samedi 22 août 2020

UN ETE AVEC GUSTAVE THIBON: L'OBSESSION POETIQUE

 J'ai déjà évoqué la grande importance que Gustave THIBON accordait à la poésie et aux poètes, même s'il n'en a jamais fait l'objet d'une étude particulière. Mais quoi d'étonnant de la part d'un poète et d'un philosophe qui citait les poètes en permanence ? Il vivait de la poésie, il vivait avec elle… Il y a chez lui une forme d'obsession poétique très significative.

 

Voici ce qu'il écrit dans le pain de chaque jour 

 

" le poète est immergé dans la création... ; La bénédiction du poète monte du monde vers Dieu …. ; le poète est fait pour donner une voix au silence des choses »... Et il évoque la citation d’EICHENDORFF " le poète est le cœur du monde". Il ajoute " le poète crée. Il ajoute à ce qu'il touche. Il transforme la création ».

Dans destin de l'homme il va encore plus loin.

 

À propos de la technique et du machinisme qui lui font dire que l'outil sans âme ne sert que son désir arbitraire et ses appétits superflus il prolonge sa réflexion d'une manière étonnante, profonde et saisissante :

" Les noms des instruments nouvellement inventés ne sont pas poétisables ; il est impossible de les introduire dans une phrase lyrique sans rompre du même coup le lyrisme de cette phrase. Qui fera rentrer sans péril dans un poème des termes comme radiophonie où cinématographe ? Il serait vain de prétendre que ces termes techniques manquent d’euphonie : la plupart sont aussi harmonieux que les noms des instruments anciens dont la poésie se sert, depuis des siècles, avec un égal bonheur. Il y a ici autre chose qu'une question d'oreille. Ces termes ne sont pas vivants, ils n'éveillent dans l'âme aucune émotion-source, ils correspondent à des créations enfantées, non par l'amour ou la sainte nécessité naturelle, mais par le côté le plus desséché, le moins mystique de l'homme. Des phrases matériellement lyriques. Mais le vrai lyrisme - celui qui prend l'homme au plus profond de lui-même pour le jeter hors de lui-même - est absent de ces jeux sonores. Sous l'enchantement de l'oreille, sous le corps mélodieux de la phrase, on pressent instinctivement l'absence d'âme lyrique : si harmonieux soit-il, le terme technique n'a pas, ne peut pas avoir d'affinités avec ce que GOETHE appelait le meilleur de l'homme : ce qui fait tressaillir l'homme ; nulle joie, nulle douleur ingénue, nul souffle véritablement humain n'est jamais passé en lui, nulle voix ne l'a jamais prononcé dans une larme ou dans un baiser ! … d'où le caractère artificiel, forcé, discordant de certains essais de poétisation de la technique : une irrémédiable impression de plaqué, de viol qui s’exhale de ces œuvres où, au rythme sonore, ne correspond aucun rythme humain".

Dès lors, comment nous étonner du silence poétique de notre époque ?

Cette réflexion et cette analyse font ressortir l'un des traits fondamentaux de la philosophie de Gustave THIBON qui explique le rôle qu'il a accordé à la poésie. Il est à l'écoute du silence. Il cherche Dieu dans le silence, cette voie négative qui l’a conduit vers St Jean de la Croix; dans les profondeurs abyssales de la mer ou dans l'infini obscurité du ciel étoilé. Il cherche l'homme au-delà de lui-même, de son anéantissement, de l’illusion, de ses contradictions, de sa finitude…. d’une complexité que seul le poète peut pénétrer vraiment et devant laquelle la technique est aphone !

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