dimanche 28 août 2022

MON ETE AVEC CHESTERTON (9): SAINT THOMAS D'AQUIN

Gilbert K. CHESTERTON a aussi été biographe. Un biographe original, mais biographe malgré tout… Je vais m’intéresser à son livre sur Saint Thomas d’Aquin : « Saint Thomas du créateur ».


La tâche est ardue tant le livre est dense.

Le génie de l'auteur est de ne pas entrer dans les détails, de nous conduire à l’essentiel, à ce qui fut marquant, déterminant, important. Droit au but! Sans pour autant hésiter à être redondant sur ce qu'il estime essentiel.

Il en va ainsi tout d’abord de l'évocation de la jeunesse de Saint Thomas d'Aquin et de son choix en rupture avec son époque, sa famille, l’Eglise institutionnelle d’entrer dans un ordre nouveau, celui des mendiants, fondé par Saint Dominique. Les épisodes sont terribles, violents. Ils permettent de comprendre à quel point ce saint qui passe pour académique, classique, orthodoxe fut alors quasiment un révolutionnaire au même titre que Saint François d’Assise. Comme l’écrit Gilbert K. CHESTERTON on peut parler de révolution aristotélicienne dans le monde catholique sous l’impulsion de « THOMAS DU CREATEUR ». Cependant, toute l’intelligence de Gilbert K. CHESTERTON est de mettre en évidence que si rupture il y eut et elle fut violente, l’œuvre de saint Thomas d’Aquin ne fut quant à elle pas en rupture avec les philosophies précédentes car en réalité si rupture il y eut sur le plan philosophique ce fut par la suite  l’école de philosophie moderne qui la provoqua. 

Gilbert K. CHESTERTON nous livre les épisodes les plus saillants de la vie de saint Thomas d’Aquin, les tentations auxquelles il fut soumis, sa concentration en toutes circonstances sur sa réflexion et son travail théologique même en présence du roi Saint-Louis dont il était l’invité à l'occasion d'un dîner officiel au risque de choquer son entourage - à la seule exception singulière du roi !...- ou encore la violence de ses prises de position lorsqu’il lui fallait combattre l’hérésie ; mais un homme dont il souligne « la prodigieuse simplicité, la bonté évidente et l’amour du vrai » toujours animé sa sainte humilité et par sa douceur à l’égard des autres y compris de ceux qu’il combattait avec une fermeté intransigeante. 

Et il affirme, contrairement à des stéréotypes contemporains, que saint Thomas d’Aquin « fut historiquement un grand défenseur de la liberté de la recherche scientifique. Bien compris, les principes qu’il a établis sont sans doute ce que l’on peut dire de mieux pour protéger la science des répressions obscurantistes ». Toute sa démarche intellectuelle consistait précisément à prendre en compte toute la réalité dans l’ensemble de ces aspects. « Son aristotélisme consistait essentiellement à considérer que l’étude des faits les plus petits le conduiraient à l’étude des vérités les plus hautes ».

Gilbert K. CHESTERTON souligne toute l’intelligence rhétorique de saint Thomas d’Aquin bien que celui-ci ne fut pas un spécialiste de cette science comme il le relève par ailleurs. Il met en évidence l’originalité, la singularité et la pertinence de l’affirmation de notre « Docteur Angélique » selon laquelle on ne peut convaincre quelqu’un en invoquant des principes auxquels il ne croit pas ; ce qui lui permet d’affirmer que son œuvre « n’est pas basée sur des articles de foi, mais sur les arguments et les affirmations des philosophes eux-mêmes ».

Et d'affirmer que tout le travail de Saint Thomas d'Aquin éclaire « la stupidité confinant au conformisme des rêveurs qui refusent la foi et le dogme au nom d’une religion intuitive et sentimentale. Alors que c’est très précisément la foi et les dogmes qui maintiennent le monde en bonne santé ».

Après cet uppercut étourdissant, il souligne le fait que l’œuvre de saint Thomas d’Aquin met en évidence que le catholicisme est la seule théologie réellement et véritablement optimiste. Pourquoi ? Parce qu’elle est absolument et exclusivement du parti de la vie. La vie vaut la peine d’être vécue. « L’homme est enraciné dans la joie primordiale d’un Dieu créateur et trouvant son épanouissement dans le bonheur éternel du genre humain ». Voilà qui place l’œuvre de notre saint et plus généralement la théologie catholique sous un éclairage bien particulier que l’on a trop de fois tendance à oublier ; sans doute parce qu’à l’inverse de Gilbert K. CHESTERTON nous n’avons pas ce génie d’aller à l’essentiel. « Nul n’approchera jamais de l’intelligence de la philosophie thomiste, ou de la philosophie catholique, qui ne comprenne d’abord qu’elle se fonde entièrement sur la glorification de la vie ; la glorification de l’être ; la glorification du Dieu créateur de l’univers. Le reste s’en suit par voie de conséquence dans un ordre troublé mais non supprimé par le péché d’Adam et l’évocation héroïque ».

