Il est bon de revenir aux origines de l'affaire et à son contexte.
Éric Dupont Moretti a eu une carrière d'avocat pénaliste couronnée de multiples acquittements obtenus grâce à une stratégie qui ne fut jamais celle de la défense de connivence avec ses juges. Il était dans l'affrontement parfois violent, sans que ce soit la défense de rupture inventée par Jacques Vergès. Il fut donc toujours en conflit ouvert avec la magistrature. Ses succès ont été obtenus grâce à l'écoute des jurys populaires.
Il est dès lors évident que le choix du président de la
République d'en faire son ministre de la Justice était une provocation à
l'égard de la magistrature. Et il n'y a qu’à voir les
réactions immédiates des syndicats de magistrats pour s'en
convaincre: une "déclaration de guerre".
Dans ces conditions l’ouverture d'une enquête
administrative à l'encontre de magistrats au regard de l'exercice de leurs
prérogatives dans des dossiers dans lesquels le garde des Sceaux alors avocat s'était
plaint et avait comme il en avait l'habitude rué dans les brancards ne pouvait
que susciter des réactions et des rancunes, surtout que comme nous le verrons elle fut instrumentalisée.
Le décor est planté.
Je n'évoquerai pas les arrière-pensées politiques; tenons-nous en au contexte propre à l'institution judiciaire qui reste à mon sens le moteur de cette affaire sans oublier qu'il fut aussi le moteur du honteux mur des cons. La duplicité du Procureur Général Molins l'illustre de manière significative puisqu'il conseilla l'ouverture de l'enquête administrative qu'il mit ensuite en cause comme charge à l'encontre de son ennemi personnel Eric Dupont Moretti devenu son ministre!
La première affaire concerne trois magistrats du Parquet
national financier (PNF) qui avaient fait éplucher les factures téléphoniques
de M. Dupond-Moretti quand il était avocat dans le dossier de corruption dit «
Bismuth », lié à l’ancien président Nicolas Sarkozy – des « méthodes de
barbouze », avait-il estimé, peu avant sa nomination place Vendôme.
La seconde affaire concerne un ancien juge d’instruction,
auquel il avait imputé des méthodes de « cow-boy » et contre qui il avait porté
plainte au nom d’un client pour violation du secret de l’instruction.
Des poursuites ont donc été exercées à l’initiative de M. François Molins alors Procureur Général à la Cour de Cassation; cet homme qui est revêtu d'une célébrité qu’il tient tristement du fait d’avoir si bien parlé en public du déroulement de l’enquête sur les attentats de 2015.
Le
ministre était poursuivi pour prise illégale d'intérêt, délit prévu et réprimé
par l'article 432- 12 du code pénal dans son ancienne rédaction puisqu'il a
entre-temps et récemment été modifié. Il faut savoir que ce délit est la bête
noire de la classe politique …
La relaxe dont il a bénéficié est très étonnante dans sa
motivation.
"Sur l’élément matériel, l’arrêt de la cour rappelle que «
l’infraction de prise illégale d’intérêts se consomme par le seul usage du
pouvoir de décider d’un acte entrant dans les attributions de celui qui en est
prévenu ». Elle considère que « l’argument de la défense, selon lequel [une
enquête administrative] n’aurait pas de caractère disciplinaire et ne causerait
pas grief, est sans emport », et estime que, lorsque le ministre a ordonné
cette enquête pour le juge Levrault, il se trouvait bien « placé en situation
de conflit d’intérêts ». Dans le volet du parquet national financier (PNF), la
Cour estime qu’elle « n’a pas à se prononcer sur le bienfondé de l’enquête
administrative, […] dès lors que les décisions successives de saisir
l’inspection générale de la Justice (IGJ) […] sont des prérogatives exclusives
du ministre ».
