dimanche 18 janvier 2015

ENTRE ANGELISME ET PRETENTION

L
es paradoxes de  « Charlie » nous aveuglent. Le souci de défendre la liberté d'expression et le droit au blasphème ainsi que notre élan compassionnel nous ont jeté dans les bras de l’idolâtrie vis-à-vis de Charlie Hebdo d'une manière aussi inattendue qu'incongrue. Au même moment où nous devons imaginer de nouvelles voies pour l’intégration de nos amis musulmans cette « Charlie mania » creuse entre eux et nous un fossé infranchissable. Notre discours sur les valeurs et l’offre civilisationnelle qui la sous-tendent sont provocateurs, angéliques et intolérants.

P
rovocateurs. N'avons-nous rien d'autre à offrir à nos concitoyens, et en particulier aux musulmans, « je suis Charlie » ? Leur proposer, que dis-je, les sommer de s'identifier à cette irrespect crasseux comme résumant la France, n'est-ce pas les encourager dans le mépris de notre pays et dans le repli identitaire ? J'aurais préféré qu'on défilât en scandant je suis Descartes je suis Cézanne je suis Proust je suis Ravel… (Rémi Brague[1]). Faire croire aux musulmans français que « Charlie, c’est la France », c’est confirmer dans l’esprit de beaucoup que décidément ils sont étrangers à ce corps politique. Comment peut-on se sentir membre de la communauté nationale si celle-ci se choisit pour symbole ce qui heurte ses croyances les plus sacrées ? …. Exiger qu’un musulman devienne un bon citoyen en adhérant aux valeurs de la République dont la pierre de touche est « Charlie », c’est pratiquement l’exclure et donc le jeter dans les bras des fondamentalistes qui n’attendent que cela. Ne tombons donc pas dans le piège que les islamistes nous tendent, couper les musulmans de France de la communauté nationale. (Thibaud Collin[2]). Tout est dit.

A
ngéliques. Les dernières déclarations de notre premier ministre comme de notre président de la république sont caractérisées par  un angélisme et un manque total de lucidité. Bien sûr que les musulmans ne sont pas nos ennemis ! Mais personne n’a le monopole de la musulmanophilie. Nous ne cessons de proclamer le respect et la tolérance, le « pas d’amalgame » entre Islam et islamisme, mais nous refusons de connaître le contenu du Coran et de nombre d’hadiths  qui méritent a minima notre attention.  Nous devons voir l’Islam tel qu’il est et pas tel que nous le rêvons… Rémi Brague souligne que : Parler d'islam modéré me semble de toute façon insultant pour les musulmans. Car enfin, si l'islam est une bonne chose, alors aucune dose ne sera trop forte. Il y a des musulmans que je ne dirais pas modérés, mais tout simplement, pour employer un mot qui fera sourire, vertueux…

I
ntolérants. Notre laïcisme n’est qu’hypocrisie si ce n’est un manque total d’ouverture à l’égard de ceux que nous prétendons accueillir. Auteur de La laïcité falsifiée (La Découverte), l'historien-sociologue Jean Baubérot explique dans Libération : << La loi ne relègue pas la religion dans la sphère privée, au contraire. Il s'agit de distinguer la puissance publique (l'Etat et ses représentants) d'une part, et l'espace public d'autre part qui est l'agora, l'espace de discussion, les lieux où les personnes privées circulent, dialoguent, ''s'engueulent librement'' comme le dit Daniel Cohn-Bendit... >> . Jean Baubérot résume ainsi la lettre et l'esprit de la loi française de 1905 : elle ne refoule pas les religions hors du forum, mais supprime les liens institutionnels entre l'Eglise catholique et l'Etat. C'est autre chose que la définition nouvelle, dangereuse à souhait, que nous proclamait ce matin M. Jean-Louis Bianco* : à l'entendre, la Laïcité est une philosophie que chaque individu doit professer pour permettre le « vivre ensemble » ; chacun d'entre nous est donc tenu de sacrifier à cette déesse. M. Bianco se rend-il compte qu'il est en train d'instaurer une idéologie d'Etat [3]?

