Pourquoi passer mon été avec La Fontaine ?
Pourquoi écrire sur La Fontaine alors que je n’ai ni qualité
ni compétence pour le faire, moi qui ne peux même pas avoir la prétention d’être
un guide pour mieux connaître ce géant de notre littérature ?…
Mon audacieuse tentative est celle d’un amateur. Un amateur qui goûte, qui se nourrit, qui aime, qui jouit intellectuellement et culturellement des vers de cet ami de notre enfance. Un amateur qui ne se satisfait pas des clichés et qui, 400ième anniversaire oblige …, voudrait vous faire partager son immersion dans une histoire, une œuvre et une aventure poétique qui constituent l’une des pages les plus exceptionnelles de notre culture.
L'idée m’en est venue, vous en avez été les témoins…, à
la suite d’une réaction au numéro de duettistes de notre Président de la République
et de Fabrice Lucchini devant la maison familiale du poète. Ai-je eu tort ou raison ? Ai-je été excessif? La Fontaine, qui attendit tant d’être reconnu par Louis XIV son grand Roi, aurait-il apprécié cet
éloge déjanté qui fut orchestré par le premier des français ?
Que faut- il retenir de Jean de La Fontaine? Que nous a-t-il transmis?
Charles Augustin Sainte Beuve: "aimer La Fontaine c'est aimer la France"! et encore avec Madame de Sévigné il est l'un des "deux écrivains qui ont eu au plus haut degré ces deux choses involontaires : la joie et le charme".
André Gide: "La Fontaine c'est un miracle de culture".
Nous sommes au-delà de la seule technique poétique vantée par le locataire de l'Elysée lors de sa célébration du 400ième anniversaire…
Même si de son côté Paul Valéry a écrit dans son La Fontaine : « un des
succès les plus heureux de cette liberté d’exécution se manifeste dans la
combinaison inattendue de l’observation la plus fine et la plus juste des
allures et des caractères des animaux, avec les sentiments et les propos
humains qu’ils doivent affecter d’autre part (…). Il arrive que ce petit
théâtre sur lequel le montreur se présentait, agitait et faisait parler ses
marionnettes à plumes et à poils, s’élargissent tout à coup et retentissent
d’accents lyriques de la plus haute résonance. Mais tout ceci n’a été possible
que par la vertu de cette forme poétique qui est et qui demeure l’incomparable
création de La Fontaine. C’est au système des vers variés que nous faisons
allusion » ? Car il est vrai qu'il révolutionna la poésie!
La Fontaine simple fabuliste ? Il eut l'ambition de rejoindre les plus grands et de les dépasser dans leurs genres respectifs sans y parvenir considérant - à tort? - que les fables dans lesquelles il excellait après les contes étaient des genres mineurs.
Nous irons de fables en fables, la gageure étant de ne pas s’arrêter aux plus connues… ; mais au préalable une interrogation surgit. Les fables ne sont qu’une part infime de l’œuvre de Jean de La Fontaine qui a toujours cherché à triompher dans un autre genre qu’il soit lyrique, épique ou simplement poétique. Beaucoup de biographes se sont aventurés dans l’analyse de sa vie, de son œuvre et de son parcours (Marc FUMAROLI, Roger DUCHENE, Jean ORIEUX, Pierre BORNECQUE, Pierre BOUTANG etc...). Or cette recherche inlassable de notre fabuliste d’une autre réussite et d'une autre reconnaissance a abouti au soir de sa vie à un retournement, un reniement de ses contes, qui ne furent pas de circonstance.
A cet égard je demeure circonspect par leur persistante
publication alors que Jean de La Fontaine déclara à cette occasion solennelle devant
force témoins : « je voudrais que cet ouvrage ne fût jamais sorti
de ma plume et qu’il fût en mon pouvoir de le supprimer entièrement ».
Comment publier une œuvre ainsi reniée par son auteur ?
A-t-on jamais dans l’histoire connu pareil précédent ?
Cette singularité est lourde de sens, comme notre manque de respect de ses dernières volontés bien qu'elles ne fussent pas testamentaires.
La vie, la mort et l’œuvre de La Fontaine me semblent être l’illustration
de la force civilisatrice du grand siècle de Louis XIV. Notre poète courut toute sa vie après sa
reconnaissance par le grand Roi, reconnaissance qui ne vint jamais… Sa vie et ses
contes ne furent que libertinage et ode à un amour affranchi de toute morale,
de cette morale pourtant au cœur des débats du siècle notamment suscités par
Port Royal et que Louis XIV allait trancher tant politiquement que dans sa vie personnelle. Or pour finir, certes enfin élu à l’Académie Française malgré l’opposition puis la réserve royale, mais toujours pas reconnu par celui dont il chanta la gloire en vain, poussé
par cette force invisible de la civilisation, il se convertit à une religion qu’il
n’avait il est vrai jamais explicitement abjurée, et renia publiquement la part
licencieuse de son œuvre. On a l’impression qu’il fut comme rattrapé par ce qu’il
avait fui, nié, méprisé.
La Fontaine a porté l’art des fables à un niveau jamais
connu chez ceux dont il s’inspira et inégalé par ses successeurs. On peut toutefois se poser la question de savoir s’il ne prit pas plus de plaisir en
écrivant les contes, tant ces derniers exprimaient sa vie et ses passions d'alors, mais sans
doute pas son être profond. De fait, on renie les plaisirs trop humains et on
se glorifie de les avoir ramenés à leur juste place en en rejetant les débordements. La Fontaine en fut
tellement conscient et le vécut si sincèrement que l’on retrouva sur son corps des
outils de mortification que son confesseur déclara ne l’avoir jamais invité à
utiliser…. L’abjuration des contes et d’une vie licencieuse n’étaient décidément pas une affaire
facile pour celui qui avait vécu avec tant de passion, de générosité et de franchise…
N'écrira-t-il pas à son ami Maucroix qui fut son complice : "Oh mon cher! Mourir n'est rien: songes-tu que je vais comparaitre devant Dieu? Tu sais comme j'ai vécu!".
Il est vrai qu'il avait lui-même résumé sa gourmande vie:
"J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique
La ville et la campagne, enfin tout; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique".
Alors, Jean de La Fontaine paradoxal ? … Contradictoire ? … Ambigu ? … Mystérieux ? … Comédien? … Ou tout simplement pleinement humain?
C’est ce parcours singulier qui au-delà de la magie des
fables fait aussi l’intérêt de celui qui a écrit pour les petits et les grands
et se trouve être célébré comme le plus grand poète français…
Voilà pourquoi il n’est pas déplacé de s’inspirer de son œuvre
pour alimenter une réflexion estivale!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.