La biographie de Saint François d’Assise que nous livre Gilbert K. CHESTERTON est bien évidemment atypique ! Nous avons maintenant l’habitude de devoir sortir de nos habitudes avec notre ami anglais….
Cette biographie toute en délicatesse et en mesure –une fois n’est
pas coutume ! – est l’occasion pour notre auteur de nous délivrer un certain
nombre de messages sur la sainteté, le mysticisme, la louange, etc.
Après avoir longuement insisté sur la nécessité de placer
un homme comme François d’Assise dans le contexte historique de son époque pour
ne pas apprécier sa vie et son œuvre de manière abstraite au risque d’en perdre
le sens, Gilbert K. CHESTERTON nous entraîne dans une méditation sur la
sainteté de ce François d’Assise pour lequel il a manifestement une piété toute
particulière. Que nous sommes loin de son livre sur Saint Thomas d’Aquin !
Que l’approche et l’accroche en sont différentes…
Je ne vous proposerai pas une analyse de ce livre dont je
serais bien incapable. Je me contenterai de vous soumettre quelques
idées-forces que j’ai relevées et dont j’ai personnellement fait mon miel.
Tout d’abord une illustration du principe selon lequel le
Christ nous demande de nous abaisser pour nous élever dont toute la vie de
François d’Assise fut une illustration. Après avoir évoqué les histoires
enfantines dans lesquelles on perce un trou imaginaire qui passe par le centre
de la terre, il écrit : « Quoi qu’il ait senti d’autre, cela présentait avec
l’histoire de l’homme qui perce la terre d’un tunnel cette analogie qu’il s’agissait
aussi d’un homme qui descend plus bas, toujours plus bas, jusqu’à un moment
mystérieux où il commence à monter plus haut, toujours plus haut. Nous ne
sommes jamais montés de cette manière-là, parce que nous ne sommes jamais
descendus de cette manière-là. ». Et de rappeler la phrase de
Saint-François : « bienheureux celui qui n’attend rien, car il jouira de
tout ». Et Gilbert en vient à conclure que « la transformation de l’homme
juste en saint est une espèce de révolution, par laquelle celui pour qui tout
ce qui existe illustre et illumine Dieu, devient celui pour qui Dieu illustre
et illumine tout ce qui existe ». Gilbert nous emmène très loin et très
haut…
Un autre thème, celui de la louange. J’avoue qu’il m’en a
« bouché un coin » et pourtant c’est tellement évident… Un ami m’avait un peu
cloué le bec avec l’hymne de Saint-François d’Assise considérant qu’il s’agissait
d’une forme de panthéisme. Gilbert K. CHESTERTON répond : « ainsi s’élève de
cet abîme, qui est presque un abîme de néant, cette noble chose que l’on
appelle la louange, que nul ne comprendra jamais tant qu’il la confondra avec
le culte de la nature ou l’optimisme panthéiste ». Il considère en
effet que nous sommes là face à une sorte de poète qui loue réellement la
création « dans le sens de l’acte de la création ». « Le
mystique, qui remonte jusqu’au moment où il n’y a plus rien que Dieu, contemple
en quelque sorte les commencements sans commencement où il n’y avait vraiment
rien de plus. Il perçoit non seulement toutes choses, mais le néant d’où toute
chose fut tirée ».
