Notre époque est
marquée par le triomphe de l'injustice et la dégradation des mœurs. Existe-t-il
un lien entre le droit et les mœurs ? Celles-ci conditionnent-elles la
formation du premier ? Celui-là a-t-il et doit-il avoir une influence sur
l'évolution des secondes ? La difficulté des réponses à ces questions est
aggravée par notre perte de repères philosophiques et sémantiques. Que sont le
droit, la justice, les lois, les mœurs, la morale ? Nous avons tous
présent à l’esprit le célèbre « Moins de lois, plus de mœurs » ; laissant
entendre que la force morale des personnes serait inversement proportionnelle
au nombre de lois. La logique des rapports entre les lois et les mœurs est plus
complexe que cet apparent jeu de vases communicants. On ne peut pas s’en tenir
à la logique moderne, pluraliste, utilitariste et positiviste dont les
postulats philosophiques sont erronés et les résultats politiques et
sociaux désastreux. La question est de savoir si le droit doit, oui ou non,
suivre les mœurs, voir les dépasser, sans s’arrêter au seul rôle réducteur et
normatif de la loi.
LA
CONCEPTION CLASSIQUE.
Les Grecs avaient
un véritable culte de la loi ; ce qui n'a pas empêché Aristote de
concevoir le droit comme une entité totalement distincte des lois. Conception
reprise, poursuivie et aboutie avec le droit romain. L'art juridique n’y était
pas utilitariste. Il était recherche inlassable, permanente, inépuisable et
toujours renouvelée de la justice dans les rapports sociaux. Il était le moyen
nécessaire à la mise en œuvre de la justice particulière, qui fut alors distinguée
de la justice générale. Le rôle du droit était d'attribuer à chacun « le
sien ». Il avait trait au monde de l'avoir et non pas au monde de l’être.
Il était dans les choses, réel et objectif, isolé et distinct de la morale. Le
moralisme s’attache à l'analyse de la conduite des individus, alors que le
droit observe les rapports sociaux. Et Aristote rejette de manière catégorique la
définition du droit selon laquelle il serait un ensemble de règles de conduite.
Les grecs, et les romains dans leur sillage, ont donc eu le culte de la loi
autant qu’ils ont développé la science d’un droit au-dessus des lois,
structurant la vie sociale dont il était l’épine dorsale.
Le système thomiste
reprit à son compte l'héritage gréco-romain. Pour lui « la loi injuste
n’est pas une loi ». Il a consacré l'idée d'un droit produit de l'histoire
et de la sédimentation progressive des mœurs structurées par la morale et la
loi. Marqué par le fait que le droit n'est pas impératif, il n'impose rien car
il ne se réduit pas à la norme. Il sanctionne afin de rétablir la justice.
LA
RÉVOLUTION PLURALISTE ET RELATIVISTE
Nous avons rompu
avec cet héritage classique avec Descartes, et avec le contrat social de Rousseau.
L'autorité politique, régulée par la séparation des pouvoirs, exerçant la
souveraineté au nom du peuple, a été investie du pouvoir non pas seulement de
diriger mais de dicter les modes de vie. Avec cette révolution le droit est
devenu impératif renonçant à la conception classique d'un droit produit de la
sédimentation historique des mœurs. Il s'affranchit de l'histoire, du temps
long, pour entrer dans la modernité pluraliste et relativiste. Il abandonna la
conception objective d'un droit tourné vers la recherche de la justice
particulière. Le droit devint l'outil d'une politique ; il impose. Il se
réduisit à la production législative, expression moderne d’un pouvoir
s’exerçant dans la transformation de la société. Son arme devint la loi. Sa
justification le positivisme normatif.
LA
MORALE ET LE DROIT
La confusion du
droit et de la loi a gommé la distinction ancienne entre le droit et la morale.
La morale, qui est relative aux comportements individuels, est repoussée dans
le for interne de chacun. Car, si dans le système romain on pouvait considérer
qu'il n'appartenait pas aux juristes de rendre les hommes vertueux, ce qui
était le rôle de la loi, dans le système moderne la loi ne cherche plus à
rendre l'homme vertueux. Privée de sa soumission à la recherche supérieure de
la justice dans les rapports sociaux, qui était le seul objet du droit, la loi,
investie d'un pouvoir nouveau, absolu et dévastateur, est soumise au dogme
pluraliste. Tout doit être possible selon les caprices de l’instant; rien
n'étant interdit, ni proscrit, en l'absence de toute morale objective et
susceptible d'être imposée à qui que ce soit. L’homme n’est soumis à aucune
autorité morale. Cette conception place le droit sous l’emprise de l’évolution des
mœurs. Le droit devient un outil au lieu d’être une référence tournée vers une
exigence. Il s’en suit une instabilité et une fragilisation du lien social,
privé du soutien du droit qui a perdu son efficacité structurante et
civilisatrice.
