La boite à questions est ouverte. Identité ? Sécurité ? Economie ? Quelles priorités ? Où allons-nous ? Dans quel état errons-nous ? De quoi souffrons-nous ? Comment pouvons-nous être à ce point incapables de savoir ce dont nous avons besoin ? Le diagnostic est-il impossible ? Pourquoi tout est-il bloqué ? Pouvons-nous dépasser les contraires autrement qu'en faisant du " en même temps" ?
Nos analyses sont subjectives. Elles sont le
fruit de frustrations, de souffrances, d’attentes insatisfaites. Nous voyons les
événements non pas tels qu’ils sont mais tels que nous voudrions qu’ils soient ou qu'ils ne soient pas…. Aurions-nous des lunettes déformantes ?
Au fond, chacun voit midi à sa porte… ou ne réfléchit pas
plus loin que le bout de son nez; il ne s’entend plus que lui-même, sourd
aux autres…. L’un des mérites du dernier
livre d’Eugénie Bastié[1]
est de mettre en évidence que chez les intellectuels également la réflexion est
dénaturée par les présupposés moraux et subjectifs, voire le refus de souffrir des idées des autres! Caractéristique de l’époque.
Tout est brouillé, stérile…
C’est très exactement l’impression que j’ai ressentie en
écoutant le débat entre Éric Zemmour et Jacques Attali sur CNEWS vendredi
dernier. Deux intelligences fermées, face à face !
A priori, de but en blanc, j’ai plutôt de la sympathie
pour le premier. J’adhère à beaucoup de ses analyses historiques et
géopolitiques. Mais l’homme a une vision étriquée ; il est enfermé dans
ses analyses intellectuelles ; ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles
soient inexactes ou inutiles.
Quant au second, j’ai plutôt beaucoup d’aversion pour lui.
Rien ne m’est sympathique chez ce socialiste humaniste, béatement optimiste,
démagogique et idéaliste. Néanmoins en l’écoutant je me suis dit qu’il n’avait
pas tort lorsqu’il expliquait à son interlocuteur qui restait bloqué dans son système,
que quand bien même s’occuperait-t-on en priorité des intérêts français il
fallait aussi, dans l’intérêt de ces mêmes français, résoudre les problèmes du
monde dans lequel, quoi qu’il advienne - même avec des frontières - ils sont
impliqués, intégrés plus qu’hier, de manière inévitable par l’effet de
l’évolution. La notion de puissance a évolué; elle n'est plus exclusivement militaire, mais aussi et peut-être d'abord économique. Le
cadre a évolué, les populations, les confrontations culturelles, économiques et
politiques, aussi. La géopolitique a changé, même si les principes demeurent
identiques. Il faut revoir la grille d’analyse et celle des contraintes… Ce n'est pas être idéologiquement réformiste que de l'admettre!
L’une des grandes leçons de l’histoire chère à Eric
Zemmour et que Jacques Attali feint d’ignorer est que les grandes réussites ont
toujours été le résultat de confrontations entre puissances. Elles le font avec des alliances, conscientes d’où elles
viennent, de ce que sont leurs forces; capables d’envisager l’avenir
de manière constructive, effective, réaliste, pragmatique, stratégique dans le but
d’apporter le bien-être, la sécurité et la justice à leurs citoyens.
D’un autre côté il convient de prendre en considération
le fait que nos querelles wokéistes peuvent apparaître dérisoires au regard des
enjeux économiques ainsi que le souligne un récent article du nouvel économiste[2].
Article provocateur qui nous invite à oublier notre obsession pour les guerres
culturelles d’identité : le champ de bataille est devenu l’économie. Vrai ?
Faux ? C’est le discours de Jacques Attali. N’en avons-nous pas eu l’illustration
avec la gestion de la crise sanitaire qui a fortement été déterminée par ses
impacts économiques et qui aura des effets économiques dont nous pouvons
imaginer qu’ils seront majeurs pour les années à venir ?
En clair, le monde interdépendant dans lequel nous sommes entrés, ce monde dans lequel la puissance est économique autant que militaire et culturelle nous oblige à raisonner autrement que nous ne l’aurions fait quelques décennies ou quelques siècles en arrière. Sans pour autant qu’il ne faille pas tenir compte des leçons du passé et des exigences identitaires de nos peuples.
J’avoue ressentir un malaise face à certains de nos intellectuels dont j’apprécie bien des analyses mais qui refusent le monde dans lequel nous vivons par un repli sur soi identitaire et passéiste qui leur met des œillères et ne les aide pas à voir l’avenir avec lucidité. Difficile dilemme qui mêle paradoxe, réalisme et analyse prospective. Savoir se projeter dans l’avenir avec son passé !
Je me suis pris à rêver d’une femme ou d’un homme providentiel
capable de tout voir, de tout intégrer et d’entraîner son peuple derrière lui à
la conquête du futur. Nationaliste quand il le faut, protecteur quand c’est
nécessaire, ouvert au monde, conscient que l’avenir de la planète détermine
celui de son peuple, soucieux de gérer les rapports de force internationaux, vigilant
sur les équilibres démographiques et les enjeux liés aux mouvements de
population, désireux de rendre possible l’épanouissement individuel, culturel et
spirituel, dans le respect de la liberté de conscience etc….
