La nécessaire satisfaction du besoin de justice passe par la sérénité du débat judiciaire, la confiance entre ses différents acteurs. Or le monde judiciaire vit dans un climat de défiance. Les policiers, les magistrats et les avocats ne se comprennent pas. Chacun a le sentiment que les autres ne « jouent pas le jeu » avec loyauté. D’un autre côté, en réaction, le pouvoir ne sait plus quoi imaginer pour donner le change aux préoccupations sécuritaires d’une partie de la population. Opposition dialectique dans un système qui a perdu son identité aggravée par les défaillances ou les dérives de comportement de certains acteurs, par manque d’éthique. La Justice n’y trouve pas son compte. C'est ce que ressentent nos concitoyens.
Un récent fait divers m’a interpellé. Il s’agit d’un crime sexuel sur une jeune fille de 17ans à Montpellier dans lequel les avocats du mis en examen qui avait avoué son crime, ont fait annuler une partie de la procédure parce que l’obligation de la présence de l’avocat en garde à vue n’avait pas été respectée.
J’avoue être mal à l’aise. Je me demande si la robe que je porte et le serment que j’ai prêté s’accommodent de telles stratégies de défense. Comment faire admettre à la famille de la victime que sous prétexte de l’absence formelle de l’avocat à ce stade de la procédure, celle-ci soit entachée de nullité au risque de laisser dépérir certaines preuves peut-être essentielles ?
Ethique et procédure ne font pas toujours bon ménage. Les avocats sont confrontés à une double exigence. Dignité, conscience, humanité d’un côté, nécessités de la défense de l’autre. Savoir jusqu’où aller…
Ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit pour chacun d’être défendu. On n’a bâillonné les avocats que dans les régimes liberticides. Tout homme doit être défendu ; quoi qu’il ait fait. Pour cela il doit avoir tous les droits dans un contexte déterminé. Il s’agit par contre de savoir si les droits reconnus à la défense doivent être définis de manière abstraite, absolue. C’est là que le bât blesse.
Au risque de choquer certains « jusqu’auboutistes » de la défense pénale, j’estime que l’idéologie des droits de la défense pervertit notre conception de la procédure pénale et de la justice. Ces droits sont nécessairement relatifs. Les nécessités de la Justice ne sont pas à sens unique. La reconnaissance de certains droits peut se faire au détriment d’autres droits. Le besoin de justice est le résultat d’une synthèse des attentes de la victime, de la société comme du mis en examen. Il faut respecter un équilibre sans lequel on tombe dans le désordre et l’insatisfaction du besoin de justice.
Il me sera objecté que le curseur est difficile à placer et que tout doit pouvoir être mis en œuvre pour garantir la défense afin de préserver la justice de ses erreurs. Je ne le pense pas, au nom de l'éthique, même s'il est vrai que l'avocat se doit d'utiliser tout l'arsenal juridique mis à sa disposition. Contradictoire? Non. Tout est d’une part affaire d'équilibre dans les règles procédurales et d’autre part de conscience chez cet homme en robe noire, débiteur du respect du respect de son serment.
Les droits du mis en examen ne peuvent pas être les mêmes qu’il y a plusieurs siècles… ce qui ne veut pas dire que notre système serait meilleur du seul fait de certaines avancées procédurales par rapport à de critères eux-mêmes relatifs et parfois anachroniques. Tout est relatif... Ce que nous pensons être des progrès n'en sont pas toujours…
A force de revendications au nom des droits de la défense et à coups d’application de règles d’un droit européen d’inspiration anglo-saxonne, nous faisons évoluer notre système inquisitoire vers un modèle de type accusatoire sans que nos mentalités françaises, latines et régaliennes n’y soient prêtes et sans en avoir les moyens financiers. Le système inquisitoire confie l’instruction au juge sous le contrôle des parties. Le système accusatoire la délègue directement aux parties. La présence de l’avocat en garde à vue est une avancée d’inspiration accusatoire.
Certes l’avocat en garde à vue apporte-t-il certaines garanties ; mais à l'inverse de la Grande Bretagne ou du Canada l'état de nos finances publiques et du budget de la justice nous interdisent de mettre en place une véritable procédure accusatoire ; sauf à créer une justice à deux vitesses, ce qui serait scandaleux et inacceptable. Tout le monde n’est pas DSK ! Quels sont les citoyens français qui peuvent se payer les services d’un avocat pendant toute la durée de leur garde à vue ?
Résultat, sous prétexte des conditions exécrables de certaines gardes à vue, auxquelles on pourrait remédier autrement, nous cautionnons dorénavant une enquête sur laquelle nous n’avons aucune prise ni aucune influence…Evolution en trompe l’œil dans laquelle tout le monde est perdant. Que la Justice va-t-elle gagner dans l’annulation de la procédure de ce mis en examen qui tua la jeune fille de Montpellier ? Sauf à considérer que la défense de quelqu’un puisse passer par le dénie de ce qu’il a commis ; ce qui serait la marque d’une régression de notre civilisation….
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.