J’ai voulu boire le lait nourricier
du progressisme ; aller à la source afin de savoir quel est l’esprit qui
souffle chez ceux qui nous gouvernent. Je me suis donc imposé la lecture de « Le
progrès ne tombe pas du ciel ».
Ce manifeste du progressisme
écrit par deux des têtes pensantes qui ont inspiré la campagne et les premières
années d’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, David Amiel et Ismael Emelien, est difficile à identifier sur
les plans intellectuel, philosophique et politique.
Bâti sur des formules à l’emporte-pièce
il se veut décapant et novateur. La Révolution selon Macron !
Il s’affirme comme la
théorie de la sortie du clivage droite – gauche, de l’opposition soi-disant
dépassée entre un libéralisme de droite conservateur et un libéralisme de
gauche marxisant. Opposition dépassée qu’il y aurait lieu de renouveler au
moyen d’une nouvelle clé : le progressisme. Il est contre l’immobilisme
source de frustrations. Il veut permettre à chacun de choisir sa vie. Il est
pour la maximisation des possibles aux lieux et place de l’égalité des chances.
Pour l’école contre les diplômes. Il est contre toutes les discriminations. Il
est pour une forme renouvelée d’individualisme s’appuyant sur la richesse du
collectif. Promesse d’autonomie. Nourri d’optimisme, rejetant toute forme de
pessimisme. Voilà pour les slogans… De quelle vision sont-ils l’expression ?
Les auteurs dénoncent les
fantômes de l’ancien monde et prônent trois principes qui structurent leur réflexion
:
- La maximisation des possibles.
- La nécessité d’agir ensemble.
- L’exigence de commencer par le bas.
Ces axiomes sont ceux d’un
mode d’exercice du pouvoir, une stratégie. Ils ne définissent pas une politique
; et encore moins une politique pour la France, dans l’Europe. La France est d’ailleurs
la grande oubliée de l’inspiration de ce livre car on ne retrouve sa mention
que lorsqu’il s’agit de dénoncer l’identité nationale.
S’agissant justement de l’identité
leur pensée est ambiguë ; elle ne serait qu’une mémoire sans frontières. S’ils
admettent l’existence d’un péril identitaire ce n’est pas autour de la question
des frontières mais autour de celle de la culture. Mais que mettent-ils
derrière cette formule? David Amiel et Ismael Emelien ne nous disent pas ce qu’est
cette culture sans frontières qui serait une identité… Ils en donnent seulement
une idée de manière négative en dénonçant le risque de l’intégrisme sous toutes
ses formes : la caserne, le kolkhoze et le couvent !
Au-delà des formules et de cette
réduction de la réflexion politique à une question de méthode, les incohérences
et les contradictions sont malheureusement nombreuses. Après l’identité je
prendrai l’exemple de l’Europe. Les auteurs écrivent qu’il ne s’agit pas pour
eux « de vouloir des abandons de souveraineté mais un surcroît de
souveraineté ». « L’union européenne ne serait pas en concurrence
avec les nations, mais à leur service. Ce n’est pas une supra nation européenne
que nous voulons bâtir mais une Europe des supers nations » ! … Et quelques
pages plus loin « il faut faire
accepter des transferts de souveraineté » ! En l’absence de toute
définition de la souveraineté, ce discours est incohérent et contradictoire comme
d’ailleurs celui de Madame Loiseau lors du premier débat de jeudi soir fut l’illustration….
