dimanche 8 septembre 2019

LA POESIE AU SECOURS DE L'HOMME MODERNE


L’été est passé. Notre voyage dans le temps se poursuit. L’eau nous a manqué au sens propre comme au figuré durant cette période de ressourcement estival. L’homme moderne meurt toujours de soif. Rien n’a changé… La question lancinante revient en boucle; Que faut-l dire aux hommes?
Les incertitudes nous envahissent et nous inquiètent à nouveau. La Doxa dominante dont nos politiques sont les jouets cherche à nous enfermer toujours plus dans son mirage de certitudes vidées de sens, contradictoires, qui ne reconnaissent au fond que le dogme de l’expression individuelle, du pouvoir illusoire sur lui-même de ce "citoyen-roi" que l’on prétend servir pour mieux se le soumettre dans un conformisme généralisé. Paradoxe de l’homme seul, abandonné à son moi, à ses passions, à ses psychologues, à son écran virtuel qui s’impose entre lui et le réel. Un homme seul, privé de maîtres. Pas de maître à l’école, pas de maître dans la vie. Ni Dieu ni maître ! Rien ne change… La roue tourne toujours dans le même sens, à vide… Et pourtant...


Mon été a été marqué par l’émerveillement du Puy du Fou, de belles lectures et un dialogue complexe. 

Commençons par le dialogue ; ce fut avec un ami brillant, très intelligent, médecin, passionné de sciences et agnostique, qui s’interroge et qui m’interroge. Rencontre difficile autour de la confrontation entre la science et Dieu, de notre approche du réel, de notre compréhension du monde. Il me dit que pour lui l’univers qui nous entoure n’existe qu’à travers la connaissance que nous en avons. Péché d’idéalisme même s’il s’en défend. Cette interrogation illustre l’impasse de la métaphysique moderne qui ne cherche plus à s’arracher aux ombres de la caverne de Platon pour accéder à la connaissance mais recherche le fondement de la connaissance, animée par sa volonté de puissance. Aveuglé par le pouvoir de la science et de la technologie l’homme se veut créateur du monde… C'est vieux comme Prométhée...

Mes lectures m’ont permis de découvrir quelques textes magnifiques. Notamment « La part du héros » d’Andrea Marcolongo[1] et « Les Incandescentes » d’Élisabeth Bart[2].

Dans un livre qui est un diamant, Andrea Marcolongo nous invite à puiser notre inspiration quotidienne dans le mythe des Argonautes, celui de Jason parti à la recherche de la Toison d’or ! Ce livre est inclassable. Il est tout à la fois poétique dans son expression littéraire, érudit dans son contenu en même temps que facile à lire et émouvant par l’évocation de l’itinéraire personnel de l’auteur. D’une richesse exceptionnelle.

Le second livre cité, incontestablement plus difficile à lire, met en présence trois auteurs majeures des décennies écoulées, Simone Weil, Maria Zambrano et Virginia Campo. Trois femmes aux sensibilités différentes, animées par une identique recherche de vérités pour notre temps. Il nous fait découvrir la complexité et la richesse des rapports entre philosophie et poésie. Ce livre nous interroge sur la place du verbe, le logos, qui préoccupe la philosophie depuis la nuit des temps. Les trois itinéraires de ces intellectuelles nous renvoient à la nécessaire ouverture à la dimension poétique. La philosophie peut tromper ; la poésie non, lorsqu’elle reste elle-même. La clé de ces lectures est dans l’imagination. 

Voilà qui singulièrement nous renvoie aux maux de l’époque et à l’interrogation de mon ami scientifique. Pourquoi ? Qu’est-ce au fond que l’imagination ?

Élisabeth Bart nous explique qu’à travers les lectures de ces trois auteurs elle constate l’existence de deux types d’imagination. Une imagination passionnelle qui s’est détachée de la réalité, que par facilité on peut qualifier de romantique. Et une imagination qui pour reprendre les termes de Charles Baudelaire est "la faculté de percevoir les différents plans de la réalité pour les représenter en images". Ce que Fabrice Lucchini montre très bien dans son spectacle "Poésie"[3].

