Du bruit, des mots, des "actu", nous sommes sur informés. Au fond le sommes-nous tant que cela? Information ou désinformation? Que savoir? Que penser? Que dire? Qu'écrire? Que lire? Qui écouter?
L’actualité nous abreuve de faits, d’événements, anecdotiques ou importants, vrais ou pas. Les opinions suivent. Nous réagissons. Nous surfons sur des vagues changeantes et capricieuses. Nous nous étourdissons. En ces périodes de pandémie et de crise économique la peur rode. Nous essayons de nous rassurer. Pour cela nous nous raccrochons à des bouées de sauvetage souvent éphémères et sujettes à controverse. Entre espoir et résignation la lucidité n’est pas toujours au rendez-vous…
Des thèses folles semblent pouvoir emporter l’adhésion de minorités de plus en plus importantes. Nous participons à la constitution de l’opinion en fonction de critères souvent subjectifs, rarement étayés de manière sûre.
À quand la noyade ?
Alors que nous avons le sentiment d’être dans une société de l’oralité, l’écrit se banalise, se vulgarise et nous submerge. Véhicules privilégiés de nos opinions Internet, les réseaux sociaux, les mails et les SMS alimentent notre étourdissement. Cette écriture est hiératique, capricieuse, formulée sans souci de rigueur ni dans le fond ni dans la forme. L’orthographe est sacrifiée. La grammaire aussi. Le style également. Au-delà de la forme, les sujets traités sont parfois indigents, sans grand intérêt. Quant aux sujets sérieux ils sont traités avec rapidité, sans réflexion approfondie, sans raisonnement sérieux, ni appuyés sur des analyses rigoureuses et recherchant une réelle objectivité, avec le soutien de l’histoire, de la philosophie ou de la science. On surfe…
Il en va ainsi également de la presse, sauf exceptions. Celle-ci est soumise à de multiples influences qui suscitent elles-mêmes nos réserves voire notre incrédulité sans pour autant que nous allions réellement chercher une véritable information critique, sérieuse, passée au tamis de la réflexion. Elle existe pourtant, même si elle n’est pas la plus accessible.
Le résultat est une logorrhée scripturale de plus en plus informe et indigente. Il en est de même de la parole, en pire.
Que cherchons-nous ? Qu’apprenons-nous ? Que voulons-nous exprimer ? Quel est le sens de tout cela ? L’expression de notre moi ? La recherche de la vérité ? Celle de l’autre, de son bien, du bien commun ? Après quoi courons-nous ? Un bonheur perdu ? Un plaisir inassouvi ? Notre rancœur ? Nos regrets ? Notre besoin de nous rassurer ?
Nous sommes dans une quête insatiable de nouvelles et de certitudes matérielles qui n’existent pas. Nous cherchons à en découvrir et à en révéler : à qui son « # » ! A chacun sa dernière découverte ! Nous commentons. Nous émettons des avis. Nous adhérons à des thèses que nous ne contrôlons pas dans la précipitation de l’immédiateté qui préside à cette communication instantanée. Et au final, nous ne faisons plus confiance qu’à nous-mêmes, sans le secours d’une information sûre, appuyée sur une science élaborée de manière objective et rationnelle.
L’actualité n’est plus constituée que de faits divers et d’opinions qui ne sont pas appuyés sur des démonstrations ou des raisonnements élaborés avec rigueur. Nous ne nous fondons plus que sur les faits que l’on veut bien nous proposer et sur des avis fragiles et sujets à caution. Nous sommes de moins en moins à l’abri des fake news dont la traque est de plus en plus difficile.
Nous sommes à l’image de ce pèlerin perdu dans le brouillard qui cherche son chemin au hasard de la progression de ses membres.
Or, l’actualité est autre chose.
Est actuel ce qui n’est pas habituel, ce qui n’est pas potentiel ou révolu, ni virtuel ou imaginaire, ni éphémère ou accidentel.
Quelle peut être la règle d’or de l’actualité utile, éclairante, informative et susceptible de nous éclairer ?
Je vous la propose chez deux auteurs du XXe siècle.
Léon Bloy : « quand je veux des nouvelles, j’ouvre Saint-Paul ».
Provocateur ? Inadapté ? Léon Bloy nous fait toucher du doigt le fait qu’en réalité toutes « nos info » n’ont rien de très nouveau. Nous sommes dans l’hommerie avec ses erreurs et ses excès. La vérité du moment présent, son actualité, sont dans autre chose que ce théâtre des faux fuyants…
De son côté Simone Weil pensait que : « il faut écrire des choses éternelles pour être sûr qu’elles soient d’actualité ».
Elle prend le problème à l’envers, à contre-pied. Pour que quelque chose soit réellement d’actualité il faut toucher à la substance, à l’essence, à ce qui révèle la part d’éternité dans l’humanité et dans ce qu’elle fait. Ce qui revient au même diagnostic que Léon Bloy…
Tel est sans doute la voie de l’exigence qui doit habiter notre écriture, et les choix de nos lectures…
Nous devrions prendre le temps, choisir nos lectures avec soin, ne formuler d’opinions que sur ce que nous savons ou avons appris à savoir, ne faire confiance qu’à ce qui a été préalablement élaboré, discuté avec une véritable dialectique et dans le souci de rechercher le sens des événements et donc des solutions à y apporter.
Pour finir je rappellerai une anecdote qui me fut confiée par un ami. C’était du temps où la Pologne était sous l’emprise de la puissance soviétique. Il recevait un polonais chez lui. Ils étaient en train de prendre leur petit déjeuner. Mon ami lisait le journal qui venait de lui être livré par la poste. Rapidement, de manière un peu artificielle, à la course, comme nous avons si souvent tendance à le faire, encore plus maintenant sur nos écrans. Son hôte polonais le regardait avec étonnement et l’interpela : « Comment lisez-vous votre journal ? ». Intrigué mon ami lui répondit qu’il faisait toujours ainsi pour avoir rapidement la vision de l’actualité du jour. L’autre lui dit qu’il ne lisait pas ainsi. Qu’il avait pris l’habitude, lui qui était sous le joug d’un pouvoir menteur et manipulateur, de toujours s’interroger sur ce qu’on cherchait à lui cacher ou d’essayer de déceler le mensonge que le rédacteur avait tenté d’introduire dans son article.
C’est sans doute ce que nous devons faire. Sans nous fier à nous-mêmes, en essayant de profiter de la sagesse de nos anciens, de l’expérience accumulée et de la science des choses de la vie que l’on ne trouve pas que chez Saint Paul…
"Nous devrions prendre le temps, choisir nos lectures avec soin, ne formuler d’opinions que sur ce que nous savons ou avons appris à savoir (...) et dans le souci de rechercher le sens des événements et donc des solutions à y apporter."...
RépondreSupprimerSans doute as-tu raison Bernard, mais qui est en mesure, parmi les cibles de cette (dés)information décousue et masquée, de faire la part des choses ?
Qui aujourd'hui sait lire, argumenter grâce à son propre fonds culturel ?
La réponse est malheureusement dans la forme de la question, et cela ne risque pas de s'arranger si j'en crois la réalité du monde éducatif et universitaire, aujourd'hui placée sous les feux de l'acualité...
Il nous faudrait résister, convaincre et reconquérir... mais derrière quel étendard ?