Notre relation avec le monde et les choses. « Tous les
biens semblent meilleurs quand ils prennent figure de dons. En ce sens il est
certain que la méthode mystique nous fournit une très heureuse relation
extérieure avec tout ce qui existe ». Et il insiste bien sûr sur le fait
que plutôt que d’éloigner l’homme – le mystique – de la réalité, sa vie de
prière, sa vie surnaturelle le rapprochent de ce réel, de ce monde, de cette
nature, de ces choses qu’il reçoit comme des dons avec esprit de retour… Sauf
que « la dette et la dépendance deviennent vraiment des plaisirs en présence
de l’amour parfait ; on donne à ce mot un sens trop large et trop impur dans
des simplifications vulgaires comme la présente ; mais il est ici véritablement
une clef. Il est la clef de tous les problèmes que posent les mœurs
franciscaines à un esprit purement moderne ; et par-dessus tout il est la clef
de l’ascétisme. Que l’homme qui sait vraiment ne pas pouvoir payer sa dette
soit perpétuellement occupé à la payer, c’est le plus noble et le plus sain des
paradoxes. Il sera perpétuellement occupé à rendre ce qu’il ne peut pas rendre,
et qu’on ne peut pas attendre qu’il rende. Il sera perpétuellement occupé à
jeter des biens dans l’abîme sans fond d’une insondable reconnaissance. »
Et, pour conclure, une attaque qui démenti la mesure que je croyais avoir
identifiée dans ce livre de la part de notre auteur (!) : « les
hommes qui se pensent trop modernes pour comprendre cela sont en réalité trop
médiocres pour la comprendre ; nous sommes pour la plupart trop médiocres pour
la mettre en pratique ».
À ceux qui considéreront qu’un pareil ascétisme est hors
de portée des pauvres humains que nous sommes et qu’il y a dans les pratiques
sacrificielles chrétiennes de cette nature une forme de masochisme inconciliables
avec l’esprit du Christianisme, l’auteur répond : « son ascétisme même était
en un sens le comble de l’optimisme. Il exigeait beaucoup de la nature humaine
non parce qu’il la méprisait mais bien plutôt parce qu’il avait confiance en
elle ». Et il poursuit : « c’était un mystique du grand jour et de la
pleine nuit ; ce n’était pas un mystique de la pénombre. Il était le contraire
même de cette sorte de visionnaire oriental qui n’est mystique que parce qu’il
est trop sceptique pour être matérialiste. Saint-François était expressément
réaliste, au sens beaucoup plus exact qu’avait le mot au Moyen Âge. »
S’agissant des miracles qui ont entouré et accompagné la
vie de Saint-François-d’Assise mais aussi de ses stigmates qu’il reçut à la fin
de sa vie, fidèle à ce que nous avons déjà lu et vu de lui, Gilbert K.
CHESTERTON se rebelle contre tout ceux qui prendrait seulement une partie de l’histoire
sans cet aspect essentiel de la vie de ce grand saint. Pourquoi trier ?
Pourquoi ne pas tout accepter et refuser de prendre en compte ce qui fut attesté
par tous ceux qui entourèrent François de son vivant ? Refus donc du doute, du
scepticisme, de l’incrédulité qui nous font prendre avec nos pincettes
modernistes et rationalistes ce qui n’est pas rationnellement possible. Notre scepticisme
moderne, notre doute scientifique, nous font écarter une partie de l’histoire
sans autre argument que cette impossibilité scientifique. Nous avons tort.
Gilbert insiste.
Il est évident pour finir que l’héritage d’une vie comme
celle-ci devait nécessairement poser un problème. Que pouvaient devenir les
frères mineurs, les franciscains, dans le monde d’après, au cœur de l’Eglise ?
Cette succession pouvait être l’occasion de tous les excès. Dans son dernier
chapitre Gilbert K. CHESTERTON le met remarquablement en évidence, soulignant à
quel point la force et la puissance de l’Eglise fut de savoir donner sa place au
mouvement du Poverello tout en le préservant de ses excès ou dérapages. « La
question qu’avait à résoudre le pape était celle-ci : la chrétienté
absorberait-elle François ou François la chrétienté ? Et sa décision fut juste,
outre qu’elle répondait aux devoirs de sa charge ; car l’Eglise pouvait
contenir tout ce qui était bon dans les franciscains, et les franciscains ne
pouvaient pas contenir tout ce qui était bon dans l’Eglise ». Comment mieux
résumer la situation, mettre le mouvement des franciscains dans sa perspective
historique, dans sa vie ecclésiale ? Comment mieux souligner le rôle universel
de l’Eglise qui a su faire sa place à l’ordre des franciscains avec ses
particularités jusque dans les temps modernes…
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