La difficulté du dialogue avec mon ami est due à la métaphysique moderne qui depuis Descartes a perdu le vrai génie créateur en nous plaçant en posture de seigneurs et maîtres d’un univers dont nous nous croyons les inventeurs et finalement les créateurs à force de le modéliser et de le soumettre à notre raison scientiste. Je pense donc je suis; et le réel est le fruit de ma pensée, du génie des hommes... La solution à ce dialogue impossible serait-elle dans la poésie ? La poésie ignore la volonté de puissance de la philosophie moderne. Rejetant une imagination qui ne puiserait que dans nos passions les sources de son inspiration, elle transcende le réel pour reprendre les termes de Simone Weil : « le poète produit le beau par la tension fixée sur le réel ». Elle est une école d’amour dans l’humilité. Elle nous apprend à aimer tout ce qui nous entoure en vérité, en réalité. Elle nous permet d’échapper à la casuistique d’esprits qui complexifient la pensée au point de la rendre aberrante et d’exposer toute métaphysique à une critique que celle-ci ne mérite pourtant pas.

L’imagination créatrice nécessite une attention effective et vigilante ; cette attention si chère à Simons Weil… Mais aussi de savoir mettre en œuvre la capacité d’intuition. 

Imagination. Attention. Intuition.

Car le poète use de cette intuition dont le philosophe Étienne Gilson a mis en évidence la nécessité pour parvenir à rentrer dans l’espace-temps et à retrouver la voie d’une métaphysique qui ne soit pas opposée aux progrès de la science comme on a trop tendance à le croire, notamment à travers les mauvais procès que l’on fait à l’Eglise Catholique. Étienne Gilson explique que la métaphysique est née de la recherche de la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà ce qui se meut et ce qui change. L’entendement humain a trop tendance à masquer la durée dans le mouvement et le changement ; il se met ainsi dans l’impossibilité de replacer la réalité dans la mobilité que l’on peut précisément grâce à cela appréhender dans la durée au-delà du changement et du mouvement.

Au fond, ce qui nous manque le plus aujourd’hui c’est le sens du réel au-delà du changement et du mouvement face à l’éternité. 

Le poète a cette capacité de sentir vrai dès lors qu’il respecte l’approche définie par Charles Baudelaire et qu’il se soumet au réel pour le transcender, le comprendre, le sublimer.
 

Ce que Victor Hugo illustre avec son génie propre dans les Contemplations :

Il faut que le poète, épris d'ombre et d'azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l'on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant !
Il faut que le poète aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.
(Paris, mai 1842).


À sa façon le spectacle du Puy-du-Fou nous place avec sa part de poésie dans une perspective historique qui ne craint pas la transcendance en même temps que les voyages à travers le temps, non pas pour entretenir cette idée d’un changement permanent mais d’une mobilité dans la durée, dans la continuité et dans une ouverture à la dimension transcendantale du temps.

Andrea Marcolongo nous offre un outil merveilleux avec son analyse actuelle du mythe des Argonautes. Avant elle, Sylvain Tesson déjà dans son été avec Homère nous avait remis dans la perspective de cette dimension pleinement humaine, respectueuse de la réalité et capable de la transcender afin de la rendre belle. Concevoir la vie comme un voyage de l’âme… A l’image de la Divine Comédie de Dante qui réunit métaphysique et poésie dans une admirable synthèse, véritable défi au temps qui passe.

La Doxa nous isole et nous apporte les réponses horizontales des paradis artificiels et de la prétention intellectuelle. L’effondrement de la flèche de notre Dame illustre cette horizontalité en cendres… Ce que Sylvain Tesson met en évidence dans sa belle évocation de Notre-Dame et de son incendie[4] qui répond à beaucoup de questions que l’on peut se poser sur la manière dont nous avons regardé son incendie. Vous pouvez aussi l’écouter dans la passionnante émission Répliques d’Alain Finkelkraut[5]

Au fond n’avons-nous pas besoin de poésie, de poètes, et d’amoureux de la poésie pour sortir de l’impasse de notre solitude quotidienne face à nos écrans, à nos incertitudes, à nos contradictions, à nos angoisses ? Retrouver le chemin d’une pensée qui va au-delà des impressions et des passions, et du piège d’une réflexion coupée du réel, enfermée dans son ambition créatrice. Un pensée qui avec attention et intuition cherche à se projeter non pas dans l’avenir mais dans le destin ? Et si tout se commençait et finissait en mots, en mythes, en symboles et en poésie ?


[1] https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-culture/andrea-marcolongo
[2] http://premium.lefigaro.fr/livres/les-incandescentes-d-elisabeth-bart-dans-les-tenebres-du-xxe-siecle-20190523
[3] https://www.offi.fr/theatre/theatre-des-mathurins-2750/poesie-55544.html
[4] https://www.babelio.com/livres/Tesson-Notre-Dame-de-Paris/1144524
[5] https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/quand-notre-dame-brulait

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