dimanche 16 octobre 2022

LA LIBERTE D'EXPRESSION SUR LA SELLETTE

La liberté d'expression est sur la sellette. Intouchable, sacralisée elle fragilise l'édifice social à coups de provocations, de défis et de profanations. Paradoxe que nous ne voulons pas exprimer sous peine d’intolérance, voire de liberticide. Pourtant, ne ronge-t-il pas la trame sociale de l'intérieur ? N’est-il pas la cause de ce foutoir d’une parole désordonnée et hiératique qu’est devenue notre agora médiatique ?


Il ne vient spontanément plus à l'esprit de personne de dire qu'il ne faut pas penser "ceci" ou "cela", voire de ne pas le dire. Tout doit être dit, pensé, exprimé. Tout doit pouvoir être dit, pensé, exprimé. Principe cardinal. Emmanuel Macron, pape du en même temps, ne dirait pas le contraire. Celui ou celle qui le conteste est de facto considéré comme un ennemi de la démocratie, de la république, de nos valeurs, des principes fondateurs de la vie en société, plus même encore de l'humanisme. Héritage des lumières.

Or l'actualité récente nous montre que la liberté d'expression absolue et dérégulée cause bien des problèmes à notre société car elle se traduit par des désordres inacceptables. Il en va de la libre expression des imams dans le cadre de leurs prêches et plus généralement de tous les médias islamiques. Il en va également, sous l'égide de la Cour européenne des droits de l'homme, du droit de profaner qui vient encore d'être consacré par une récente décision au sujet des « Femens » qui avaient simulé l'avortement de Jésus dans l'église Sainte-Madeleine à Paris à la veille de Noël. Il en va encore des difficiles et douloureuses questions soulevées par l’assassinat de Samuel Patty et de leurs effets collatéraux dont nous savons qu’elles sont l'objet de tensions récurrentes dans un certain nombre de cités. il en va aussi de la pornographie sur internet qui détruit nos enfants. Je pourrais multiplier les exemples.

Doit-on poser des limites à la liberté d’expression ? Dans l'affirmative comment peut-on définir ces limites sans tomber dans un régime de censure ? Et plus encore, ne doit-on pas poser la question de savoir si la censure est acceptable ou si elle ne l'est pas ? Comment encadrer ce droit de libre expression sans tomber dans un régime totalitaire et en respectant la liberté de chacun 

La liberté d’expression est consacrée dans la plupart des environnements juridiques. Elle est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », ainsi que par son article 10 "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi." 

En revanche, la liberté d’expression est juridiquement affectée de limites :

– Ne pas porter atteinte à la vie privée et au droit à l’image d’autrui (pour des précisons complémentaires voir les fiches Vie privée et internet et Image et vidéo).

– Ne pas tenir certains propos interdits par la loi : l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre, les propos discriminatoires à raison d’orientations sexuelles ou d’un handicap, l’incitation à l’usage de produits stupéfiants, le négationnisme.

– Ne pas tenir de propos diffamatoires : la diffamation se définit par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Il est possible pour se défendre d’une accusation de diffamation d’invoquer l’exception de vérité, c’est-à-dire de rapporter la preuve de la vérité de ses propos.

– Ne pas tenir de propos injurieux : l’injure se définit comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.

– Il existe également des limites spécifiques telles que le secret professionnel, le secret des affaires et le secret défense.

– Certaines personnes, en raison de la fonction qu’elles occupent, sont tenues à un « devoir de réserve ». C’est le cas des fonctionnaires qui doivent exprimer leurs opinions de façon prudente et mesurée, de manière que l’extériorisation de leurs opinions, notamment politiques, soit conforme aux intérêts du service public et à la dignité des fonctions occupées. Plus le niveau hiérarchique du fonctionnaire est élevé, plus son obligation de réserve est sévère.

En droit la liberté d’expression n’est donc pas un absolu. Oui, mais... chacun place le curseur différemment selon son échelle de valeurs ; il est évident qu’il n’est pas le même pour Sandrine Rousseau que pour vous et moi… Le dernier mot revient au juge ; c’est là que tout se complique malgré les principes, ou à cause d’eux. Notre état de droit rappelle comme la Cour européenne des droits de l'homme - qui est le juge de dernier recours en la matière - vient de le faire dans le dossier des « Femens » [https://www.lefigaro.fr/actualite-france/femen-seins-nus-a-la-madeleine-la-france-condamnee-par-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-20221015] que : « En l'espèce, l'action de la requérante à laquelle aucun comportement injurieux ou haineux n'a été reproché, avait pour seul objectif de contribuer au débat public sur les droits des femmes ». La Cour note encore que les juridictions françaises se sont « bornées à examiner la question de la nudité de sa poitrine dans un lieu de culte, sans prendre en considération le sens donné à sa performance ni les explications fournies sur le sens donné à leur nudité par les militantes des Femen ». La CEDH conclut que les tribunaux français « n'ont pas procédé à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate ».

