Le
droit d’asile est un concept aussi ancien que d’actualité. Il en résulte des
risques de confusion ou d’anachronisme dans la réflexion et l’analyse.
Hérité
des grecs et des romains - le mot "asile" provient du grec ancien
–asylon- " que l'on ne peut piller" et du latin "lieu
inviolable, refuge" – il sera consacré par la constitution du 21
novembre 419 à l’époque de Saint
Augustin, puis par le Code Théodosien. Il tomba en désuétude au XVI° siècle pour
être ensuite reconnu par le pouvoir temporel et être consacré dans la
convention internationale de Genève, en 1951, dans l’immédiat après-guerre. Il
s’agit alors de répondre aux problèmes posés par d’importants déplacements de
population ; réponse ancienne donc à un phénomène migratoire nouveau, d’une
nature différente de celui que nous connaissons aujourd’hui.
La
question du droit d’asile nous préoccupe aujourd’hui, non pas tant à cause de
la « énième » réforme dont ce droit fera l’objet de manière cosmétique
par le nouveau pouvoir, mais parce que nous sommes confrontés à l’échelle
mondiale, à des mouvements de population inquiétants. D’ailleurs, dans un réflexe de protection et de suspicion,
les populations occidentales ont tendance à apprécier la revendication par les
migrants du statut de réfugié et du droit d’asile, comme étant dévoyée et
détournée.
La
question se pose tout d’abord à nous de savoir si nous devons rester dans le
débat récurrent qui anime les chrétiens de manière caricaturale, ainsi que les
réactions aux déclarations du pape François en ont été l’illustration ;
débat qui oppose d’un côté la générosité et l’obligation d’accueillir l’étranger
fuyant son pays d’origine et de l’autre côté la nécessité de préserver le bien
commun, l’équilibre de nos sociétés afin que l’accueil ne soit pas destructeur de
la société accueillante. De cela, Jacques Bompard et son épouse ont été les
porte-parole authentiques et fidèles dans une lettre illuminée de vérité qu’ils
remirent en main propre au pape François après les déclarations dites de
Lampedusa[1].
En
même temps nous ne pouvons perdre de vue que pour l’homme de la Bible, le
devoir d’accueillir l’étranger n’est pas un commandement abstrait, mais
s’inscrit dans une expérience, celle d’avoir été soi-même « étranger » : «
L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu
l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte »
(Lévitique 19, 34). En raison de l’identification de Jésus à l’étranger
accueilli (Mt 25, 35) l’attitude du chrétien envers les étrangers ne sera
jamais une question seulement éthique et politique : c’est une question
théologale, comme le soulignait Jean Paul II dans son message de 1998 : « Pour
le chrétien, l’accueil et la solidarité envers l’étranger ne constituent pas
seulement un devoir humain d’hospitalité, mais une exigence précise qui découle
de la fidélité même à l’enseignement du Christ ».
Ce
dilemme est une réalité qui divise le chrétien, plutôt que les chrétiens…. Et
l’actualité lui donne un écho grandissant.
Ceci
étant qu’en est-il du statut du réfugié ? Au sens de la Convention de
Genève à laquelle l’Eglise sous l’impulsion de Pie XII participa de manière
active, toute personne "qui par suite d'événements survenus avant le 1er janvier
1951 et craignant avec raison d'être persécutés du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou
de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité
et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays".
Le
10 août 1952, dans la constitution apostolique « Exsul familia »,
considérée aujourd’hui comme la grande charte de la pastorale des migrants, le
pape Pie XII réaffirma le droit fondamental de la personne à émigrer.
Dans
le même temps, quelques années plus tard, Saint Jean Paul II réaffirma le droit
de ne pas émigrer !... ; c’est à dire d’être en condition de demeurer
sur sa propre terre : « le droit primordial de l’homme est de vivre dans
sa patrie : droit qui ne devient toutefois effectif que si l’on tient
constamment sous contrôle les facteurs qui poussent à l’émigration » (Discours
au IVème Congrès mondial des Migrations, 1998).
Ces
rappels permettent de replacer les mouvements migratoires que nous avons subis,
subissons et subirons, dans le contexte maintes fois rappelé de la nécessité
d’une aide au développement dans les pays d’origine pour précisément permettre
aux candidats à l’immigration de ne pas se retrouver en position de réfugiés
chez nous. Mais ce faisant, nous abordons la question avec un prisme plus large
que celui de la Convention de Genève et de ce que nous entendons habituellement
par réfugié.
La
question du réfugié au sens de la Convention de Genève serait-elle un leurre ?