Mais elle ajoute que, du fait des « reproches » faits peu
avant au PNF par Dupond-Moretti par voie de presse, mais aussi de sa « plainte
toujours en cours d’examen » à cette date, il se trouvait là encore « placé
dans une situation objective de conflit d’intérêts », ce qui est la reprise mot
pour mot de l’analyse de la formation parquet du CSM dans les avis rendus
s’agissant de ces mêmes magistrats (Dalloz actualité, 21 oct. 2022, obs. A.
Bloch et P.-A. Souchard). Bref, ces saisines de l’IGJ ont été « de nature à
compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans les
opérations dont il avait la charge d’assurer la surveillance et
l’administration » (C. pén., art. 432-12). Pour autant, la Cour considère «
qu’à aucun moment, son attention n’a été attirée, tant par ses services que par
la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur
l’existence d’un conflit d’intérêts ».
Dans son arrêt de renvoi devant la formation de jugement, la commission d’instruction avait rappelé « qu’en matière de prise illégale d’intérêts, l’intention coupable est caractérisée par le seul fait que son auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit ». Puis estimé que l’élément moral devait « s’apprécier au regard des compétences professionnelles avérées du ministre ». Or, ce dernier, « avocat pénaliste reconnu », pouvait d’autant moins « se retrancher derrière ses services pour s’exonérer de sa responsabilité » qu’un certain nombre de « questionnements », « d’avertissements » et de « mises en garde » avaient été portés à sa connaissance, qui auraient dû le conduire à « s’interdire » de prendre la moindre décision dans ces dossiers. Durant les débats, il fut d’ailleurs question de plusieurs alertes, lancées notamment par le directeur des services judiciaires (DSJ), mais aussi par au moins un syndicat de magistrats."
Ainsi les juges ont-ils retenu d’une part la réalité des
faits ce que malheureusement ce délit « fourre-tout » rendait possible, et
d’autre part l'un des arguments de la défense selon lequel Éric Dupond-Moretti
n'avait jamais eu ni l'intention ni la volonté de se venger.
Mais cet argument était inopérant et fragilise cette décision, l'exposant peut-être à une cassation.
Pourquoi ?
Il faut savoir que l'intention est un élément essentiel
de toute infraction pénale de nature délictuelle. La matérialité de l'acte ne
suffit pas. Il faut que le coupable en ait eu la volonté, celle de
commettre l'infraction. C'est ainsi que celui qui tue sans avoir voulu tuer
n'est pas coupable de crime.
La recherche de l'élément intentionnel est très subtil sur le plan
juridique. Et c'est à ce stade que l'on s'aperçoit que la décision rendue par
une majorité parlementaire est plus politique que conforme à l'orthodoxie
juridique. En effet si l’intention coupable est caractérisée du seul fait d’avoir
consciemment accompli l’acte constituant l’acte matériel alors l’intention de se
venger n’était pas nécessaire à la constitution de l’infraction.
Et eu égard à la jurisprudence pénale il est contradictoire
de soutenir que l'élément matériel soit caractérisé et qu'un homme aussi avisé
qu'un garde des Sceaux, anciennement avocat, qui plus est pénaliste, qui plus
est pénaliste de renom et de grande compétence, puisse ne pas avoir la
conscience d'avoir accompli les actes qui ont été caractérisés à son encontre !
Voilà pourquoi cette décision me semble marquée du double
signe de l'incohérence et de l'incompétence en même temps que par la volonté de
la classe politique de se protéger par rapport à des poursuites qui deviennent
obsessionnelles pour les femmes et les hommes qui nous gouvernent tant ce délit est pour eux
un risque potentiel permanent de poursuites judiciaires pénales.
Quelles conséquences peut-on tirer de cette
analyse ?
La première est que ce dossier était un règlement de
comptes. Tout le monde semble l'admettre de manière assez unanime et l'image
pourtant exceptionnelle du procureur général en a été grandement ternie, ce qui au passage révèle que la médiatisation n'est pas un brevet d'honnêteté intellectuelle et d'éthique.
