lundi 25 juin 2018

UN REFUGIE PEUT EN CACHER UN AUTRE

Voici le texte d'une particulière actualité de l'article que j'ai écrit pour la revue Permanences des mois de mai et juin 2018.

Le droit d’asile est un concept aussi ancien que d’actualité. Il en résulte des risques de confusion ou d’anachronisme dans la réflexion et l’analyse.

Hérité des grecs et des romains - le mot "asile" provient du grec ancien –asylon- " que l'on ne peut piller" et du latin "lieu inviolable, refuge" – il sera consacré par la constitution du 21 novembre  419 à l’époque de Saint Augustin, puis par le Code Théodosien. Il tomba en désuétude au XVI° siècle pour être ensuite reconnu par le pouvoir temporel et être consacré dans la convention internationale de Genève, en 1951, dans l’immédiat après-guerre. Il s’agit alors de répondre aux problèmes posés par d’importants déplacements de population ; réponse ancienne donc à un phénomène migratoire nouveau, d’une nature différente de celui que nous connaissons aujourd’hui.

La question du droit d’asile nous préoccupe aujourd’hui, non pas tant à cause de la « énième » réforme dont ce droit fera l’objet de manière cosmétique par le nouveau pouvoir, mais parce que nous sommes confrontés à l’échelle mondiale, à des mouvements de population inquiétants. D’ailleurs,  dans un réflexe de protection et de suspicion, les populations occidentales ont tendance à apprécier la revendication par les migrants du statut de réfugié et du droit d’asile, comme étant dévoyée et détournée.  

La question se pose tout d’abord à nous de savoir si nous devons rester dans le débat récurrent qui anime les chrétiens de manière caricaturale, ainsi que les réactions aux déclarations du pape François en ont été l’illustration ; débat qui oppose d’un côté la générosité et l’obligation d’accueillir l’étranger fuyant son pays d’origine et de l’autre côté la nécessité de préserver le bien commun, l’équilibre de nos sociétés afin que l’accueil ne soit pas destructeur de la société accueillante. De cela, Jacques Bompard et son épouse ont été les porte-parole authentiques et fidèles dans une lettre illuminée de vérité qu’ils remirent en main propre au pape François après les déclarations dites de Lampedusa[1].

En même temps nous ne pouvons perdre de vue que pour l’homme de la Bible, le devoir d’accueillir l’étranger n’est pas un commandement abstrait, mais s’inscrit dans une expérience, celle d’avoir été soi-même « étranger » : « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte » (Lévitique 19, 34). En raison de l’identification de Jésus à l’étranger accueilli (Mt 25, 35) l’attitude du chrétien envers les étrangers ne sera jamais une question seulement éthique et politique : c’est une question théologale, comme le soulignait Jean Paul II dans son message de 1998 : « Pour le chrétien, l’accueil et la solidarité envers l’étranger ne constituent pas seulement un devoir humain d’hospitalité, mais une exigence précise qui découle de la fidélité même à l’enseignement du Christ ».

Ce dilemme est une réalité qui divise le chrétien, plutôt que les chrétiens…. Et l’actualité lui donne un écho grandissant.

Ceci étant qu’en est-il du statut du réfugié ? Au sens de la Convention de Genève à laquelle l’Eglise sous l’impulsion de Pie XII participa de manière active, toute personne "qui par suite d'événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutés du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays".

Le 10 août 1952, dans la constitution apostolique « Exsul familia », considérée aujourd’hui comme la grande charte de la pastorale des migrants, le pape Pie XII réaffirma le droit fondamental de la personne à émigrer.

Dans le même temps, quelques années plus tard, Saint Jean Paul II réaffirma le droit de ne pas émigrer !... ; c’est à dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre : « le droit primordial de l’homme est de vivre dans sa patrie : droit qui ne devient toutefois effectif que si l’on tient constamment sous contrôle les facteurs qui poussent à l’émigration » (Discours au IVème Congrès mondial des Migrations, 1998).

Ces rappels permettent de replacer les mouvements migratoires que nous avons subis, subissons et subirons, dans le contexte maintes fois rappelé de la nécessité d’une aide au développement dans les pays d’origine pour précisément permettre aux candidats à l’immigration de ne pas se retrouver en position de réfugiés chez nous. Mais ce faisant, nous abordons la question avec un prisme plus large que celui de la Convention de Genève et de ce que nous entendons habituellement par réfugié.

