Etait-ce mieux avant ? Dialogue
passionnant sur France Culture entre Alain
Finkielkraut et Michel Serres[1]
autour des bénéfices de nos progrès et des risques liés aux évolutions
technologiques de notre époque. Le premier est nostalgique et inquiet ; le
second optimiste et passionné par ce qu’il identifie comme « une bascule
de culture ».
Je partage bien des inquiétudes d’ALAIN
FINKIELKRAUT ; en même temps je me rends à l’évidence qu’il ne
suffit pas d’être inquiet, même si les vigies ont un rôle essentiel à jouer tant les alertes sont nécessaires face aux évolutions de l’intelligence artificielle.
Le point de vue de MICHEL SERRES m’intéresse quand
il explique que nous devons « faire avec » ! C’est notre destin
et notre responsabilité. Il ajoute que de son point de vue nous avons déjà été
confrontés à des problèmes de même nature, par exemple à la Renaissance qui a
correspondu à l’invention de l’imprimerie. Il rappelle cette phrase si
significative de Luther : « Tout homme est pape avec une bible à la
main ». Il évoque Don Quichotte ivre de livres au point de perde pied par
rapport à la réalité et le compare à nos contemporains ivres de nouvelles
technologies, invitant ALAIN FINKIELKRAUT à écrire un Don Quichotte du XXI°
siècle ! Il rappelle encore Esope servant à son maître, au plus grand
étonnement de celui-ci, des soupes de langues comme le meilleur et le plus
mauvais plat qu’il puisse inventer, car la langue est à la fois, la pire et la
meilleure des choses. Et il affirme la nécessité d’inventer une nouvelle
culture, afin de participer à la construction de la civilisation de demain.
Voilà une vision séduisante, tant l’homme est brillant et convaincant. Mais n’est-elle
pas angélique ?
Il se trouve que par le plus grand des
hasards, l’un de mes filleuls vient de m’offrir le livre de Laurent Alexandre « La guerre des
intelligences »[2] qui
développe la thèse de l’inéluctable évolution et de la nécessité de prendre
conscience de ce changement de civilisation avec une confiance et un optimisme qui
m’ont fait penser à celui de MICHEL SERRES.
Je venais également de lire dans le dernier
numéro de la revue Eléments l’interview de deux polytechniciens, Marie David et Cédric Sauviat[3], qui dénoncent la fureur de l’expérimentation
provoquée par les progrès de l’intelligence artificielle et ont constitué une
association l’AFCIA pour soutenir la nécessité d’arrêter notre course folle
vers l’imitation du cerveau humain.
Que penser ? Quel point de vue
devons-nous adopter ?
MICHEL SERRES et LAURENT ALEXANDRE ignorent
une dimension essentielle du phénomène dit "des robots". La rupture à laquelle
nous sommes confrontés n’est pas uniquement culturelle. Elle est
anthropologique. Il ne s’agit pas que d’instaurer un nouveau moyen de
communication, comme l’affirme notre académicien philosophe. La science et la
technique, et plus encore la technologie, veulent et peuvent bouleverser le
monde et …. l’homme. Ils veulent « l’augmenter » et le dominer ! En
réalité, Marie David et Cédric Sauviat le dénoncent avec énergie, si les théoriciens et les
ingénieurs ne dissimulent pas volontairement des intentions néfastes, ils sont a
minima fascinés par le mythe du GOLEM ou de FRANKENSTEIN.
Ainsi indépendamment de la nécessité d’inventer
une nouvelle culture est-il nécessaire d’affirmer notre détermination à
maitriser les progrès technologiques et de nous en donner les moyens. C’est la seule solution.
Elle constitue une condition sine qua non de notre devenir et de notre
subsistance face aux mythes et à toutes les tentations qu’ils suscitent si habilement en nous.
Prenons l’exemple du langage. Celui des
algorithmes restera-t-il au service de nos langues ou les façonnera-t-il et les
soumettra-t-il à sa moulinette ultra sophistiquée ? Car si la langue
restera la meilleure et la pire des choses, elle perdra son pouvoir si demain
les décisions qui déterminent notre vie sont prises en vertu des postulats, des
axiomes et des modes de fonctionnement du langage 1.0 ! Nous sommes au-delà de la culture... La science nous lance un défi anthropologique.
Il va très vite falloir choisir entre
FRANKENSTEIN et notre humanité, et pour cela nous devons savoir exercer notre
autorité sur les scientifiques et les techniciens qui petit à petit installent leur
pouvoir…
Pour ma part, j'aurais tendance à être plutôt optimiste, mais pas d'un optimisme béat voire dangereux comme celui de Michel Serre.
RépondreSupprimerPour reprendre ton exemple du langage cher Bernard, je considère et crois profondément que la pensée le précède (Cogito, ergo sum...), et que Homo sapiens a pensé avant de savoir parler. En d'autres termes je crois que la conscience maîtrise le langage et que jamais aucun algorithme ne sera en mesure de se substituer à la pensée de l'homme.
CR
Mais ce n'est pas la thèse de Harrari et de certains apprentis sorciers.... Toute la gageure va être d'imposer le langage humain non pas comme simple mode de communication qui existera toujours, mais comme instrument des pouvoirs dans la cité. A cet égard la partie est en train de se perdre, d'où la nécessité de réagir vite. Je le constate dans le domaine judiciaire....
SupprimerEvidemment pour des gens comme Michel Serres qui vivent dans un microcosme protégé, l'avenir est et restera radieux. Pour le commun des mortels qui vit en banlieue, est confronté au chômage, au terrorisme islamique, et plus largement à la dégradation des valeurs humaines, morales, au "vivre-ensemble" imposé par nos élites qui, elles, ne s'y frottent pas, la vision est beaucoup moins idyllique ! Quand on a connu "avant", c'est à dire les années 70 et 80, on ne peut que se désoler de l'effondrement de notre société.
RépondreSupprimer