vendredi 2 mars 2012

DES PARADOXES AU... PARADIGME

Il y a un paradoxe dans le postulat de Jean-Jacques Rousseau selon lequel « l'homme nait bon et la société le corrompt ». La société, désignée comme l'origine du mal, doit sans cesse être réformée; et, de réformes en réformes, l’homme en vient à attendre d'elle le bien qui est supposé le corrompre !
La toute-puissance scientifique, matérielle, économique et financière de ces dernières décennies, cette toute-puissance apparemment illimitée de l'homme sur le monde qui l'entoure, le progrès dont on le gave, n'ont fait qu'accentuer ce paradoxe tout en décourageant le citoyen d'en dénoncer les effets. Les moyens justifient la fin. Tout est inversé. L’évolution semble irréversible ; face à elle chacun se sent impuissant tout en attendant les jours meilleurs tant de fois promis.

Ce paradoxe a la vie dure. On voit néanmoins surgir des analyses de la crise de plus en plus concordantes qui dénoncent certains de ses aspects. En voici des illustrations qui invitent à sortir de ce paradoxe pour découvrir un nouveau paradigme social et politique.

L'économiste Hubert Rodarie, par ailleurs directeur général de la SMABTP, vient de publier un livre très intéressant sur l'analyse de la crise[1], parfois un peu ardu sur le plan technique et financier. Il lui apparaît qu’une des causes principales de la crise est la croyance dans la validité d'une représentation fausse de l'incertitude. « Cette croyance implante dans le système financier une vision réductrice des hommes réels, remplacés par des automates rationnels au sens de la théorie économique classique, et conduit à la négation de deux réalités : le risque que l'on croit pouvoir maîtriser voire annuler (normes prudentielles), et le temps, que l'on croit pouvoir aplatir voire oublier (normes comptables). Cette double négation a permis l'illusion prudentielle et comptable qui a fondé un optimisme collectif à la base de la dynamique de la bulle financière dont l'éclatement a eu les conséquences que l'on connaît. »

Hantés par le progrès et par l’illusion rousseauiste, nous voulons tout maîtriser. Maîtrise du risque. Maîtrise du temps. Sans aller toutefois jusqu’à la maîtrise de soi, car dans sa version contemporaine le salut ne peut être que collectif, C.Q.F.D...…

Le thème de la compliance[2] en vogue dans le domaine de l'entreprise en est une illustration. A force de prévention, de précaution on bride la capacité d’innovation et de création. Chacun est cantonné dans un rôle encadré, limité, prédéfini. L'imprévision est proscrite. Tout est programmable, programmé. L'action individuelle s'inscrit dans des projections, des modèles, des procédures. L'homme en devient incapable de prévoir autre chose que ce que les modèles annoncent ou laissent envisager.

Cette modélisation, qui peut devenir une robotisation, pourquoi pas jusqu’au « meilleur des mondes » décrit par Huxley[3]…, a un caractère anesthésiant, à l'image de l'idéologie de l'édredon… car la servitude est douillette… Aussi rassurante qu’inquiétante. Deuxième paradoxe …

La volonté de maîtrise se traduit par une réduction du rôle de l'homme à celle d'un simple rouage. Ce qui lui enlève sa capacité de dimensionner la vie autour de lui. L'homme perd ainsi à la fois la capacité de s'épanouir-il n'est pas heureux-et celle de conduire ses actions de manière morale, guidé par une éthique faute d’avoir le sentiment de pouvoir influer sur le cours des choses. Où est passé Aristote « il est clair que l'homme ne peut avoir l'intelligence pratique sans être bon » ?

L'évolution de l'éducation et de la conception universitaire de la culture générale sont significatives de cette mainmise de la technique et des procédures sur le savoir (voir mes précédents articles).

Un économiste socialiste hongrois du siècle dernier, revient actuellement à la mode ; il s'agit de Karl Polanyi[4]. Au centre de ses analyses, il évoque la désagrégation de la société et l'anthropologie de l'homme divisé en deux, matériel et idéal, avec une réduction du second au profit du premier sous le poids du déterminisme économique ; et il dénonce une vision « de l'homme qui est pauvre et irréel ».

Les conclusions de ces deux économistes, dont le premier est directeur général d'un grand groupe d'assurances, évoquent le nécessaire retour à un « humanisme intégral ». Troisième paradoxe qui renverse les deux premiers !

Et Hubert Rodarie, lui qui à l’inverse de votre serviteur est tout sauf un doux rêveur…, cite pour conclure son livre, le discours prophétique de l'un des plus spirituels des géants de la littérature de ces dernières décennies A. Soljenitsyne à Harvard « Le déclin du courage »[5] :

« Le monde, aujourd'hui, est à la veille sinon de sa propre perte, du moins d'un tournant de l'histoire qui ne le cède en rien en importance au tournant du Moyen Âge sur la renaissance : ce tournant exigera de nous une flamme spirituelle, une montée vers une nouvelle hauteur de vue, vers un nouveau mode de vie ou ne sera plus livré à la malédiction, comme au moyen âge, notre nature physique, il ne sera pas non plus foulé aux pieds, comme dans l'ère moderne, notre nature spirituelle. Cette montée est comparable au passage un nouveau degré anthropologique. Personne, sur la terre n'a d'autre issue que d'aller toujours plus haut ».

Il y a une logique destructrice dans une société qui, censée placer l'homme au cœur de son projet, censée en affirmer la bonté première, peut à ce point le priver de toute capacité d'initiative et de toute possibilité d'épanouissement. Le paradoxe a tout d’un piège…

Voilà pourquoi il faut en sortir et changer de paradigme. Nous devons décliner une autre manière de vivre en société. Croire qu'il est possible de refuser le fatalisme, d'incarner un mode de vie centré sur l'homme dans toutes ses dimensions, en plénitude; ce qui n’est pas un rêve mais constitue la seule véritable alternative. Par les temps qui courent les rêves sont au fond des urnes…

Nous devons lutter contre l'anesthésie de « l'assurance tout risque » et l'écrasement du temps. Moyennant quoi nous combattrons plus efficacement qu’avec notre seul bulletin de vote ce qui nous a conduits à l'impasse de ces paradoxes n'enfantant que des illusions perdues. Il est temps de briser les fers idéologiques qui nous retiennent et de sortir des paradoxes qui nous aveuglent, de planter solidement nos pieds dans les certitudes d'un réalisme intégral, et de nous recentrer sur des paradigmes dont nous n’avons plus la culture ni le courage. Et si la « petite fille rousse » de Chesterton nous montrait la voie !

[1] http://www.amazon.fr/Dettes-monnaies-syst%C3%A8me-%C3%A9c...
[2] http://www.cabinet-hawadier.fr/actualites-social-fr.html
[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Meilleur_des_mondes
[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Polanyi
[5] http://www.amazon.fr/D%C3%A9clin-du-courage-Alexandre-Sol...

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