« Le sentiment d'insécurité » selon Elizabeth Borne fait couler beaucoup d'encre. Quelles leçons peut-on tirer de cette polémique ?
La maladresse n'est pas récente. Elle fut déjà commise
par Lionel Jospin dont il est vrai que notre actuelle Première ministre était
le chef de cabinet …
La politique butte sur le réel.
Chacun réagit à cette phrase avec son expérience personnelle
et sa confrontation avec l'insécurité qui l’entoure.
Au-delà du fait que ceci renvoie une fois encore à la
phrase de Charles Péguy pour qui « il ne faut pas seulement dire ce que
l'on voit mais voir ce que l'on voit », les débats qui s'instaurent à cette
occasion posent le problème de l'idéalisme en politique. L’idéalisme « ramène
le réel à la seule conscience du sujet pensant ».
La réduction du réel au sentiment qu’il inspire est le
produit de l'idéalisme en politique.
C’est en ces termes que le problème doit être posé, que
nous devons le poser, que nous devons oser le poser.
Ainsi, ne pouvons-nous pas nous contenter de protester
contre cette affirmation maladroite et déplacée. Nous devons aller plus loin.
Écoutons Gustave Thibon : « Il ne suffit pas
comme le veut Kant que la pensée s'accorde avec elle-même. La pensée d'un fou
peut à la limite remplir cette condition. Un fou est un homme qui a tout perdu
sauf la raison disait Chesterton : sa pensée est d'accord avec elle-même,
elle n'est en désaccord qu'avec le monde ».
Revenons à l’insécurité. Pourquoi la déclaration de la
Première ministre et avant elle celle de notre garde des Sceaux, et avant eux
celle du candidat malheureux à la présidentielle de 2002 sont-elles
inacceptables ? Parce qu'elles sont fausses. Parce qu'elles ne sont pas
vraies.
L'insécurité est réelle. La réduire à un sentiment est un
mensonge. Nous devons penser l’insécurité en vérité.
Le réel et le vrai sont intimement liés. Le réel n’est
pas la vérité en soi. Ma pensée n’est pas non plus la vérité en soi. Saint-Thomas-d
’Aquin nous donne la réponse : « la vérité c'est l'adéquation entre
l'esprit et le réel ». La vérité est une relation de conformité entre les
deux. Relation. Conformité.
Dans notre cas, l'idée politique avancée par notre première
ministre n'est pas en adéquation avec le réel. Elle est donc fausse.
Or, il nous faut reconnaître que nous avons une méfiance
vis-à-vis de la vérité. Nous la prenons comme une affirmation figée d'une
conception de la vie imposée par certains à partir de leur conception du réel ;
une forme d’idéologie…. Toutefois si la vérité était une idéologie elle ne
serait pas l’adéquation entre la pensée et le réel ; elle ne serait pas la
vérité …Si la vérité a mauvaise presse c’est parce qu’elle peut être
instrumentalisée. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut y renoncer ! Elle
est notre rempart contre les idéologies. Notre époque a cette redoutable manie
de rejeter les piliers fondateurs au prétexte qu’ils seraient fragiles après
les avoir soigneusement fragilisés….
L'exemple de l'insécurité illustre parfaitement cela.
Faire la lumière, en vérité, doit nous permettre de
trouver à plus ou moins brève échéance les moyens de résoudre, au moins
partiellement ..., le problème de l'insécurité à charge de tirer sur la pelote
des mensonges sur lesquels nous avons géré cette question par démagogie autant
que par système. Espérons-le.
Mais si la chose est vraie pour une question particulière
comme celle-ci, si s’agissant de l'insécurité l'idéalisme est une impasse, elle
l'est nécessairement pour tout ce qui relève de la politique.
Nous devons conclure que toute affirmation d'une idée qui
ne soit pas en adéquation avec le réel pour lui être imposée, sera une erreur.
Il y a un universalisme des notions fondamentales. Le
réel, la pensée et donc la vérité en font partie. Celles-ci doivent s'appliquer
en tout et pour tout.
Les exemples seront multiples.
La question est de savoir si grâce à la vertu d'un
exemple aussi fort que celui que nous sommes en train de vivre et des
conséquences qu'il y a lieu d'en tirer, nous serons suffisamment clairvoyants,
lucides et vigilants pour l'appliquer à d'autres matières, dans d’autres cas.
Les occasions ne manqueront pas ... L’avenir nous le dira.
Et ce n’est pas pour rien que le pouvoir cherche à
entretenir l’idéalisme sans lequel il perdrait sa relative et de plus en plus
fragile légitimité en pratiquant la diversion avec de nouvelles lois sociétales ;
même s’il est également rattrapé par le réel comme en matière éducative ainsi
que notre jeune, ambitieux et fringant ministre de l’Éducation nationale l’a
bien compris.
Est-il audacieux, voire déplacé, de faire un parallèle
avec l'archipel du goulag d’Alexandre Soljenitsyne dont nous célébrons le 50e
anniversaire ?
Non.
Pourquoi ?
L'archipel fut la dénonciation de l'une des
manifestations les plus cruelles et les plus insupportables du totalitarisme
d'une idéologie mortifère.
Toute idéologie est mortifère. Je garde toujours
précieusement la mémoire d'une image proposé par Charles Rambaud dans un inoubliable
topo sur le phénomène socialiste ; c’est un film dans lequel Charlot pressé
de partir en voyage jette toutes ses affaires avec précipitation dans une
valise qu’il ferme tout aussi rapidement de telle sorte que ses vêtements
dépassent de la valise une fois fermée ; alors Charlot, soucieux d'ordre,
prend une paire de ciseaux et découpe tout ce qui dépasse … il en va ainsi du
sort du réel dans l'idéologie...
Cela est vrai pour les petites choses de la politique
comme pour les plus grandes et les plus lourdes, car nous parlons d'universaux.
Le politique tient sa légitimité de son universalité dans et pour une société
donnée.
Je ne résiste pas à un autre exemple.
Le Figaro de ce jour rapporte. Dans un entretien accordé ce 10 décembre à la Tribune
Dimanche, la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, confirme
les annonces esquissées en octobre par Élisabeth Borne. « Avec la première
ministre et le garde des Sceaux, nous mettrons en place des travaux d'intérêt
général pour les parents défaillants, le paiement d'une contribution financière
pour les parents d'enfants coupables de dégradations auprès d'une association de
victimes et une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui
concernent leurs enfants.»
La seule question qui ne sera pas posée dans cette réflexion gouvernementale est celle de
l'éclatement de la famille alors que notre société, nos systèmes sociaux, notre
droit, notre économie, notre culture font tout pour prôner le modèle d’une
famille fragilisée pourtant en situation d'échec flagrant ainsi que cet exemple
le démontre. Idéologie, quand tu nous tiens!
Le réel s’impose tel qu’il est. Jamais le nier, pas plus
que nous ne pouvons le transformer en fonction de nos présupposés. Nous devons l’analyser
et en respecter les lois, ce qui implique de les identifier et les comprendre.
Il en va de l’insécurité, comme de la liberté, comme de la justice, comme de
tout ce qui relève de la politique.
A bon entendeur …
Semper idem !
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