dimanche 28 mars 2021

DANTE ANTIDOTE A LA CRISE DE CIVIISATION ?

Crise de civilisation ou pas ? Les intellectuels qui la prédisent jouent-ils les Cassandre? Avant-hier sur CNEWS Michel Onfray et Eric Zemmour affirmaient de concert que la crise opère une prise de conscience de la réalité du danger que Paul Valery avait affirmé « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Quel remède docteur?

 


Nous réalisons combien les réponses qui nous sont proposées sont plates, sans dimension, sans réel espoir, fermées sur nous-mêmes. Mais dès lors à quoi s'en remettre?

Le hasard des célébrations fit que cette semaine, le 25 mars, jour de l’Annonciation, nous avons fêté les 700 ans de la mort du grand poète italien Dante Alighieri. C’est l’occasion pour moi, à la lumière de l’œuvre de ce géant de la poésie, de nous inviter à réfléchir sur le rôle de la poésie dans notre monde et de voir en quoi elle peut être un antidote à ce mal qui nous menace.

Dans sa lettre à Cangrande della Scala ce dernier écrivait :

 « Il faut dire brièvement que le but de l’ensemble et de la partie est de retirer les vivants d’un état de misère et de les conduire à un état de bonheur » (XIII, 39 [15]).

Voilà qui nous manque. Il sera répondu par certains esprits chagrins que cette proposition ne serait qu’un moyen d’oublier, d’évacuer la misère du réel. Le poète italien du XIVe siècle leur opposa une vérité confirmée par notre époque moderne à savoir que quel que puisse être les progrès de la science et de la technique ou de la médecine, la misère reste la misère et que l’homme doit l’assumer, la dominer, la dépasser et la transcender pour pouvoir goûter au bonheur. Thème illustré par Vincent Cocquebert: « Ceux qui ne l’entendent pas ne font en réalité que se gargariser d’un bien-être matériel fragile, toujours remis en cause et impuissant à apporter le bonheur qui dure et qui rassasie. N’est-ce pas ce que souligne l’actualité ? Pour définir ce que j’entends par « Civilisation du cocon », je dirais que c’est cette période historique qui s’amorce au début des années 1980 et qui ne cesse de s’intensifier depuis. Une séquence où les individus sont moins en quête d’une « vie intense » que d’une « quête de soie », de confort et de replis dans des communautés miroirs. À mon sens la raison de cette dynamique du « tous aux abris » s’explique en premier lieu par cette « risquophobie » que le sociologue allemand Ulrich Beck a identifié dans les années 1980, soit cette aversion au risque, qu’elle soit institutionnelle ou individuelle. La raison de cette bascule est à chercher selon lui dans une rupture de la modernité et une « religion du progrès » qui n’a pas tenu ses promesses d’émancipation tout en générant de nouveaux périls comme les accidents industriels ou les grandes catastrophes environnementales. Tout en même temps, le phénomène d’autonomisation des individus, soit cette liberté de pouvoir être le guide de sa propre vie (familiale, amoureuse, professionnelle etc.) sans recours à de grands modèles dominants, a commencé à montrer ses limites car il excluait de fait une grande partie du corps social. Tout simplement car nous ne partons pas tous avec les mêmes chances, ni avec le même potentiel d’émancipation. »[1]

Il faut rendre grâce à notre Pape François car il vient de nous offrir une lettre apostolique « CANDOR LUCIS AETERNAE » lumineuse[2].

Il y souligne en particulier : « Bien mieux que beaucoup d’autres, il (Dante Alighieri) a su exprimer la profondeur du mystère de Dieu et de l’amour, avec la beauté de la poésie. »

Son prédécesseur Benoît XV avait déjà écrit un siècle plus tôt que l’œuvre de Dante est un exemple éloquent et valide qui « démontre combien il est faux que l’offrande à Dieu de l’esprit et du cœur coupe les ailes de l’intelligence, alors qu’elle la stimule et l’élève »[3].

