Pour quelle raison les
accusations portées à l’encontre de François Fillon ont-elles aussi facilement « imprimé »
dans la population, à l’inverse des accusations portées contre Marine Le Pen ? Il
y a les manipulations médiatiques, les manœuvres politiciennes, les inacceptables
violations du secret de l’enquête et la délétère substitution du tribunal médiatique à
l’institution judiciaire, sans doute…. Mais cela ne suffit pas ; il y a une
autre raison, de fond.
Celle-ci réside
dans la déconnexion de la classe politique avec la vie réelle, et plus
particulièrement dans son mépris du travail de ceux qu’elle gouverne. Pénélope
Fillon est accusée d’avoir été rémunérée sans aucune contrepartie par un
candidat prônant la valeur du travail et la morale…. On me rétorquera que les
faits sont contestés; certes. Mais les évidences sont contre François Fillon, à
commencer par les propres propos de son épouse qui n’ont malheureusement pas
été sortis de leur contexte… « Ce qui imprime » c’est que des
rémunérations ont été versées, sur des fonds publics, sans la contrepartie d’un
travail réel. Telle est la faute morale dont le candidat a tenté de s’excuser
tout en essayant de s’en justifier…
Nous vivons une crise
sociale qui est d’abord celle du travail. Le travail devient une denrée rare. Il
est relégué au rang de variable d’ajustement dans une économie mondialisée et
sans état d’âmes. La pression sociale, économique et politique est opposée au
travail. De plus, le travail offert doit être accompli dans des conditions de
moins en moins dignes et supportables. L’homme n’est pas respecté dans son
travail. L’humanité et la dignité en sont progressivement écartées au profit
des seules exigences de la rentabilité ; les services de ressources
humaines sont sous la domination des financiers. Ce n’est pas se payer de mots
que de dire que notre civilisation n’est plus une civilisation du travail. Or
le travail est au cœur de la civilisation.
Simone Weil dont la courte
vie fut une longue et profonde méditation sur le sens du travail avait réfléchi sur cette question
dès les années 30. « La lecture de
Simone Weil donne l’exemple d’une réflexion philosophique rigoureuse sur les
conditions d’un travail non servile. D’un côté, elle semble réagir négativement
aux tendances de la modernité que sont le « désenchantement du monde », la
différenciation des sphères de valeurs, la perte de l’évidence du sens du
monde. Ces tendances produisent le « déracinement ». D’un autre côté, les
moyens d’un « enracinement » qui répondrait au désarroi de notre époque se
trouvent dans l’élément le plus original de la modernité, le rôle prépondérant
du travail. Il ne s’agit pas de rétablir une unité prémoderne, de remonter en
deçà du « désenchantement du monde », car en démythifiant le rapport au monde
naturel et social grâce au travail, la modernité donne la possibilité de
renouer le pacte de l’esprit avec le monde d’une manière à la fois rationnelle
et authentiquement spirituelle »[1]. "Et
force est de constater que depuis la deuxième guerre mondiale l'évolution n’a pas été positive.
Pour revenir très directement à notre sujet relisons ce
qu’elle écrivait à propos des leaders marxistes et communistes :« Quand je pense que les grands chefs
bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux,
Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus, n’avait sans doute mis
le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions
réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers, la politique
m’apparaît comme une sinistre rigolade. »
Nous pourrions remplacer les noms de ces
deux leaders communistes par ceux de la quasi-totalité de nos gouvernants, de nos élus
et de notre haute administration. Ils sont tous déconnectés de la vie réelle et
ignorent tout des affres des humiliations ressenties par les travailleurs, par tous les
travailleurs ! Voilà pourquoi l’affaire Fillon est le révélateur d’une
crise profonde, de la crise majeure de notre système social. Elle est le
résultat d’un divorce, d’une immense incompréhension. Elle met au grand jour
que ceux qui nous gouvernent sont « hors sol » !
Notre civilisation ne
parvient plus à donner du sens à la vie de nos concitoyens, dans bien des
domaines, jusque dans celui-ci qui comme l’écrivait Simone Weil participe du
ré-enchantement du monde et de la vie. « Lorsque l’homme travaille pour assurer la subsistance de sa famille,
cela signifie que dans son travail il met toute la fatigue quotidienne de l’amour. »[2] Les
inquiétudes de nos concitoyens plongent leurs racines dans leur angoisse au travail
et pour le travail, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.
Si nous
cherchons quel sera le levier à partir duquel les bouleversements actuellement
en cours se développeront pour finir par exploser c’est, indépendamment de la question
identitaire, certainement autour de cette question du travail que se trouve la
réponse. D’où l’affaire Fillon et son actuelle perte de crédibilité de celui
qui avait incarné l’espoir précisément sur ce thème. Et ce n’est donc pas un
hasard si Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon connaissent un tel succès, de même
que Marine Le Pen…CQFD !!!
RépondreSupprimerCes échanges et ces témoignages montrent au moins une chose : ce qu'est la vie réelle des habitants de ce pays et la distance qui existe entre eux et leurs représentants. Beaucoup de choses sont exprimées sans le recul qui va bien. Mais elles disent la vie des gens, leurs galères quotidiennes que les chiffres, les courbes et les tableaux ne rapportent pas. Un sociologue dispose ici d'unecarottage dans notre société qui en dit plus long que bien des études et discours.
Nos chers candidats gagneraient à lire tout cela jusqu'au bout, ce que j'ai pris le temps de faire malgré l'aspect répétitif. Et surtout, ils s'honoreraient en y apportant des réponses concrètes. Est-ce si compliqué ?
https://www.facebook.com/Jai-Le-Droit-De-Vivre-De-Mon-Travail-1239475996139838/
Bonjour
RépondreSupprimerJe rajouterais un simple élément à votre propos: le dégoût d'habitants du village de Pénélope don les enfants doivent travailler pour payer leurs études.
Fillon est réellement hors-sol... mais n'est pas le seul. Najat Vallot Belkacem plaisantant sur le salaire des enseignants s'est aliéné les salles des profs semble t-il sans s'en rendre compte...