La deuxième est que Éric Dupont Moretti et le ministère de la justice sous son autorité avaient décidé d'ouvrir une enquête administrative sur des comportements qui le méritaient largement. J'ai rappelé l'affaire du mur des cons. Je maintiens, et le Conseil d'Etat l'a jugé entre-temps, que la violation du secret des communications entre Nicolas Sarkozy et son ou ses avocats dont Éric Dupont Moretti, était illégale. Les magistrats français ne sont pas tous, et loin de là, à mettre dans le même panier de l'opprobre, mais il faut admettre que certains d'entre eux mériteraient qu'on les montre du doigt et qu'on dénonce leurs pratiques idéologiques, partisanes et politiques. À ce titre je ne peux que me féliciter de ce que mon ancien confrère dont je n'apprécie pas toujours les prises de position politique, et sa dernière ahurissante sortie à l’Assemblée Nationale contre les députés du RN sous l’œil rempli de jouissance de sa première ministre m’a conforté en cela, n'ait pas été condamné dans son entreprise qui relevait de la salubrité fonctionnelle du corps de la magistrature.
La troisième est que la Cour de Justice de la République
est une juridiction corporatiste dans laquelle les parlementaires se jugent entre
eux ; ce qui peut donner lieu à des dérives et à des décisions trop souvent
laxistes comme l'histoire de cette juridiction l'a démontré.
La quatrième est que de mon point de vue les
personnalités politiques en charge des responsabilités étatiques ne doivent pas
pouvoir être poursuivies pénalement ni disciplinairement sauf peut-être dans des cas exceptionnels, et en tous
les cas pas au titre de l'exercice de leurs responsabilités fonctionnelles.
L'état est garant de la justice nonobstant la séparation des pouvoirs. La
séparation des pouvoirs elle-même devrait interdire de telles poursuites. Les
responsables étatiques tiennent leur légitimité de l'Etat et donc dans notre
régime démocratique de leur élection. Seule l'élection peut les sanctionner. A défaut il en est fini de la légitimité du pouvoir.
La cinquième conséquence est que ce procès fut une
pantalonnade qui nous a encore une fois coûté beaucoup d'argent public, qui a
monopolisé l'énergie de l'Etat, du Parlement et de l’institution judiciaire, pour
rien, comme il fallait s'y attendre.
La sixième conséquence est qu’à l'avenir on a du mal à imaginer comment des relations normales vont pouvoir se poursuivre entre le garde des Sceaux et les plus hauts responsables de la magistrature française qui se sont engagés à son encontre dans ces poursuites ; qu'il s'agisse de ceux du Parquet et même des juges du siège qui ont présidé la cour de justice. Il faut espérer qu'il s'agissait d'une volonté politique. Dans ce cas elle me semble louable. Cette situation inédite est la conséquence du choix d'Emmanuel Macron de faire son ministre de la Justice de cet avocat turbulent, connu pour ses rapports conflictuels avec les magistrats. Reste maintenant à savoir si, oui ou non, nous allons rompre avec les dérives qui ont marqué le fonctionnement de l'institution judiciaire à son plus haut niveau durant ces dernières années et dont cette affaire est un nouveau révélateur nauséabond.
Le résultat est que la Justice ne sort pas grandie de cette affaire alors que nous en avons le plus grand besoin et que l'urgence est à ce qu'elle puisse être fermement rendue dans notre pays afin de répondre à l'attente de la majorité de nos citoyens particulièrement en matière de sécurité; ce pour quoi je ne crois pas que notre Garde des Sceaux ait autant de motivation que pour s'opposer à certains magistrats …
La justice déjà en crise est donc désavouée. Comment nos concitoyens peuvent-ils s'y retrouver alors que la légitimité de l'Etat est chaque jour un peu plus remise en cause ?
En effet, personnellement je ne m’y retrouve pas…
RépondreSupprimerMais qu’Acquitator, ennemi déclaré des magistrats, soit relaxé devant la CJR me semble plutôt rassurant sur l’impartialité de la Justice…
CR