dimanche 7 juillet 2019

DE "MY LADY" A EINSTEIN...


J’ai interrompu ma lecture du livre de Claude Tresmontant « problèmes de notre temps » pour regarder le film « My Lady ». Distrayante et profitable interruption; les sujets abordés se recoupent avec certains de ceux traités dans ce livre profond et admirable que j’étais en train de lire…


Ce film évoque une tranche de la vie d’une juge surmenée dont le couple a du mal à surmonter les effets de son activité professionnelle, tant il est vrai que les questions à trancher sont fondamentales, difficiles et de nature à provoquer des débats intérieurs exigeants. Litiges familiaux. Contentieux relatifs à la vie dans le cadre médical. Et, celui qui sera le sujet central du film: la transgression de l’interdit d’une transfusion sanguine pour l’enfant d’une famille de témoins de Jéhovah. Cette dernière question sera tranchée dans le sens habituel. Mais le cinéaste décide d’y ajouter une aventure personnelle se greffant aussi sur la crise du couple de notre juge pour nouer un drame qui malheureusement finit d’une manière aussi inattendue que cruelle, et il faut le dire un peu incongrue. Mais les rôles sont bien assumés, remarquablement joués. Mise à part cette fin surprenante le scénario est bon. Il reste apparemment fidèle au livre dont il s’est inspiré mais que je n’ai pas lu.

J’ai attrapé au vol de ce visionnage l’exposé des motifs d'une décision de My Lady à propos d'un cas précédent qu’elle eut à trancher: le choix de sacrifier un enfant siamois pour sauver son frère plutôt que d’abandonner les deux à une vie condamnée d’avance pour l’un comme pour l’autre. Après avoir développé les arguments en faveur du choix du sacrifice le juge rappelle que ce choix est aussi celui de donner la mort à l’un des deux enfants et que la question se pose à elle de savoir si elle en a le droit. Mais elle se débarrasse de ce dilemme éthique en affirmant qu’elle n’est pas là pour faire la morale et se justifie ainsi de sa décision d’autoriser le sacrifice de l’un des deux enfants pour permettre le sauvetage de la vie de l’autre. Drame fondamental qui peut rappeler celui du choix terrible d’un père et d’une mère entre la vie de la mère et la vie de leur enfant à naître. Drame qui est aussi celui que nous vivons avec la triste affaire de Vincent Lambert.

C'est ainsi que notre juge m’a renvoyé à certaines des analyses de Claude Tresmontant concernant la vie, la dignité de la personne et la valeur de l’être humain.

Ce remarquable philosophe qui écrivit durant les années 60–70 des chroniques pour"la voix du Nord" rassemblées dans le livre cité plus haut, chercha dans la lignée de Bergson à intégrer les apports de la science dans la réflexion philosophique et métaphysique. Gageure ? Non, véritable réussite, étourdissante sur le plan intellectuel, novatrice. Après celui de son illustre prédécesseur son travail met un terme à une impasse tragique de nos philosophes modernes... L’auteur insiste sur le fait que les scientifiques sont de moins en moins armés sur le plan philosophique - tout le monde n’est pas Pascal ! - et que les philosophes pour leur part ont abandonné les exigences pourtant essentielles de leur art qui ne doit pas se départir de la recherche du lien essentiel avec la vérité scientifique. D’où nous dit-il « l’extraordinaire confusion qui règne aujourd’hui dans l’analyse des problèmes philosophiques les plus difficiles et les plus importants ». 

Il explique grâce aux dernières données de la science que dans un univers dont nous savons maintenant qu’il est parti d’un point 0 et qu’il est en évolution permanente, l’homme a surgi il y a quelques millions d’années avec la caractéristique d’être constitué de matière informée, comme le reste de la terre végétale et animale et comme le reste de l'univers, mais qu'il présente cette singulière particularité d'être capable de conscience réfléchie à l’inverse de tous les animaux dont on dit qu’il descend sauf qu'il n’a en réalité avec eux qu’une origine commune. 
Qu’est-ce donc que l’homme ? La question est métaphysique si on veut lui apporter une réponse... ; cette métaphysique dont nous ne voulons plus, dont nous ne connaissons plus la science, que nous ne savons plus entendre ni comprendre, que même les philosophes ont abandonnée depuis Descartes pour s’aventurer dans les délires de leur intelligence. 

Et pourtant… les progrès de la science nous confrontent à la nécessité de répondre à cette question; ils la rendent toujours plus incontournable, évidente, nécessaire au fur et à mesure de leurs avancées. Et c'est la science qui nous fournit à la philosophie du réalisme intégral les moyens de répondre! Voyez. L'homme présente la particularité d’être l’exemplaire unique de la réunion et la combinaison de deux messages génétiques originaux; il est constitué à partir d’une information qui se diffuse, se développe et évolue. Notre corps est constamment renouvelé à tel point qu’en l’espace de 20 ans il n’est matériellement plus le même, toutes ses cellules ayant été renouvelées. Il est toujours le « je » de son origine bien que n’étant plus physiquement le même…. Constatation qui est un véritable défi au matérialisme. Constatation qui rend évidente l’existence de ce que certains appellent le psychisme, d’autres l’âme et dont Claude Tresmontant nous dit à juste titre que l’on peut lui donner le nom que l’on veut. Une âme ou un psychisme  qui témoignent de cette existence immatérielle constitutive de la personnalité unique de chacun d’entre nous. « Tout l’organisme est information de matière » nous dit-il. « L’information c’est la pensée créatrice ». C’est le psychisme ou l’âme qui font vivre le cerveau et lui font assumer ses fonctions irremplaçables et uniques, aussi complexes que magnifiques, aussi poétiques que malicieuses. Et d’ailleurs une fois mort le corps n’est plus un corps, il devient un cadavre. L’information ne s'y diffuse plus; elle est "partie" pour devenir mystère et rejoindre celui de la création comme de Dieu dont l’évidence est suggérée par la perfection de la pensée qui anime cette information. L’âme ou le psychisme en sont partis, ailleurs. Ce sont elles qui fondent et justifient la valeur et la dignité de l’homme. Elles sont l’expression d’un être unique produit de la conjugaison des informations génétiques de ses deux parents.

Nous le voyons, l’être humain est caractérisé par l’information qui l’anime. Cette information est elle-même caractérisée par son identité génétique unique, existant dès sa conception. Voilà pourquoi l’humanité a besoin d’une science de l’être, c’est-à-dire de la métaphysique. Sans elle nous sombrons dans l’absurde et l’inexplicable, nous tournons en rond avec une causalité devenue une vis sans fin.... même si elle ne donne pas le problème de la foi qui doit elle-même résoudre l’énigme du mystère.

Dès lors My lady a tort lorsque relativisant elle renvoie à la morale individuelle de chacun la question du droit d’enlever la vie à un être humain. Il existe une valeur objective, valeur sur laquelle nous pouvons fonder la vie en société, et donc la politique comme la justice; il s'agit de l’homme, l’homme concret, l’homme vivant dès sa conception jusqu’à ce que le principe d’information le quitte au moment de la mort.

Notre époque souffre d'un manque substantiel, la science de l’être, la métaphysique. Celle-ci s’appuie sur les données de la science qui sans elle butte sur le mystère dont elle ne reconnait ni l’existence ni la nécessité.... Einstein ne disait-il pas « La chose la plus incompréhensible sur le monde est qu'il est compréhensible » ?

Il nous revient de chercher à le comprendre et de fonder notre éthique et nos jugements sur cette réalité mystérieuse…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.