Nous le voyons, il s'agit pour les juges de ne rien peser du tout sous la seule réserve de l'absence de propos haineux ou injurieux. A l’aune de ce jugement tout peut donc être dit. Les réserves sont renvoyées à la marge.

La décision de la Cour européenne des droits de l'homme est choquante. A cette aune le droit positif de la liberté d’expression est aberrant. Nous sommes pris comme dans un piège. Comment s'en sortir ?

Il faut rechercher un critère objectif. Existe-t-il? Peut-on sortir de la casuistique fragile et non satisfactoire de la CEDH ? Sur le fond le fait de penser publiquement un crime, ou un délit, n'est-il pas en soi aussi répréhensible que de commettre le dit crime ou délit ? Je me référerai à une note ancienne de ce cher Jean Ousset qui apporte une bienfaisante lumière à notre réflexion sur ce sujet. [https://www.ichtus.fr/crimes-de-pensee-crimes-de-fait/]

« En se fondant sur le principe faux de la liberté absolue de penser, de parler, d’écrire, la société moderne s’est mise hors d’état d’opposer une barrière aux plus pernicieuses erreurs suivies de leurs innombrables désordres moraux et sociaux ».

Car, si le crime ou le délit sont condamnables comment peut-il se justifier que l'on puisse en exprimer la possible réalisation ? Certes, chacun est-il libre de penser ce qu'il veut. Mais ne savons-nous pas, chacun dans le secret de notre conscience, que l'imagination d'un fait condamnable, son entretien dans le cercle de l’intimité de notre pensée, conduit à nous y habituer, à nous y accoutumer et pourquoi pas à le faire ?  « Le “respect pour toutes les opinions” dont font profession tant des nôtres conduit logiquement à la justification, sinon à la liberté morale de tous les crimes ».

D’où le mot de Pascal : “Travaillons à bien penser, c’est le fondement de la morale”.

L'ordre dans une société, la paix sociale, ne peuvent pas résulter de la seule action répressive de sa police et de sa justice. Ils reposent en priorité sur le comportement moral de chacun et donc sur la libre adhésion de chacun aux fondements moraux qui justifient l’illicéité des crimes et des délits ; en clair, pour reprendre la terminologie catholique sur la conscience du péché qui se commet autant en pensée qu’en action…

« Car bien peu d’hommes parviennent non seulement à penser juste, mais à vivre selon la justesse de cette pensée. Saint Paul, lui-même, ne se plaignait-il pas de faire le mal qu’il détestait et de ne pas faire le bien qu’il aimait ? »

Si on ne peut instaurer une police de la pensée il est cependant d’évidence que la société doit faire régner un climat d’éducation et d’incitation à la pensée moralement juste, ce qui est la seule voie possible de la paix sociale.

La clé se trouve dans la conscience individuelle de la violation de l'ordre moral naturel.

Ordre moral ? Police de la pensée ? Voilà qui a mauvaise presse… Pourtant, le problème soulevé par les débordements de la liberté d'expression est bien celui de la morale non partagée : ce qui peut se faire et ce qui ne doit pas se faire. Et donc, par voie de conséquence, si on remonte le fil des causes ce qui peut se penser et ne doit pas se penser ; et donc ... ce qui peut se dire et ce qui ne peut pas se dire.

S'il n'est pas politiquement correct d'être moralisateur, la morale est nécessaire dans l'intimité du for interne qui est la seule vraie source de la paix sociale.

Au point où nous en sommes arrivés nous voyons encore une fois que les dysfonctionnements de notre société ont leur origine au niveau personnel de chacun. La contrainte n’y changera rien même si elle ne s’agit pas d'y renoncer car la société ne peut se désarmer. L’ordre ne se décrète pas, il se maintient, s'entretient, se préserve. Son délitement rend nécessaire une réforme morale individuelle acceptée et partagée, en préalable, en amont. La contrainte ne peut venir que pour réguler ce qui doit d'abord être apprivoisé. 

Comment en convaincre nos concitoyens infestés par le déni de toute morale partagée ? Comment obtenir une discipline de la pensée, de l'expression et donc de l’action librement consentie ?

Si le constat semble pouvoir être partagé à la lumière de ce raisonnement il y a loin de la coupe aux lèvres pour ce qui est de sa mise en œuvre. Ce qui ne nous empêche pas de commencer à notre niveau individuel et autour de nous…

Semper idem !

 

 

 

 

 

 

1 commentaire:

  1. Permets-moi deux commentaires, cher Bernard :
    1/ La CEDH étant de facto noyautée par nombre de juges inféodés à l’Open Society Foundation de M. Sorros, on imagine mal que ses décisions puissent entre protectrices d’un ordre moral quel qu’il soit…
    2/ Quant à la police de la pensée… Même Orwell aurait eu du mal à imaginer que nos sociétés démocratiques en deviennent les victimes !
    CR

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