LE
JUGE ET LE DROIT
Pour sa part, le juge
ne dit plus le droit qu’il appliquait autrefois à des situations données afin
de rétablir la justice particulière entre les citoyens. Il applique des textes
en s’abstenant d’exercer toute influence sur les mœurs dont le droit n’est plus
la colonne vertébrale. La mutation s'étant traduite par une prolifération
exponentielle du nombre de lois et de règlements, pour le praticien le droit
est devenu une technique d'interprétation et de mise en œuvre de textes
multiples et variés, à la complexité croissante. L'œuvre de justice est devenue
technique. Elle est étouffée par la difficulté de la mise en œuvre des textes
et de leur application aux cas particuliers. Anéantie, infestée par
l'application des lois et des règlements, elle évacue la recherche de l’équilibre
subtil et enrichissant de la satisfaction du besoin de justice au cœur des
relations humaines et des rapports sociaux.
LE
DROIT ET LES MOEURS
Dans le système
classique il y avait une interactivité constante entre le droit et les mœurs. Le
droit exerçait une fonction structurante dans la vie sociale. Grâce à la
conception historique qui présidait à l'élaboration du droit, dans le temps
long, il était le produit d'une cristallisation d'un certain nombre de modes de
vie et d'habitudes que le filtre juridique permettait d'intégrer dans le droit.
A l’inverse, avec la conception moderne, le droit s'est affranchi de cette
conception historique en même temps qu'il a été absorbé par une production
législative à la vocation prométhéenne et pluraliste. Du coup les mœurs sont
les laissés-pour-compte de cette évolution et du droit. Privées de références à
la morale, elles sont abandonnées au bon vouloir de chacun. Dans un univers
pluraliste et relativiste les mœurs se dégradent sans que le droit devenu un
arsenal de lois et de règlements ne puisse jouer aucun rôle structurant et
civilisateur. L’œuvre législative ne cherche plus à préserver de bonnes mœurs, sources
de bien et garde-fou contre le mal. Pire, parce que la morale est laïque, les
mœurs sont abandonnées à un libéralisme libertaire qui s’est fait une gloire de
les libérer et de les affranchir des vieilles lois morales d’un autre temps,
dépassées, ringardes et frustrantes. Tout a été inversé. Les exemples sont
légion des choix de réformes dites de société qui privilégient des situations à
l’origine d’une déstabilisation systématique de la société.....
CONCLUSION
Au terme de cette
analyse, sommes-nous en mesure de répondre plus précisément à la question posée
?
Il y a une
déconnexion entre le droit et les mœurs, au nom du pluralisme et du relativisme
; en vertu du laïcisme. Pour autant, les mœurs sont tributaires du droit. Il ne
peut pas en être autrement. Le droit ne peut pas survivre à cette conception
pluraliste. Les mœurs quant à elles se dissolvent du fait de la déstructuration
du droit. Le droit et les mœurs sont si intimement liés qu'il y a grand danger
à ce que dans une société il n'y ait pas de cohérence entre les deux. Les
effets pervers de toutes les réformes de société en sont l’illustration.
Mais si les évolutions
contemporaines ont pu provoquer une dégradation des mœurs, à l'inverse les
bonnes mœurs répondent à un besoin naturel de stabilité et de structure dans la
vie de l’homme en société. La reconnaissance de ce besoin, qui s’exprimait dans
la sédimentation évoquée plus haut, peut être à l'origine d'un retour à une
conception classique du droit ; précisément par nécessité, et grâce à la
force structurante du droit naturel en tant qu'il innerve la vie sociale.
Nécessité fait loi.....
Il s’agit de faire
revivre le tissu social plutôt que de le transformer. Le droit est un besoin.
Les bonnes mœurs aussi. Il ne sert à rien de les opposer. Le juste équilibre,
dans l’alchimie de leurs relations, ne doit pas être perturbé par une
conception erronée du pouvoir de l’homme sur la société et de la loi devenue
son instrument privilégié. Tel est l’enjeu de la vraie réforme dont nous avons
besoin.
Cet article est paru dans la revue "PERMANENCES". http://www.ichtus.fr/donner-la-france-a-aimer/
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