Le Pape François écrit pour sa part: « Le Poème de Dante est universel : dans son immense largesse, il embrasse le ciel et la terre, l’éternité et le temps, les mystères de Dieu et les vicissitudes des hommes, la doctrine sacrée et celle puisée à la lumière de la raison, les données de l’expérience personnelle et les souvenirs de l’histoire ». Et encore : « La finalité de la Divine Comédie est essentiellement pratique et transformatrice. Elle ne vise pas seulement à être poétiquement belle et moralement bonne, mais elle vise à changer radicalement l’homme pour le conduire du désordre à la sagesse, du péché à la sainteté, de la misère au bonheur, de la contemplation effrayante de l’enfer à la contemplation béatifique du paradis ».

Je pourrais paraphraser et citer l’intégralité de ce magnifique texte. Vous le lirez. Vous le méditerez. Vous en tirerez vos leçons propres et vos enseignements grâce à cette maturation personnelle à laquelle ouvrent les grands textes du magistère romain.

Les thèmes fondamentaux de l’œuvre de Dante rejoignent parfaitement celui de mon billet : « le point de départ de tout itinéraire existentiel : le désir, inscrit dans l’âme humaine ; et le point d’arrivée : le bonheur, donné par la vision de l’Amour qui est Dieu », écrit encore le pape François.

Dante fit le choix de construire la DIVINE COMEDIE sur ce triptyque : l’enfer, le purgatoire et le paradis. Rien qui soit à la mode! Et pourtant, tout y est d’une grande actualité. Paroles et images, symboles et sons, poésie et danse se fondent en un unique message analyse le souverain pontife qui poursuit, s’interrogeant sur l’actualité du message du poète florentin : « Dante – essayons de nous faire les interprètes de sa pensée – ne nous demande pas aujourd’hui d’être simplement lu, commenté, étudié, analysé. Il nous demande plutôt d’être écouté, d’être – d’une certaine manière – imité, de nous faire ses compagnons de voyage car, aujourd’hui encore, il veut nous montrer quel chemin mène au bonheur : la voie droite pour vivre pleinement notre humanité, franchissant les forêts obscures où nous perdons l’orientation et la dignité. Le voyage de Dante et sa vision de la vie après la mort ne sont pas seulement les objets d’un récit, ils ne constituent pas seulement un événement personnel, même exceptionnel. »

L’un des thèmes évoqués par les mises en scène dont Dante avait le secret est celui de l’indignité de certains hommes d’Eglise. Car il n’hésita pas à nommer ceux qu’il entendait stigmatiser, critiquer, mettre au ban de son monde imaginaire et théologique. Il envoya certains papes en enfer ! Pour autant, aucune de ses critiques les plus acerbes ne le fie douter de sa foi catholique en la sainte Eglise de Rome. Et c’était manifestement pire que ce que nous avons pu vivre avec les scandales dont la presse s’est fait l’écho depuis des mois. Savoir appeler un chat un chat, mais avec les mots du poète, d’un poète capable de transcender la réalité afin de lui donner un sens, même lorsqu’elle plonge dans la fange. Trouver les mots, la musique et les images pour comprendre, faire le tri entre le grain et l’ivrée.

Je citerai aussi, à propos de l’actualité de cette œuvre, un extrait de la remarquable préface écrite par Charles Maurras à l’une des éditions de la DIVINE COMEDIE : « Des difficultés existantes, les plus sérieuses pourraient devenir des stimulants. Si, par exemple, le commerce de Dante exige une certaine connaissance du XIII° siècle, il suffirait peut-être de le pratiquer avec goût pour s’initier de plain-pied à tous les principaux caractères de cette époque : la philosophie scolastique, l’héritage des cours d’amour, la chrétienté catholique, les maximes et les rêves de la monarchie universelle nous seraient exposés et surtout expliqués par lui, directement, en grand détail, de la voix distincte et profonde qu’on perçoit toujours dans ses vers. Au lieu des manuels d’écoles, qui n’en donnent que des aperçus décharnés, sa poésie ferait sentir le naturel et la vivacité d’une sublime histoire qu’il est criminel ou fou d’ignorer. Assurément, ces stances lues et relues ne dispenseraient pas le spécialiste de se plonger dans les deux Sommes (de St Thomas d’Aquin), mais elles donneraient au plus grand nombre une idée vive de ce qu’on faisait rue du Fouarre, à ces cours de Sorbonne que Dante a peut-être écoutés. Rien ne remplacerait la lecture directe des poètes de langue d’oc, mais au lieu des gauches citations parcimonieuses de nos traités, quelques pages de la vie nouvelle sauraient dire aux jeunes esprits ce que fut notre gai savoir, ce qu’il a annoncé et apporté au monde et comment la chanson qui venait de Provence fut grande maîtresse d’amour et fit l’éducation du sentiment de l’Europe entière. Même pour entendre à la lutte du sacerdoce et de l’Empire il n’y a rien de tel que de jeter les yeux sur les cercles où brûlent les hérésiarques et les simoniaques. Nulle part, l’essentiel de la religion médiévale ne s’exprime aussi clairement. On y goûte aussi la fureur naïve excitée par quelques abus pontificaux dans les jeunes mes croyantes qui se rendaient mal compte de la nécessité d’un solide état temporel : ces chansons anti-papalines, dont il ne semble pas que l’Église se soit jamais offusquée, ajoutent à la vérité passionnée et vivace de l’ample « Comédie ». »[4]

