vendredi 10 février 2012

CIVILISATIONS OU CIVILISATION

M. Claude Guéant met en cause le relativisme de gauche au nom d'une hiérarchie entre les civilisations…et ses adversaires socialistes dénoncent ses déclarations comme des réminiscences d'idéologies qui nous auraient conduits jusqu'aux camps de concentration.

Le premier est le ministre de la parole d'un gouvernement qui a conduit une politique tournant le dos à l'essentiel des valeurs de cette civilisation à laquelle il fait implicitement référence comme étant meilleure que les autres…Le second, rejoint par nombre de chantres de l'idéologie libérale, M. Alain Juppé et M. Jean-Pierre Raffarin par exemple, est l’héritier de Jules ferry et de Léon Blum qui en 1885 et en 1925 évoquaient en cœur à 40 ans d’intervalle  à la tribune l'assemblée nationale « le devoir des races supérieures à l'égard des races inférieures ! », se posant ainsi pour le coup en pères spirituels des idéologies qui ont conduit aux camps de concentration…

Face à de telles incohérences, il est important de s'interroger sur ce que sont ces civilisations et de se demander si ces discours ne sont pas issus du même relativisme, pourfendu par les uns et revendiqués par les autres.

Les civilisations, comme les cultures, se fondent sur des valeurs concrètes, structurantes ce qui renvoie au droit dans sa fonction régulatrice et normative. Claude Lévi-Strauss que beaucoup de chroniqueurs ont cité écrivait à ce sujet dans une tribune demeurée célèbre « qu'il n'est nullement coupable de placer une manière de vivre de penser au-dessus des autres cela peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille communauté se conservent ». Si elles sont incarnées, concrètes, les civilisations sont différentes. Si elles sont différentes il est humain et naturel de les comparer.

D’un autre point de vue, nul n'est indemne de la transmission qu'il reçoit à sa naissance grâce à la civilisation du lieu dans lequel il nait. Chacun a donc le droit et même l'obligation, par simple piété filiale, de préserver le corps de règles et de culture que constitue une civilisation dans lequel il a forgé son identité personnelle.

Si personne ne peut s'arroger le droit d'imposer son modèle sous prétexte qu'il serait supérieur, il faut admettre que le prosélytisme est naturel en matière de civilisation comme en matière de religion. Chacun est habité par le désir naturel de convaincre l’autre du bien qu’il découvrira en pratiquant ses valeurs. Toute l'histoire est marquée par cette dichotomie entre le prosélytisme civilisationnel et le danger de l'intolérance, doublé du nécessaire respect du au rôle identifiant d’une culture et d’une civilisation données dans un lieu et un temps donnés. D'où la difficulté du débat sur l'identité nationale…

Le risque n’est donc pas dans la comparaison mais dans la prétention, par excès de zèle ou par intolérance, à imposer son modèle sans respecter l’autre.

J Cazeneuve, dans l’article sur la civilisation de l’Encyclopedia Universalis fait ressortir que bien des erreurs commises à l’occasion des comparaisons entre les civilisations proviennent de la confusion entre les civilisations et la civilisation. De fait, au-delà des diversités, il existe des règles relevant de la civilisation. C'est là que se pose le problème du relativisme. Sous prétexte de tolérer l'autre tel qu'il est on réfute l'existence de valeurs supérieures permettant de déterminer ce qui dans le respect des personnes est meilleur pour l'homme de façon à pouvoir faire évoluer les modèles vers le bien. L
Nous voici au cœur du sujet éludé mais réveillé par les déclarations politiciennes.

La vraie question, est de savoir comment se mettre au service de « la civilisation » et de l’homme pour faire évoluer les civilisations dans lesquelles l'humanité s'identifie individuellement. Pour y répondre, il faut se référer à tous les médiateurs culturels révélés et magnifiés par la vie en société.
La civilisation a des noms, des visages, des lieux, elle a produit des œuvres qui l’ont incarnée dans chacune de nos civilisations. Autant de manifestations concrètes de cet absolu auquel nous aspirons et que nous devons poursuivre avec loyauté, honnêteté, humilité et respect de l’autre au sens développé par A. Finkelkraut dans son récent discours inaugural à Polytechnique (Causeur novembre 2011).
Prenons des exemples dans notre civilisation, ce qui n'est pas exclusif des illustrations qui pourraient en être données par d’autres civilisations. La simple démarche élégante d’une femme dans la rue. Un geste de galanterie naturelle entre un homme et une femme. Une robe dessinée par Y St Laurent et portée avec distinction.  Une coiffure créée par Alexandre de Paris ? Un plat délicatement cuisiné et accompagné d’un vin bien choisi. Le concerto n° 20 pour piano de Mozart, la sonate « au clair de lune » de Beethoven, un chant grégorien ou encore le good book d’Armstrong. Les pyramides égyptiennes, le Palais de l’Alhambra, l’ange de la cathédrale de Reims, ou les oratoires de Provence. Homère, les fables de La Fontaine, la Divine Comédie de Dante, ou la « prière de la fin » de l’agnostique Charles Maurras (tant pis pour ceux qui me catalogueront sans la connaître ou l’avoir lue !). Cicéron, Berryer, Moro Giafferi, Badinter et tous ces anonymes du Barreau qui ne se sont jamais résignés dans la défense de ce qui reste toujours d'humain et de civilisé dans un homme quel qu'il soit. Comment ne pas la reconnaître enfin cette « civilisation » chez Antigone, St Jean Batiste et Thomas More témoins exigeants, jusqu’au sacrifice de leur vie, d’une invisible loi naturelle et divine ?

Au fond, pour revenir à nos hommes politiques, la civilisation ne se trouve-t-elle pas tout simplement au Livre des Rois dans la requête de Salomon à Dieu avant de commencer à gouverner « Donne à ton serviteur un cœur docile pour gouverner ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal» (1 R 3, 9). Un beau programme pour un candidat à la présidentielle qui réduirait à néant toutes les polémiques sémantiques de nos politiciens en mal de programme électoral (cf le discours de SS Benoit XVI au Bundestag le 22 septembre 2011)!

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