Nous venons de fêter Pâques.
Je suis personnellement ébloui par la lumière de la
résurrection que j’ai tenté humblement d’intégrer dans mon for intérieur et dans ma
relation aux autres. Le chrétien ne vit pas une spiritualité déconnectée de la
réalité. Il est immergé dans le monde. Il ne peut s’en défaire. Il n’y est pas
un étranger. Or je suis envahi par un sentiment étrange. Comment fêter Pâques dans un monde qui n’est plus chrétien ?
L’évolution de notre société fait que la religion catholique n’est plus pratiquée et partagée que par une infime minorité. Certains pensent pouvoir encore imposer les conséquences de l’identité profondément chrétienne de notre nation au nom d’un passé glorieux dont ils espèrent qu’il pourra encore être une réalité partagée. Or ce n’est pas le cas. Ce n’est plus le cas. Je pense que dans le contexte actuel il s’agit d’une vue de l’esprit. Rien ne permet de croire que socialement, culturellement et politiquement les choses puissent aller autrement que dans ce qui semble être le sens inéluctable et mystérieux de l’histoire contemporaine.
Même si cela peut choquer, perturber et être à l’origine
de beaucoup de mal autour de nous, le cœur de nos concitoyens ne
bat plus au rythme de l’Évangile et de la parole du Christ. Comment encore se persuader du contraire lorsque l’on constate que vivre la passion du
Christ pendant cette période du carême est devenue un anachronisme ?
Certains ont festoyé le vendredi saint. Les restaurants étaient pleins. Le
jeûne et l’abstinence sont des bizarreries pour la majorité d’entre nous, comme
ces offices intenses et concentrés dans les jours saints qui précèdent la fête
de Pâques.
La question n’est plus de savoir si l’on croit ou l’on ne
croit pas - ce qui a toujours été - mais de constater que la force sociologique
et culturelle du christianisme a disparu. Plus rien ne pousse à être chrétien.
C’est même tout le contraire…
Autrefois, que l’on croit ou que l’on ne croit pas, on
savait quels étaient les critères du bien et du mal selon la morale chrétienne
; on n’ignorait pas que les catholiques essayaient de revivre la passion du
Christ dans le sillage de ce dernier ; on le savait, on le respectait, on
vivait avec des habitudes et des pratiques imprégnés de l’Évangile même si l’on
y adhérait pas. Il n’était pas incongru de proclamer « Jésus-Christ est
ressuscité ; oui il est vraiment ressuscité ! ». Chacun savait ce que cela signifiait.
Les chrétiens doivent ouvrir les yeux sur la réalité qui les entoure. Ce n’est pas un motif de tristesse ou de désespérance. C’est un constat qui a la force du réel. Il ne fait aucun doute que dans quelques décennies, sauf miracle, la chose sera encore plus vraie et prégnante.
Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à proclamer
la vérité d’un message qui doit pouvoir s’imposer mais qui ne peut plus le
faire comme cela était encore possible il y a 20, 30 ou 40 ans.
Durant ce carême grâce à la fraternité Saint-Vincent Ferrier, j’ai pu méditer le message de Fatima. Notre-Dame est apparue aux trois petits bergers portugais il y a à peine un peu plus d’un siècle. Son message est éternel et toujours aussi vivant. Comment le faire comprendre ? Comment y faire adhérer nos concitoyens ? Comment les faire adhérer à la puissance salvatrice de la prière ?
Nous ne pouvons que nous en remettre à la providence.
Être nous-mêmes sans illusion sur la nature humaine et son inaptitude foncière, parce que peccamineuse, à résoudre cette équation sans le recours de la grâce
divine dispensée par l’Eglise même si nombre de clercs nous
font douter.
C’est tout le mystère de notre chemin sur terre. Certains, avant nous, ont eu à le parcourir dans une société dont les structures portaient vers le bien selon la parole du Christ. Nous devons quant à nous cheminer avec un sentiment de solitude et d’incompréhension de la part du monde qui nous entoure. Cela ne doit pas pour autant nous décourager et nous faire perdre la force de la petite fille espérance selon le magnifique mot de Charles Péguy.
Dieu retrouvera toujours les siens. S’il nous appartient d’œuvrer afin qu’autour de nous la lumière du Christ brille encore, il ne nous revient pas de la faire triompher par nos seuls moyens humains. Tel est fondamentalement le message de la résurrection. La lumière vient du Christ ressuscité. Elle ne vient pas de nous. Notre seule vocation est d’être transparents pour que dans notre sillage cette lumière ne devienne pas obscurité, pour que nous ne mettions pas obstacle à sa diffusion, y compris dans les affres du mal et du péché, y compris lorsque ces derniers semblent devenir la loi communément partagée. Il ne faut surtout pas que par nos regards, nos actions, nos réactions nous laissions à penser qu’il puisse y avoir de notre part la moindre rancœur, le moindre manque d’amour, un quelconque manque de foi dans ce qui nous dépasse et nous transcende.
Qui nous dit ce que sera le jugement divin ? Comment pourrions-nous émettre ce jugement à la place de Celui qui a seul le pouvoir de le rendre, nous qui sommes habités par cette certitude que nous ne sommes personnellement même pas certains de pouvoir échapper à sa rigueur ?
Il faut beaucoup d’humilité. L’humilité consiste à dire
oui. Jamais à dire non. Accepter…
Pour cela, nous devons dans toute la mesure du possible nous affranchir de l’illusion que le monde doive nécessairement redevenir ce qu’il fut, par idéologie et par la prétention d'imposer notre manière de penser l’humanité selon une doctrine qui n’a rien perdu de sa vérité mais dont l’actualité sociale et politique ne peut plus être ce qu’elle fut. La force du chrétien n’est pas d’imposer. Elle n’est pas non plus de contraindre ceux qui l’entourent à croire, à espérer et à aimer conformément aux trois vertus théologales de la foi de l’espérance et de la charité. Elle est de témoigner de leur puissance et de leur vérité.
Bien sûr qu’un
ordre social-chrétien est à souhaiter pour notre monde. Bien sûr que nous
devons nous préparer à en être les artisans. Bien sûr que nous ne devons pas
renoncer à planter des semences d’éternité dans le temporel. Mais il faut
savoir être patient. Il faut aimer le monde tel qu’il est, avec tous ses
défauts, ses renoncements, ses reniements. Il faut l’aimer, il faut aimer sans
esprit de rancœur ni de retour, de manière gratuite. Il faut témoigner. Avec
réalisme. Avec conviction. Avec pragmatisme.
Le Christ ne nous demande pas de faire des miracles ;
cela est de son seul ressort. Il attend de nous l’exemplarité et l’esprit de
sacrifice. Il attend de nous la prière. Il attend de nous l'exemplarité et la fidélité à son enseignement et à ses commandements, en Eglise, dans Sa grâce.
L’éternité lui appartient. Il est l'unique maître du temps.
Cela ne m’interdit pas, bien au contraire, de vous souhaiter à tous de joyeuses Pâques !
Joyeux Temps Pascal à vous, cher Monsieur, et à tous vos lecteurs!
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