Et je conclurai avec le Pape François : « En ce moment de l’histoire particulier, marqué par beaucoup d’ombres, par des situations qui dégradent l’humanité, par un manque de confiance et de perspectives d’avenir, la figure de Dante, prophète d’espérance et témoin du désir humain de bonheur, peut encore nous donner des paroles et des exemples qui relancent notre marche. Elle peut nous aider à avancer avec sérénité et courage dans le pèlerinage de vie et de foi que nous sommes tous appelés à accomplir, tant que notre cœur n’aura pas trouvé la véritable paix et la véritable joie, tant que nous ne serons pas arrivés au but ultime de toute l’humanité, « l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles » (Par. XXXIII, 145). »

Pour finir j'ajouterai avec notre cher Gustave THBON : « Le poète est celui qui crée de nouveaux rapports entre les choses et nous, qui nous les fait voir comme nous ne les avions jamais vues encore, dans une sorte de contact ineffable. Par son pouvoir de rayonnement, la poésie nous conduit à une plus vaste compréhension de nous-même et du monde et jusqu’au mystère de l’être. [5]»

Semper idem !

 



[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/vincent-cocquebert-la-pandemie-precipite-la-tribalisation-de-la-civilisation-occidentale-20210326

[2] http://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_letters/documents/papa-francesco-lettera-ap_20210325_centenario-dante.html

[3] http://www.vatican.va/content/benedict-xv/fr/encyclicals/documents/hf_ben-xv_enc_30041921_in-praeclara-summorum.html

[4] Le Conseil de Dante Charles Maurras 1920

[5] http://www.chire.fr/A-203633-offrande-du-soir.aspx

6 commentaires:

  1. Michel Onfray m'est apparu faire preuve du plus noir des pessimismes quant à la survie de la civilisation chrétienne, et j'imagine que l'évocation de l'auto destruction du catholicisme par l'Egise elle-même a dû te "parler" cher Bernard...
    Quant à Eric Zemmour, son espérance réside dans un possible sursaut somme toute bien peu probable...
    Pour ce qui est de la poésie... fût-elle de Dante, elle permettrait sans doute aux individus de continuer d'espérer, mais ne me paraît guère utile pour faire face aux défis qui nous sont imposés par la civilisation venue de l'Orient...

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  2. ... Et alors que la nôtre se désintègre dans tous les domaines, donnant la part belle à "ceux d'en face" qui ont beau jeu de nous considérer - à raison - de décadents!

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  3. L'effondrement n'est pas à exclure...Le prévoir n'est pas être pessimiste mais clairvoyant. Quant à la poésie, comme la culture en général, sans parler de la religion, elle me semble indispensable y compris vis à vis de ceux qui nous viennent de l'Orient. Rappelons-nous ce qui permit aux pays de l'Est de tenir sous le joug soviétique, toutes choses étant égales par ailleurs...

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  4. Certes la culture est essentielle, et j’observe que nous sommes justement dans l’affrontement de deux cultures, dans le choc de deux civilisations...
    Pour ce qui est de l’Europe de l’Est et du communisme, je considère que faisant partie de la même culture que « nous », un « retour au bercail » était possible. Ce n’est pas le même problème avec l’Islam...

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  5. Notre effondrement n'est pas lié à l'Islam....

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  6. Mais notre effondrement est son engrais... et il finira par nous étouffer.

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