jeudi 20 février 2020

GREVE DES AVOCATS: POURQUOI JE ME DESOLIDARISE...


Que se passe-t-il chez les robes noires ? Les Avocats sont sous les feux de l’actualité. Grève radicale qui n’en finit pas. Doutes. Craintes. Désarroi. Colère. Le tout sous la houlette de leurs instances ordinales dont l'attitude prête  à s'interroger voire à douter...




Pendant ce temps qui commence à devenir celui de la division, dans un dossier politique et sensible, Juan Branco est prié par le Bâtonnier du Barreau de Paris de renoncer à la défense de son client Piotr Pavlenski, après que le Procureur de la République ait tenté une première mesure d’intimidation. Le motif ? Un manque de distance par rapport à la cause de son client. Une trop grande implication... Ne serait-ce pas plutôt à cause de son engagement dans une entreprise de déstabilisation d’Emmanuel Macron et de son entourage ?

La coïncidence m’a interpellé. Je n’ai aucune sympathie pour ce jeune avocat sulfureux que j’ai été ahuri d’entendre sur les médias se répandre en déclarations violant allègrement son secret professionnel ; ce secret absolu dont même son client ne pourrait pas le délier.... Mais le motif de défaut d’indépendance ne résiste pas une minute à l’analyse déontologique. A-t-on seulement essayé d’inviter Jacques Verges à renoncer à défendre les activistes et criminels du FLN qu’il défendit pendant la guerre d’Algérie ? Les avocats sont-ils plus indépendants, sur le plan financier - cachez cet argent que je ne saurais voir !… - quand ils concluent des conventions d’honoraires au résultat qui les rendent si souvent plus mus par la volonté de s’enrichir que par celle de défendre en toute indépendance la cause qui leur a été confiée. 

Mes yeux se sont définitivement ouverts quand j’ai constaté que le Barreau de Paris, Bâtonnier en tête, ne s’est pas opposé au déroulement de la procédure de mise en examen de Piotr Pavlenski et de la correspondante virtuelle de Benjamin Griveaux, avec la même énergie que celle qui est par ailleurs déployée avec tant d’abnégation par les soldats en robe que l’on envoie au combat jour et nuit en défense pénale d’urgence... Deux poids deux mesures ? Comme lorsque l’on accepte dérogations sur dérogations à la grève « dure et totale », pour tel ou tel dossier sensible, urgent ou important…. Totale ou pas la grève ? Ces considérations nous font toucher du doigt l’inanité du concept de grève des avocats à cause de la nécessité de défendre parce que la vie continue…

Je suis opposé à cette réforme. Je l’ai écrit. Je l’ai dit. J’ai été solidaire de la grève alors que ce moyen d’action m’a toujours semblé incompatible avec la profession d’avocat ; comme le fait de jeter ma robe ou comme encore l’idée qu’un Ordre puisse poursuivre un confrère qui aurait décidé de ne pas faire grève contre l’avis de son Conseil de l’Ordre qui n’a pas ce pouvoir. J’ai appris que l’on n’emporte que les combats qu’on a les moyens de gagner… alors que l’on entend dans les AG comme une rengaine la phrase imbécile selon laquelle on ne perdrait que les combats que l’on n’a pas menés. Un combat doit encore être orienté vers un but ; ici, quel avocat demain ? Il lui faut donc une finalité et des moyens. 

Le mouvement des avocats n’a pris cette ampleur inédite qu’en raison d’un malaise profond et d’une crise d’identité non résolue. La réforme des retraites n’a été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres… Qu’avons-nous fait collectivement pour prévenir cette crise qui dépasse largement la question des retraites ?  N’est-ce pas un peu trop facile de s’émouvoir maintenant de la paupérisation de la majorité des avocats de France qui a été provoquée par l’ouverture des portes de la profession sans autre idée que celle de grossir nos rangs et par l’absence de réflexion significative en vue d’engager le Barreau dans sa nécessaire modernisation.

Venons-en aux moyens d’action. Serions-nous en train de nous fourvoyer dans un combat suicidaire contre la réforme des retraites dont le retrait pur et simple est une illusion eu égard à ce que nous savons de l’attitude politique d’Emmanuel Macron ? N’y a-t-il pas beaucoup d’hypocrisie dans cette affaire ?
Hypocrisie d’un Barreau français qui se glorifie d’une grève qui ne pénalise aujourd’hui que les avocats assumant les charges de l’AJ, de la défense pénale d’urgence et j’en passe. Car nos édiles qui s’en font des gorges chaudes ne supportent pas ces charges. Pendant que les fantassins de la profession combattent, nombre de cabinets continuent de traiter les dossiers non contentieux dont chacun sait qu’ils font la richesse de la petite minorité qui travaille dans l’entre soi des ors de la République... 

Hypocrisie du silence pudique sur le contenu effectif des discussions et négociations, vis-à-vis des barreaux qui, ne voyant que le chiffon rouge de la réforme des retraites et de la mort annoncée d’un tiers des avocats, se persuadent dans l’euphorie de leur unanimité qu’ils parviendront à en obtenir le retrait pur et simple... Je connais l’euphorie des manifs qui ne débouchent sur rien et les désillusions qui en résultent. Le CNB se cantonne à tort dans un refus pur et simple que le pouvoir NE PEUT PAS nous accorder…. Cela se traduit par le dépôt d’amendements qui tendent exclusivement à vider le projet de loi de son contenu sans autre alternative. C’est le sens de la réponse lapidaire que j’ai reçue de notre emblématique Présidente du CNB et de ce que m’a fait observer un député avec qui j’échange régulièrement à ce sujet.

Hypocrisie toujours de nos édiles qui poussent le Barreau dans la voie de la radicalisation d’un combat dont ils savent qu’il est perdu d’avance et qui se refuseraient alors qu’ils en ont les moyens à négocier réellement comme d’autres ont su astucieusement le faire, ou à utiliser des moyens beaucoup plus efficaces que cette grève des petits et des sans grades. Car la puissance du mouvement des 70 000 avocats de France devrait nous permettre de négocier un régime moins insupportable que celui qui au final risque fort de nous être imposé au terme d’une lutte qui nous aura épuisé, à l’exception des grands cabinets ...

Hypocrisie enfin de cette opposition frontale d’un barreau jusque-là divisé à un texte qui est d’une cohérence absolue avec la politique de ce Président tant aimé et soutenu par la majorité des milieux des affaires. Lequel de ceux qui appellent à la grève n’a pas voté pour Emmanuel Macron et la République En Marche ? Sont-ils des cocus satisfaits et/ou participent-ils inconsciemment à l’entreprise de démolition de l’avocat traditionnel qu’ils prétendent défendre ? Se rappellent-ils de la loi du même Macron sous le quinquennat de F Hollande ? Tout cela n’était-il pas prévisible ?

Hypocrisie donc, ou au bénéfice du doute manque de lucidité face à un mouvement qui tend à nous emporter. Il se caractérise par une forme d’entrainement sociologique suicidaire. Les crises de ce type ont ceci de particulier que par un phénomène relevant de la sociologie des groupes et des masses les énergies s’y entraînent mutuellement et réciproquement dans une direction incontrôlée. Aussi les responsables ont-ils un triple devoir de clairvoyance, de lucidité et de réalisme. Tout ce que nous n’avons perdu…. Les avocats et le Barreau français sont devenus un bateau ivre de colère qui a perdu sa boussole…

D’où ma décision d’arrêter les frais et de m’en désolidariser. Quelle désolation... Quelle tristesse... J’ai mal à ma robe et à mon serment…

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