De fait, comment une doctrine de la vie pourrait-elle ne pas être optimiste ? Ainsi présenté cela devient une évidence….

Plus loin il écrit : « à l’intellectuel morbide de la renaissance qui s’interroge : « être ou ne pas être ? » telle est la question, le massif Docteur médiéval répond d’une voix de tonnerre «être : c’est la réponse »! ».

Gilbert K. CHESTERTON définit le thomisme comme la philosophie du bon sens. Il souligne le trait, affirmant ne pas écrire en tant que spécialiste mais en qualité d’homme de la rue et que la philosophie de Saint-Thomas d’Aquin est la plus proche de lui et de nous. Pour lui les philosophes modernes posent des postulats comme préalables exigeant qu’on leur fasse confiance alors que notre docteur angélique part du réel, de ce qu’il voit, de ce qui est sans a priori. Il affirme que pour l’homme de la rue Hegel est objectivement « fou à lier » (sic !) alors que ce n’est pas le cas de Saint-Thomas ! Il ose ainsi dire et écrire ce que nous pensons souvent si intensément à la lecture de certains ouvrages ou articles de philosophes pourtant reconnus ! … Gilbert K. CHESTERTON ose décidément tout ; il est cash !

À la question « le monde est-il ? » Saint-Thomas d’Aquin commence par répondre « oui ». Il pose un pont entre l’esprit et la réalité. C’est le réalisme intégral.

Viennent pour finir deux chapitres intitulés « initiation au thomisme » et « philosophie éternelle » qu’il faudrait citer de manière quasi intégrale, surtout le second !

Quelle magistrale initiation à la pensée de Saint-Thomas d’Aquin !

Évoquant cette philosophie du bon sens qui ne rejette rien du réel, qui tout au contraire  utilise ce cinq « portes » correspondant à nos cinq sens pour comprendre le monde, Gilbert K. CHESTERTON a cette fulgurance : « L’homme n’est point un ballon qui monte au ciel, ni une taupe qui s’enfuit dans la terre ; il est semblable à un arbre dont les racines plongent dans le sol, tandis que les plus hautes branches paraissent toucher les étoiles ».

Il insiste sur le fait que toute la philosophie de saint Thomas d’Aquin repose sur une pointe d’aiguille : « ce qui est, EST ». Une chose ne peut pas être et ne pas être. Voilà des truismes qu’il est parfois indispensable de rappeler et qui permettraient de résoudre bien des fantasmes ou des délires de notre époque moderne avec sa folie de tout détruire et de tout confondre en permanence, manipulant le réel à la force de ses délires ! Réponse par exemple à la théorie du genre avant qu'elle ne fasse florès …

Gilbert K. CHESTERTON s’amuse, l'humour n'est jamais loin ; parlant des sceptiques et de leur dilemme : « ils affirment l’existence d’un moyen terme qui serait à la fois oui et non. Le prononcent-ils ouon ? Je ne sais ».

Il nous explique ensuite comment le thomisme dénoue le nœud gordien entre l’être et le devenir se manifestant dans la diversité des états de l'humanité comme de la nature. Ce nœud gordien auquel se sont faussement attaqués les nominalistes, les quiétistes et tous autres philosophes enseignant que les choses ne sont pas ce que nous croyons qu’elles sont car il y a, dans ce que nous voyons, des choses soit inexplicables soit inconcevables. La réponse : « les imperfections que nous constatons dans les choses viennent seulement de ce qu’elles ne sont pas entièrement ce qu’elles sont. Dieu est plus pleinement que l’homme, et plus pleinement que la matière, car Dieu dans sa toute-puissance est à tout instant éternellement en acte ».

Car « ce qui nous permet de dire que l’être est l’être nous permet d’ajouter que ce n’est pas l’être parfait ; il est imparfait non seulement au sens des remarques courantes sur le péché ou la tristesse, mais imparfait en tant qu’être ; moins pleinement être que la plénitude de l’être ne le comporte ».

Et toujours avec cette capacité de dire simplement, comme des évidences, ce que nous n’osons plus affirmer aujourd’hui dans un contexte de terrorisme intellectuel et moral : « quoi qu’il en soit, l’évolutionniste est absurde, qui se plaint qu’on lui demande d’admettre le Dieu qui tire toutes choses du néant, et trouve plus vraisemblable que le néant donne par lui-même l’existence à toute chose » !

Je suis obligé de m’arrêter… ne serait-ce que par respect pour l’auteur qu’il faut que vous lisiez. Vous découvrirez ainsi cette pensée rafraîchissante, simple, qui met les choses complexes à la portée de tous et démontre combien Saint Thomas d'Aquin qui passe pour un théologien complexe n’a en réalité jamais eu pour projet et pour objet que précisément de simplifier les problèmes philosophiques et théologiques en essayant de les résoudre de la manière la plus claire et la plus vraie qui soit.

A lire absolument !

 

 

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.

Retrouvez mes anciens articles sur mon ancien blog