L’intelligence artificielle nous
plonge dans l’univers de la science-fiction devenant réalité. Elle nous
affole et nous attire, exerçant sur nous le pouvoir de fascination et de rejet exercé
par la puissance sur l’homme. Après avoir transformé le monde de l’industrie,
le robot s’attaque à celui du savoir. Il remet en cause l’exercice des métiers
dont il semblait le plus éloigné, à l’exemple de celui d’avocat, lui-même en
proie depuis les dernières décennies aux forces de dislocation de la modernité
et de l’argent.
Entre tradition et modernité.
Le hasard a fait qu’au
moment où mon meilleur ami attirait mon attention sur l’existence des articles [1]relatant
l’arrivée du robot dans les cabinets d’avocats américains et l’immixtion de
l’intelligence artificielle dans l’exercice de notre profession en Europe,
j’étais en train de lire la biographie de Jacques ISORNI[2].
Lui qui écrivait dans la fièvre verte
en 1975 « je refuse d’appartenir à
ce monde privé de chair, vidé de sens et dénué d’entrailles ». Lui
pour qui l’avocat devait rester « un
merveilleux anachronisme artisanal, presque biblique », pour qui sa
fonction était aussi ancienne dans la cité que celle de la prostituée, l’une
correspond à nos désirs de chimères l’autre à ceux de notre chair. Lui qui écrivait
« si l’avocat cesse d’être un
anachronisme c’est lui qui cessera d’exister », au même moment où
Albert NAUD, autre grand nom de la profession, dans les
défendre tous « ce jeune
barreau qui rêve à ce temps béni où il couchera dans la même chambre que le
mania des affaire pour lui servir sa consultation matinale ». Le temps
est-il venu pour les avocats de devenir les « fonctionnaires appointés des sociétés fiduciaires » stigmatisés par
Jacques ISORNI et de perdre leur âme ?
Notre profession a indirectement
abordé ce débat, de manière négative, dans la réaction et l’opposition, à
l’occasion de la réforme imposée contre son gré par Madame Taubira et Monsieur
Macron. Réforme à laquelle je ne fus pas le dernier à m’opposer, même si il m’apparaissait
déjà à l’époque que nous devions engager une nécessaire réflexion sur notre
avenir[3]. Deux
ans plus tard nous continuons de nous adapter à reculons tandis que le robot
avance de plus en plus vite sans états d’âme…
Nos anciens avaient tort car
il ne sert à rien de refuser des évolutions qui nous poussent, qui nous précèdent,
et auxquelles nous n’avons pas les moyens de nous opposer ; même sils
avaient par contre raison d’affirmer l’indispensable préservation de l’ADN d’une
profession aussi vieille que l’homme et sa cité, et dont la subsistance reste
la marque comme le signe de la persistance d’un authentique humanisme. L’équation
est-elle impossible à résoudre ? La contradiction est-elle insurmontable ?
La destruction de l’humain par le robot est-elle inéluctable ?
Les clés du futur.
Dans son livre les clés du futur Jean STAUNE[4]
explique que « le défi économique de la
société post-capitaliste consistera à assurer la productivité du savoir et des
travailleurs du savoir ». Il estime que nous avons connu trois révolutions
en trois siècles : l’application du savoir à la technique, l’application du
savoir au travail et enfin l’application du savoir au savoir lui-même. Le
savoir est aujourd’hui maîtrisé et intégré par la technique. Les intelligences
humaines individuelles semblent devoir souvent fusionner en une espèce de méta
intelligence collective qui avait été en son temps imaginée par Teilhard de
Chardin. Les connaissances sont dupliquées, vulgarisées, mise à la disposition
de tous via un mode de communication marqué par la facilité et l’absence de
barrières ; elles sont « démocratisées ». Tout devient gratuit.
Jean STAUNE poursuit « quand vous êtes
dans un domaine lié de près ou de loin au numérique il faut aller au gratuit
sans attendre que le gratuit vienne à vous ».
Comment dépasser et assumer cette
incongruité ? Car les acteurs économiques que sont devenus les avocats,
ont pour vocation non pas seulement d’apporter la plus-value de leur savoir et
de leurs compétences, mais aussi de gagner leur vie. Des acteurs économiques
importants disparaissent. Wikipédia a détruit l’empire de l’ENCYCLOPEIA
BRITANNICA. Les exemples existent à la pelle… Est-ce le tour prochain de l’avocat
à l’échelle d’une ou deux générations ?
L’avocat marchand de droit, une
proie trop facile.