Le problème n’est-il pas ailleurs ? Le droit d’asile et la reconnaissance
du statut de réfugié ne seraient pas en question si nous n’étions pas
confrontés à un mouvement migratoire considérable et susceptible de se
développer dans les années à venir eu égard aux problèmes démographiques africains.
Derrière la question du droit d’asile et du réfugié se pose en réalité aux
nations européennes celle de l’accueil que nous devons réserver à ces
populations qui arrivent sur leurs rivages méditerranéens. Des populations qui
revendiquent le statut de réfugié, auquel elles n’ont pas droit, et qui
néanmoins nous demandent de les accueillir et de leur accorder une forme dénaturée
de droit d’asile. Or nous savons qu’au-delà des déclarations d’intention de nos
pouvoirs politiques, la majorité de ces réfugiés ne répondant pas aux
conditions de la Convention internationale ne sont pas renvoyés dans leur pays
d’origine.
Derrière
le réfugié se cache le migrant. La question posée à Lampedusa qui nous divise, est
celle de l’accueil du migrant, véritable nouveau réfugié du XXIe siècle. C’est
celle que nos politiques tentent de traiter maladroitement avec des quotas et
qui est en train de faire exploser l’union européenne.
Telle
est la question que nous aurons à traiter, et que nous ne serons incapables de
résoudre si nous ne parvenons pas à remettre le pied en Afrique ; question
que nous ne pourrons par ailleurs pas éviter encore très longtemps sous le seul
prétexte de la remise en cause de l’équilibre de nos sociétés et du bien commun,
même fondée et légitime, sauf à hérisser des murs….
Tant
que les pays occidentaux exerceront leur pouvoir d’attraction par l’entretien
de l’espoir d’une situation matérielle économique meilleure, l’équation sera
impossible à résoudre. Mais ils n’ont pas que cela à offrir et à proposer,
comme l’aventure de la colonisation l’a démontré. Toutefois, l’étendard des
droits de l’homme, ou de valeurs sans sève ni racines, ne suffit pas…surtout
lorsqu’il ne sert qu’à nous désarmer moralement et culturellement. Il y a là un
paradigme à renouveler.
Nous
ne pourrons pas en même temps faire l’économie de la redéfinition du réfugié de
demain. Mais selon quels critères ? Pourra-t-on continuer d’opposer les
migrants économiques aux migrants politiques voire religieux ? Ils
arrivent tous par les mêmes bateaux, certains étant poussés par le déséquilibre
démographique et économique entre l’Afrique et l’Occident et d’autres étant
chassés de chez eux pour des raisons politiques ou religieuses.
Pourrons-nous
continuer encore longtemps de ne pas reconnaître un statut de réfugié, mais
lequel ?, à nombre de ces migrants qui ne satisfont pas aux conditions de
la Convention de Genève ?
Quelle
attitude collective et politique devrons-nous adopter ? Le propre d’une
politique est de s’adapter aux circonstances. Nous entrons dans un autre monde.
Nos certitudes dogmatiques, et les principes érigés dans un contexte
incomparable avec la situation actuelle, seront bien vite obsolètes. La
lucidité nous impose d’ouvrir les yeux sur les défis qui nous sont lancés. Il
ne s’agit pas en même temps, car tout est lié, d’accepter la constitution d’un
multiculturalisme d’Etat ; mais aurons-nous les moyens de l’éviter ?
Il
ne nous resterait plus alors que la réponse individuelle animée par l’Evangile,
sans la protection d’un Etat gardien du bien commun. Est-ce à cela que nous
devons nous préparer ? La pente inexorable de l’histoire laisse à le
penser, sauf pour nos Etats à enfin mettre en œuvre une politique de défense
d’un bien commun repensé et actualisé à une situation inédite et impensable
lorsque furent imaginés les statuts du réfugié et du droit d’asile.
[1] Or, souligne la lettre, «
alors même que nombre de nos proches souffrent de la misère matérielle et
spirituelle la plus grave », la France et l’Europe « auraient l’obligation
morale d’accueillir non seulement les réfugiés de toutes les guerres mais aussi
les émigrés de tous les pays, et ce au risque de la déstabilisation politique
et sociale ». Il faut d’ailleurs rappeler ici la constitution apostolique Exsul
familia de 1952, dans laquelle Pie XII précisait non seulement que
l’immigration doit concerner « des étrangers nécessiteux et honnêtes », mais
aussi que celle-ci peut être limitée pour des « motifs d’utilité publique ».
Or, ce sont précisément ces « motifs d’utilité publique » que mettent en avant
les Bompard dans leur lettre. Lorsqu’ils soulignent par exemple que « cette
convergence de migrations pour la plupart économiques voile parfois l’arrivée
de combattants qui ont pour objectif avoué la conquête religieuse de l’Occident
»
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