La question du réfugié au sens de la Convention de Genève serait-elle un leurre ? Le problème n’est-il pas ailleurs ? Le droit d’asile et la reconnaissance du statut de réfugié ne seraient pas en question si nous n’étions pas confrontés à un mouvement migratoire considérable et susceptible de se développer dans les années à venir eu égard aux problèmes démographiques africains. Derrière la question du droit d’asile et du réfugié se pose en réalité aux nations européennes celle de l’accueil que nous devons réserver à ces populations qui arrivent sur leurs rivages méditerranéens. Des populations qui revendiquent le statut de réfugié, auquel elles n’ont pas droit, et qui néanmoins nous demandent de les accueillir et de leur accorder une forme dénaturée de droit d’asile. Or nous savons qu’au-delà des déclarations d’intention de nos pouvoirs politiques, la majorité de ces réfugiés ne répondant pas aux conditions de la Convention internationale ne sont pas renvoyés dans leur pays d’origine.

Derrière le réfugié se cache le migrant. La question posée à Lampedusa qui nous divise, est celle de l’accueil du migrant, véritable nouveau réfugié du XXIe siècle. C’est celle que nos politiques tentent de traiter maladroitement avec des quotas et qui est en train de faire exploser l’union européenne.

Telle est la question que nous aurons à traiter, et que nous ne serons incapables de résoudre si nous ne parvenons pas à remettre le pied en Afrique ; question que nous ne pourrons par ailleurs pas éviter encore très longtemps sous le seul prétexte de la remise en cause de l’équilibre de nos sociétés et du bien commun, même fondée et légitime, sauf à hérisser des murs….

Tant que les pays occidentaux exerceront leur pouvoir d’attraction par l’entretien de l’espoir d’une situation matérielle économique meilleure, l’équation sera impossible à résoudre. Mais ils n’ont pas que cela à offrir et à proposer, comme l’aventure de la colonisation l’a démontré. Toutefois, l’étendard des droits de l’homme, ou de valeurs sans sève ni racines, ne suffit pas…surtout lorsqu’il ne sert qu’à nous désarmer moralement et culturellement. Il y a là un paradigme à renouveler.

Nous ne pourrons pas en même temps faire l’économie de la redéfinition du réfugié de demain. Mais selon quels critères ? Pourra-t-on continuer d’opposer les migrants économiques aux migrants politiques voire religieux ? Ils arrivent tous par les mêmes bateaux, certains étant poussés par le déséquilibre démographique et économique entre l’Afrique et l’Occident et d’autres étant chassés de chez eux pour des raisons politiques ou religieuses.

Pourrons-nous continuer encore longtemps de ne pas reconnaître un statut de réfugié, mais lequel ?, à nombre de ces migrants qui ne satisfont pas aux conditions de la Convention de Genève ?

Quelle attitude collective et politique devrons-nous adopter ? Le propre d’une politique est de s’adapter aux circonstances. Nous entrons dans un autre monde. Nos certitudes dogmatiques, et les principes érigés dans un contexte incomparable avec la situation actuelle, seront bien vite obsolètes. La lucidité nous impose d’ouvrir les yeux sur les défis qui nous sont lancés. Il ne s’agit pas en même temps, car tout est lié, d’accepter la constitution d’un multiculturalisme d’Etat ; mais aurons-nous les moyens de l’éviter ?

Il ne nous resterait plus alors que la réponse individuelle animée par l’Evangile, sans la protection d’un Etat gardien du bien commun. Est-ce à cela que nous devons nous préparer ? La pente inexorable de l’histoire laisse à le penser, sauf pour nos Etats à enfin mettre en œuvre une politique de défense d’un bien commun repensé et actualisé à une situation inédite et impensable lorsque furent imaginés les statuts du réfugié et du droit d’asile.




[1] Or, souligne la lettre, « alors même que nombre de nos proches souffrent de la misère matérielle et spirituelle la plus grave », la France et l’Europe « auraient l’obligation morale d’accueillir non seulement les réfugiés de toutes les guerres mais aussi les émigrés de tous les pays, et ce au risque de la déstabilisation politique et sociale ». Il faut d’ailleurs rappeler ici la constitution apostolique Exsul familia de 1952, dans laquelle Pie XII précisait non seulement que l’immigration doit concerner « des étrangers nécessiteux et honnêtes », mais aussi que celle-ci peut être limitée pour des « motifs d’utilité publique ». Or, ce sont précisément ces « motifs d’utilité publique » que mettent en avant les Bompard dans leur lettre. Lorsqu’ils soulignent par exemple que « cette convergence de migrations pour la plupart économiques voile parfois l’arrivée de combattants qui ont pour objectif avoué la conquête religieuse de l’Occident »

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