A
théisme. Le laïc contemporain est athée, d’un athéisme prosélyte. Il veut réduire toutes les religions hors du débat public. La Foi des musulmans engage toute leur vie. Voilà qui nous est inconcevable du haut de notre fausse conception du progrès et des lumières. C’est ainsi. L’Homme est toujours un animal religieux. Il ne sort jamais de la religion. Il en change. Pour le meilleur, ou le pire. (Henri Hude[4]). Respecter les musulmans exige de faire une place à Dieu dans la cité. La confrontation politique avec l'Islam est religieuse. L'islam ne connait pas la distinction du spirituel et du temporel. La charia est insoluble dans la laïcité.  Ce que la laïcité a pu imposer au monde chrétien qui avait inventé les deux glaives et la distinction du spirituel et du temporel, elle ne pourra pas l'imposer au monde musulman.

C
onfrontation spirituelle. Pour relever le défi de la confrontation proposée par les musulmans nous devrons remettre la transcendance au cœur de nos valeurs et de notre civilisation. Nous devons nous situer au même niveau de préoccupation et d’exigence qu’eux. Nos valeurs républicaines, ancrées dans la laïcité issue de la révolution de 1789, dont Charlie n’est que la caricature, ne peuvent provoquer chez eux que des réactions violentes d’incompréhension. L’exigence de vérité passe par une compréhension profonde de l’Islam. S’y refuser est faire preuve de violence. C’est manquer de la tolérance dont nous nous gargarisons. C’est une provocation. A l’inverse la lucidité, la vérité  sur l’autre, ostracisés comme étant de l’islamophobie !, ne sont pas une déclaration de guerre de religion. Elles sont les points de passage obligés de l’intégration. La solution résultera d'une confrontation culturelle et spirituelle dont nous ne pourrons pas faire l'impasse. C'était ce qu'avait compris le père Charles de Foucauld. Il fut un précurseur. Un témoin en avance sur son temps. Des pays comme le Liban en furent l’illustration jusqu’à ce que la politique internationale y mette le feu, en même temps qu’à tout le Moyen Orient.

V
oilà pourquoi le discours officiel actuel relève d'un angélisme dangereux. Nous vivons la fin d'un cycle. Les lignes bougent. Nous tournons une page d'histoire. Il faut l'admettre, l'accepter, l'intégrer. Il ne faut pas plus en avoir peur que nous n'avons le droit de méconnaître l'identité de l'Autre. La peur est aussi mauvaise conseillère que la prétention… 




[1] http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/01/16/31003-20150116ARTFIG00466-remi-brague-en-france-on-a-le-droit-de-tout-dire-sauf-ce-qui-fache.php
[2] http://philosophe-chretien.blogs.la-croix.com/je-suis-charlie-une-faute-ethique-et-politique/2015/01/14/
[3] http://plunkett.hautetfort.com/archive/2015/01/18/le-soutien-de-m-valls-a-la-nouvelle-caricature-de-mahomet-pr-5536412.html#more
[4] http://www.henrihude.fr/mes-reflexions/50-democratiedurable/361-blaspheme-sacre

1 commentaire:

  1. Assez difficile de tout admettre dans ce texte, Entièrement d'accord sur la nécessité de connaître "l'autre", mais à condition de réciprocité...
    Les religions : elles sont trop souvent prêtes à se refermer sur elles-même avec leurs disciples convaincus ou entérinés... Et certaines sont conquérantes sinon guerrières.
    Les bien connaître d'abord .Que de différences pourtant acceptées par des humains identiques biologiquement.
    Social : Il faut divulguer ou enseigner cette identité . L'origine commune de tous les humains sur notre terre fait de nous tous des Africains et des émigrés. Pas très bon pour les regroupements créés par la suite, inventant la fonction tribale transformée en des pays différents où la crème des hommes se bat toujours , même avec Charlie .
    Problèmes : nous gardons dans nos inscriptions génétiques, l'instinct de survie et de conquête de l'espace vital. Que la politique exploite. Autre point négatif pour la paix.
    La fin du cycle humain n'est pas encore proche. Tout au long des millénaires, la progression exponentielle de la complexité de l'organisme humain, celle de la population, et donc celle des risques, devraient nous mener à une limite insupportable pour tous, voire explosive. Cela calmera peut-être un moment, le jeu cruel de la civilisation , pour ensuite recommencer de plus belle, avec bien sur un jour l'extinction de tous , faute de nourriture , par exemple. - Ou pire... Et gare à l'instinct de survie ...
    Janclode

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