mardi 24 avril 2012

JE SUIS EN COLERE...

Tout avait mal commencé. J'étais venu plaider ce dossier de divorce difficile, sans autre enjeu que l'honneur d'un homme tétraplégique, bafoué et abandonné par la femme qu'il avait aimée et qui avait accepté de fonder une famille avec lui alors qu'il était déjà dans cet état d'immense handicap physique. La magistrate, rompue aux affaires familiales, nous rappela que la procédure était écrite, que ma plaidoirie ne servirait à rien…. Elle ne voulait pas m'écouter même si mon client était présent et avait quant à lui besoin de m'entendre lui clamer sa soif de justice. A force d'insistance, j'ai pu plaider. Les dés étaient-ils pipés ? L'avion-nous indisposée ? Quelques semaines se sont écoulées. Le jugement est arrivé. Une bombe. Un monstre juridique et moral. J'ose l'écrire car c'est la vérité. Je ne sais pas comment mon client va pouvoir l'accepter. Il avait déjà des idées noires… Que vont-elles devenir ?

Le débat portait essentiellement sur la question de savoir si le mari avait interdit à son épouse d'avoir un enfant. Il le contestait et avait produit de nombreuses pièces pour rapporter la preuve de sa capacité à procréer, et de sa détermination à en avoir un ainsi que de la mise en oeuvre de tous les moyens nécessaires à cette fin. Voici la réponse du juge, froide, glaciale, incompréhensible :

La réalité est que le couple (qui en avait le projet) n’a pas eu d’enfant ni par la procréation médicalement assistée, ni par l’adoption.
 
Sans qu’il s’agisse de porter un jugement moral, il convient de rappeler que le mariage est un contrat dont le projet d’enfant était un élément essentiel du consentement de l’épouse.

Dès lors que ce projet n‘a pas abouti du fait de l’époux, le second grief est ainsi établi.


C'est proprement insupportable.

Le mariage n'est pas un contrat. C'est la première chose que l'on apprend au premier étudiant en droit en première année. Comment un magistrat dont c'est le métier de juger les divorces du matin au soir peut-il écrire une pareille monstruosité sauf à avoir réellement dans la tête et dans l'esprit que le mariage n'est qu'un contrat ? Ce ne peut pas être par ignorance. Ce ne peut être que de manière délibérée, ideologique.

Le projet d'enfant était un élément essentiel du consentement de l'épouse, sans doute. Et le mari alors ? Et ce mari tétraplégique, catholique pratiquant, comme son épouse …, n'avait pas lui le désir d'avoir un enfant ? Rien dans le dossier ne permettait d'affirmer une chose pareille. Lui qui prouvait s'être soumis à toutes les exigences les plus humiliantes de son épouse pour atteindre cet objectif… Pourquoi cette affirmation tendancieuse, partiale ? Pourquoi le laisser de côté, lui, de ce désir d'enfant ?

Le projet n'a pas abouti. C’est objectif. Mais le juge ne se pose même pas la double question qui lui était posée, la seule, pourquoi et était-ce du fait du mari ? Le mari avait-il volontairement posé un acte qui ait rendu impossible la survenance de cet enfant dans cette famille ? C'est cela qui lui était reproché ; c'était la chose à juger, à partir des pièces. Sur ce point, pas de réponse. Un véritable déni de justice…

Par contre, une réponse tombe, cinglante, inhumaine, amorale, le projet n'a pas abouti du fait de l'époux puisque c'est lui qui est atteint de cette monstrueuse incapacité qui le fait se déplacer dans une petite voiture ! Il ne s'agit donc pas de chercher une réponse à la question de savoir si de manière fautive il a posé quelque acte que ce soit pour rendre impossible la conception ou l'accueil d'un enfant, il est responsable, à cause de son handicap. La responsabilité sans faute s'applique maintenant en matière de divorce ! Et de la pire des manières, pour la plus insupportable des raisons, à raison de quelque chose contre quoi on ne peut pas combattre, à cause d'un état dans lequel le mari se trouvait déjà lorsqu'il se maria, de cet état qu'il porte comme une croix depuis un plongeon insouciant dans une eau insuffisamment profonde. Responsabilité insupportable!

J'ai froid dans le dos. Mon sang se glace. Où sommes-nous ? Quelle est cette justice ? Où est l'humanité ? Où est le Droit ?

Notre juge prend le soin de dire qu'elle ne veut pas porter un jugement moral, alors qu'elle tranche un problème exclusivement juridique. On ne lui demande surtout pas de faire la morale ! Elle a déjà tellement de mal à juger, en fait comme en droit… Mais alors, pourquoi le mépriser ainsi ? Pourquoi une pareille injustice ? Pourquoi lui faire autant de mal, au mépris de la vérité et de toutes les règles de droit ? A-t-on voulu lui faire payer son exigence morale, lui qui ne voulait pas demander le divorce pour des raisons religieuses…Pas de morale! Pas de principes!

Cette décision peut apparaître comme étant marginale, tant elle est caricaturale. Je la crois malheureusement révélatrice de bien des dérives du rapport de notre société avec la famille et avec la personne humaine. Révélatrice de l'un des paradoxes de notre société. Il faut rejeter toute discrimination, en même temps nous sommes incapables de traiter ceux qui sont différents comme ils doivent l'être. Nous en reparlerons… Elle révèle aussi le malaise de l'institution judiciaire et, il faut le dire, le problème de la formation et de l'état d'esprit d'une partie de nos magistrats. Il ne s'agit pas de généraliser. Mais une pareille décision, rendue au nom du peuple français, soulève cette question. Nous en reparlerons aussi même si je l'ai déjà évoquée à propos de mon analyse des problèmes contemporains de la justice en France.…

Ce qui est sûr c'est que, à cet instant, en tant qu'homme, en tant qu'avocat et en tant que catholique je suis révolté, et je suis inquiet pour mon client à qui il faut que je fasse comprendre et admettre cette décision insupportable. Lui qui doit déjà assumer son handicap depuis de très nombreuses années, aggravé par la détresse affective consécutive au départ de son épouse. Cela fait beaucoup. La nature humaine ne sait pas toujours tout supporter.… Alors, amis lecteurs, je souhaitais vous faire partager ma colère, mon souci et la détresse de ce justiciable pour que vous les fassiez vôtre, pour que celui-ci sache aussi que des amis penseront à lui et qu'ils le soutiendront par la pensée dans cette nouvelle et cruelle épreuve que la vie lui impose. Et puis aussi, pour que vous en parliez et que cela se sache ! Il n'y a rien de pire que l'indifférence….

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