Plus ou moins d’Europe ? Quels abandons de quelle souveraineté ? Le
ni droite ni gauche a ses limites…
Quelques pages plus loin j’ai
cru voir poindre la lumière lorsque j’ai lu : « l’union européenne doit permettre de protéger des choix de civilisation
contre des décisions trop volatiles ». Je m’attendais, à tomber enfin
sur la définition de quelque chose de profond, d’ancré dans une philosophie,
une conception de l’être, du collectif. Que nenni ! Les auteurs n’évoquent ensuite
dans la même phrase …, que des enjeux d’intelligences artificiels ou
environnementaux. Il ne s’agit pas de dire que ces derniers soient
inintéressants ou sans importance mais on n’est pas au niveau de la
civilisation… ; il est toutefois encore écrit un peu plus loin qu’il faut
accepter que « l’Europe se charge de
grands sujets quitte à se rendre temporairement impopulaire » ; mais
on retombe immédiatement encore dans la technique… les grands sujets ne sont
pas définis, à moins qu’il ne s’agisse de la décarbonation qui est invoquée
quelques lignes plus loin. Là encore, sans minimiser le sujet ni son
importance, nous ne sommes pas au niveau de la civilisation et de ses enjeux…
Explication embrouillée donc et malheureusement vide de contenu politique au
sens noble du terme…
Je n’ai pas trouvé de vision
politique…
L’un de leurs objectifs serait
d’utiliser le sentiment d’appartenance à une organisation - la camaraderie et
la fraternité - non pour le pire mais pour le meilleur. C’est ce qu’ils
proclament en dénonçant les périls nazis et intégristes mais sans jamais les
définir, ni chercher à en identifier les racines. Les auteurs écrivent ne pas vouloir
repeupler la Terre de mythes ou inventer une nouvelle religion politique ; c’est
donc bien la fin du politique dont il s’agit ! Mais fuir le terrain politique
au motif qu’il est dangereux ne fait pas une politique…
Certes les auteurs nous
distillent sous l’intitulé « l’individu sans l’individualisme » qu’ils ne
veulent plus être ni de la chair à canons, ni de la chair à dogmes, ni de la
chair à partis. D’accord… mais alors, que veulent-ils être ? Une humanité
augmentée ! C’est-à-dire pour eux une humanité dégagée de tout frein, de toute
retenue, de toute frustration, de toute barrière. Le progressisme est une
course vers l’idéal individualiste de la définition de soi par soi… Ils pensent
que l’homme est un idéal et que le rendre capable de s’accomplir est une
idéologie suffisamment révolutionnaire pour inciter à l’engagement. « Si l’homme est un idéal nous ne pensons pas
que chacun puisse être son propre idéal ». Voilà ce qui serait croire
à l’individu sans individualisme, l’apport du progressisme par rapport au
libéralisme…
Par contre bien que voulant
casser tous les intégrismes ils ne s’affranchissent pas de certains poncifs de
la République la plus républicaine… Car ils veulent affranchir les enfants de l’obéissance
source de frustrations…, les soustraire à l’autorité de leurs parents et de
leurs familles : « nous savons que la
pression de la famille, des voisins, des camarades de classe peut très forte
sur les enfants qui n’ont pas la capacité de choisir de manière autonome leurs
convictions. Il faut les protéger, et d’abord à l’école » ! Car le
principe fondamental c’est l’autonomie et la possibilité pour chacun de choisir
lui-même sa vie ! Et au fond pour les auteurs il n’y a qu’une seule contrainte
qui soit à la fois juste et efficace car elle fait confiance au jugement de
chacun pour traiter chaque situation de manière appropriée : c’est la
contrainte sociale ! Comprenne qui pourra…. Ce que j’ai compris pour ma part avec
ces développements c’est que leur projet est constructiviste et qu’il tombe
sous le coup de la condamnation pour totalitarisme de tous les projets
individualistes telle qu’elle est formulée par Paul-François Schira (voir mes
billets à ce sujet).
Leur conclusion enfin désigne
l’ennemi - le populisme - celui que le progressisme s’est choisi pour exister !
Nous retrouvons ainsi la ligne martelée par le Président du progressisme contre
le populisme… Technique profondément révolutionnaire, mais au plus mauvais sens
du terme, de tous les totalitarismes qui consiste à désigner ses ennemis et à
les cataloguer pour les discréditer…
Car leur véritable adversaire
n’est pas celui-là !
L’antithèse de la politique
qu’ils veulent sournoisement nous imposer en la déguisant par des slogans c’est
l’enracinement ! La politique de l’enracinement dont les fondamentaux sont
développés par Paul-François Schira dans le sillage dans la grande Simone Weil…
Semper idem…
Pas de frontières, pas de murs, pas de famille, pas de vérité, pas de valeurs, du mouvement, rien que du mouvement, sans racines... Comme dirait Philippe de Villiers,on est en plein délire lili-bobo.
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