Un leader affranchi du mépris condescendant de Jacques Attali pour l’homme historique occidental, pour la puissance française passée, pour la nécessité de la nation et l’importance du politique par rapport à l’économie ; qui ne soit pas aveuglé par l'idéologie mondialiste dont on célèbre la messe à Davos.
Un homme ou
une femme providentielle qui n’enferme pas son peuple dans une vision passéiste,
dépassée de la nation tout en en réaffirmant l’importance, capable d’identifier
les principes nécessaires à sa survie et mieux à son
développement au sein du monde pensé et vécu autrement.
Arrêtons-nous sur les rapports du politique et de l’économique ; notre dirigeant providentiel devrait sortir du piège constitué par l’affrontement stérile entre la conception hors-sol de Jacques Attali et celle souterraine d’Éric Zemmour. Comprenez-moi. J’ai été formé intellectuellement avec le « politique d’abord » de l’entre-deux-guerres. Mais il n’avait rien à voir avec l’antithèse de « l’économie d’abord » de l’article du Nouvel Economiste et de Jacques Attali. Nous ne parlons pas de la même chose. L’économie est devenue la condition de la survie de nos peuples et l’enjeu des rapports de force, de puissance. Les monnaies, les procédés de fabrication, les industries, les brevets, les délocalisations sont les sabres, les baïonnettes, les obus, les bombes d’hier. Sans production de richesses il n’y a plus d’avenir, donc plus d’identité, donc plus de culture. Mais bien que vitale l’économie doit rester un moyen au service d’une politique qui passe par la restauration de l'Etat. Conclusion: le politique doit tenir compte de primat vital de l'économique afin de rendre possible une véritable et nécessaire politique de civilisation.
Voilà la raison pour laquelle nous ne pouvons pas confier
les clés du pouvoir à des dirigeants aux compétences approximatives en économie ;
ce qui ne signifie pas pour autant que ce soient les « techniciens » les
mieux qualifiés ; souvenons-nous d’Antoine Pinay et interrogeons-nous sur
les choix techniques des 40 dernières années…
Je m’empresse de dire à ceux qui liraient mal ma pensée à
travers mes mots maladroits que cet homme ou cette femme providentielle ne serait
pas un adepte du « en même temps macronien » qui est de l’enfumage d’intellectuel
du monde d’hier. Rien à voir. Il ne s’agit pas, comme dans une recette de cuisine, de faire des parts égales et d'équilibrer les apports respectifs.
L’enjeu de demain sera d’être collectivement ; d’être intégralement ;
d’être globalement ; d’être universellement. Prendre tout. Tout voir.
Appréhender la complexité et la maîtriser. Peut-être à la manière du concept d'intelligence collective appliqué en politique....
En clair, il ne s’agit pas de jouer les magiciens de l’esprit,
comme l’adolescent qui occupe l’Elysée, en essayant de contenter tout le monde
sans prendre en considération ce qu’il y a de profondément vrai dans les
craintes en même temps que dans les espoirs et les attentes des uns comme des
autres. On ne parle ni de compromis, ni de synthèse, ni de plus petit dénominateur
commun. On parle de totalité, de bien commun à vivre, à penser, à habiter.
Exemple historique et culturel. Jacques Julliard souligne
dans son dernier éditorial de Marianne[3]
que ce « en même temps » débouche par exemple à cet insupportable
spectacle d’un président de la république qui va dire aux Algériens que la
politique coloniale de la France a été un crime contre l’humanité, qui va dire
ensuite aux Américains qu’il faut que les Français déconstruisent leur histoire
et qui enfin dit aux siens qu’il n’y a pas de culture française alors qu’il en
est un pur produit.
Je rêvais…. Mais si je me replace 40 ans en arrière je me dis, comme là encore le livre d’Eugénie Bastié le montre, que des baudruches se sont dégonflées. Je me dis que le génie politique français en a vu d’autres. Je me rassure en pensant que les Zemmour et autres Attali nous ouvrent les yeux, chacun à leur façon, et que les nouvelles générations auront peut-être la lucidité, l’intelligence et la hauteur de vue qui permettent la mise en œuvre des politiques de redressement . Retrouver le souci de la recherche de la vérité en politique et dépasser les postures morales déterminées par les souffrances non maîtrisées.
Quand ? Comment ?
Et puis, comme si je rêvais encore, je me pince et j’entends un très cher ami m'objecter qu’il a fallu passer par la révolution pour vivre le consulat….
Qui vivra verra !
[1] https://livre.fnac.com/a15602803/Eugenie-Bastie-La-Guerre-des-idees-Enquete-au-coeur-de-l-intelligentsia-francaise
[2] Le Nouvel
Economiste n° 2065 – 23 au 29 avril 2021
[3] https://mail.google.com/mail/u/0/?pli=1#inbox?projector=1
L’économie d’abord, à condition de ne pas oublier que des problèmes, ou des intérêts economiques sont à l’origine de la plupart des guerres
RépondreSupprimerLes relations de puissances à puissances ont toujours été à l'origine de toutes les guerres! Et la nouveauté c'est que l'économie est le premier théâtre de nos guerres modernes....
RépondreSupprimer... après les religions. Mais c'est Marx qui énonce que tout est dans l'économie, le matériel, non ?
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