Quelle doit être, qu’elle
peut-être la relation de l’avocat avec l’intelligence artificielle, avec la
robotisation, s’il veut subsister ? Il ne fait aucun doute qu’après la
disparition de certains emplois dans nos cabinets comme ceux de dactylo qui
n’existeront définitivement plus dans quelques années, nous allons voir
disparaître des emplois plus qualifiés. Progressivement, en devenant toujours
plus intelligente, la machine, le robot vont prendre une place grandissante
dans notre exercice quotidien. Nous le vivons déjà concrètement avec
l’utilisation de l’ordinateur, des logiciels de plus en plus performants, de la
reconnaissance vocale, de l’utilisation des moteurs de recherche. Les
collections du jurisclasseur ont disparu de nos cabinets. Le robot a déjà
pénétré nos bureaux. Sauf que jusque-là nous n’y avons vu que des avantages
parce qu’ils ne nous concurrençaient pas encore…
L’évolution de la profession
depuis la fusion avec les conseils juridiques en 1991 est caractérisée par un modèle
professionnel et économique dans lequel les avocats se sont engouffrés en
surfant sur la vague, bénéficiant des apports de la technique et du début de
robotisation pour proposer un service de moins en moins intelligent, de moins
en moins spécifique et propre à leur art. Ils sont ainsi devenus une proie facile
car ils ont eux-mêmes fragilisé leur situation. Ils ont cru pouvoir bénéficier
d’une évolution qui se retourne contre eux. Voilà que la réalité les dépasse et
les menace après les avoir tant aidé…L’ubérisation, les blockchains, la
robotisation des emplois à valeur ajoutée, la LEGAL TECH à la française[5]
deviennent leur cauchemar après les avoir fait rêver !
Les voies d’une modernité
mâitrisée.
Rien n’est pourtant perdu à
la condition de réagir, de prendre notre destin en demain et de conduire une
réflexion prospective. Les axes de réflexion sont nombreux.
- Inventer
des modèles économiques utilisant et maîtrisant la numérisation, la
duplication, la libéralisation, la gratuité de l’accès aux connaissances
via internet, la possibilité d’évaluer les chances de succès d’une action
et d’en déduire une valorisation de notre savoir-faire, l’efficacité des
plateformes d’ubérisation et la possibilité pour des acteurs individuels
de s’opposer aux réseaux les plus puissants. La liste n’est pas exhaustive…
- Se
positionner sur les contentieux nouveaux que cette évolution va générer.
Certains ont déjà commencé[6].
- Imaginer les moyens d’adapter l’avocat à la robotisation afin de la dominer et de l’influer, pour apporter une plus-value professionnelle et économique, le robot nous renvoyant à cette évidence trop oubliée que l’avocat n’aurait jamais dû devenir un banal et vénal marchand de droit.
- Et
donc sortir du piège dans lequel l’avocat s’est progressivement laissé
enfermer, aveuglé par les mirages de la technique et inconscient de ce que
progressivement il était en train de perdre son âme et surtout ce qui le
distinguait d’un simple serveur de services automatisés et répétitifs.
L’un des enjeux sera de faire
valoir notre savoir-faire, notre capacité d’empathie, d’écoute, de stratégie,
d’assistance. L’exercice du droit par l’avocat peut ne pas être un service pouvant
être rendu par des machines toujours plus intelligentes mais de manière
artificielle et sous l’impulsion de l’homme.
Si les avocats devaient ne
pas être capables de résister à cette évolution et de la maîtriser cela serait
le signe de la victoire du robot sur l’humain. Comme le soulignait la réaction
de nos anciens, parce qu’il est l’un des plus vieux métiers de nos sociétés, l’avocat
est aussi le signe vivant de la persistance de la liberté, de la conscience, du
besoin de justice, de ce qui fait l’humain et par voie de conséquence de la
civilisation. Telle est la gageure ! Pour cela il faudra relever les défis
de cette évolution. Nous y reviendrons certainement !
[1]
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/27/une-intelligence-artificielle-fait-son-entree-dans-un-cabinet-d-avocats_4927806_4408996.html.
http://www.huffingtonpost.fr/2016/05/13/ross-le-premier-robot-avocat-embauche-dans-un-cabinet/
[2]
http://www.margesdemanoeuvre.fr/_isorni.php
[3]
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/12/05/31003-20141205ARTFIG00421-reforme-de-la-justice-les-avocats-doivent-s-opposer-a-ce-texte-de-toutes-leurs-forces.php
[4]
http://www.plon.fr/ouvrage/les-cles-du-futur/9782259217477
[5]
http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/l-intelligence-artificielle-ia-sera-t-elle-l-assistance-juridique-du-futur_108239.
[6]
/www.alain-bensoussan.com/avocat-intelligence-artificielle/
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