point instables que plus d'un enfant sur deux n'a pas le droit élémentaire de vivre avec son papa et sa maman présents au quotidien près de lui ; quelle est cette société qui laisse se dissoudre et se disloquer le lieu naturel de l'épanouissement de l'homme ?
• nous ne sommes même plus capables de lui apprendre à lire, à écrire et à compter de manière irréprochable afin de lui donner les moyens de la première liberté sans laquelle il sera le jouet de toutes les manipulations ; quel est ce progrès qui n'est que régression ?
• notre système scolaire et universitaire toujours plus tentaculaire ne lui offre pas les moyens optimisés pour s'attaquer au marché du travail avec le maximum d'armes et de chances ; quelle cette complexité paralysante et impuissante ?
• nous lui proposons un modèle hédoniste, consumériste dans lequel nous négligeons totalement sa seule vraie dimension d'être humain au profit de sa capacité à avoir, à consommer, à jouir, ne lui donnant pas les moyens de se forger cette liberté fondamentale d'être maître de son destin parce que de lui-même ; quelle cette conception inversée de l’éthique?
• nous avons cassé le cadre spirituel de la vie afin d’assoir notre pouvoir sur nous-mêmes au risque de priver ceux qui nous suivent, dans le respect des consciences, de la faculté d’adhérer librement aux vérités métaphysiques hors desquelles la vie n’est plus qu’angoisse ou mystification; quelle est ce monde qui asphyxie l'homme et l’assoiffe ?
• les impératifs sociaux sont aux antipodes des exigences de l'équilibre harmonieux dont l'homme et la femme ont besoin pour essayer d’atteindre le bonheur ; quelle est cette société qui ne sait mettre que des obstacles à l'épanouissement individuel des personnes ?
• les notions juridiques et économiques qui sont à la base de l'organisation sociale ont été vidées de leur sens de telle sorte qu'elles sont devenues une variable d'adaptation parmi tant d'autres dans le cadre d'équilibres macro-économiques, internationaux, sous l'influence de réseaux qui poursuivent des intérêts contradictoires avec ceux du bien commun. Quel est ce monde qui s'est livré aux puissants ?
La liste est longue, une fois encore non exhaustive…Elle révèle à quel point nos réponses sont insuffisantes, inexistantes, contre-productives et régressives.
Il est dérisoire et vain d'espérer une solution à court terme de notre système électoral. Il est urgent de retrousser les manches pour prendre notre destin en main et transférer un héritage vivant et porteur de valeurs bénéfiques pour nos enfants. L’heure n’est plus aux rêveries rousseauistes. L’histoire retiendra les réalistes qui auront ouvert les yeux de leurs concitoyens.
Que faut-il dire aux jeunes si nous voulons encore pouvoir nous regarder dans une glace? Qu'est-ce qui nous déterminera à ne plus faire les autruches et à ouvrir les yeux sur le champ de ruines qui nous entoure ?
Prenez donc un enfant par la main, regardez-le dans les yeux, et posez-vous la question de savoir ce qu'il attend vraiment de vous… Et si nous demandions à G.K Chesterton de nous raconter à nouveau l’histoire de la petite fille rousse ?
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