Nous sommes envahis par un sentiment d'impuissance, et trop souvent de
découragement. Au point que nous attendons notre salut d'un homme providentiel
tout en sachant que notre système politique ne lui laissera jamais la chance
d'arriver au pouvoir si tant est qu'il existe… L’État tentaculaire et
omniprésent dont nous dépendons toujours plus, échappe progressivement à notre
contrôle et notre pouvoir. La mascarade politique dont nous sommes les
arbitres sans en être les acteurs soulève la problématique du pouvoir. Nous
avons renoncé à maîtriser notre destin. Comment en sommes-nous arrivés là ? Ce
paradoxe de nos sociétés démocratiques nécessite d'être approfondi pour ne
précisément pas tomber dans la désespérance....
Deux lectures croisées nous aideront dans cette recherche. Celle du livre
de Chantal Delsol « l'âge du renoncement »[1]
et celle du livre de Matthew B. Crawford « contact-pourquoi nous avons perdu le
monde, et comment le retrouver »[2].
Nous avons en grande partie perdu le contrôle de nos vies, de ce que nous
faisons, de ce que nous construisons, de ce que nous devenons, de notre destin.
Comment avons-nous ainsi pu consentir à ces renoncements au point que Chantal
Delsol évoque le développement monopolistique de l'utile qui prend le pas sur
le vrai et l'instrumentalisation de la vérité au profit de l'utile ?
Cette perte de contrôle s'observe à tous les niveaux, dans tous les
domaines.
La monnaie a pris le dessus sur l'économie ; le directeur
financier de nos entreprises a pris le pas sur tous ses autres dirigeants.
Le juridisme domine le droit et la justice.
Le sexe fragilise l'amour.
Une forme de médicalisation de questions relevant autrefois de la morale a
relégué le questionnement moral aux oubliettes.
L'enseignement n’a plus pour objet que la formation d'excellents
techniciens ; c’est le règne de l'ingénieur .
Le laïcisme élimine le religieux.
L'homme fatigué par sa journée de travail s'avachit devant sa télévision et
regarde avec passivité ce qu'on lui propose en renonçant à exercer son libre arbitre
et sa faculté de choix.
Le joueur de casino est mu par la frénésie du jeu et non pas par la
recherche du gain (l'analyse qu'en fait Matthew B. Crawford est passionnante…).
Le but de nos activités est devenu l'activité elle-même. Ce n'est plus le
contenu de notre pensée qui compte mais la façon dont nous y parvenons. Le
curseur s'est déplacé de la fin vers le moyen, de l'objectif vers l'outil.
Matthew B. Trawford explique que le critère de la rationalité n'a plus rien de
substantiel, il devient exclusivement procédural ; ce qui implique un
déplacement du critère de la vérité : celui-ci n'est plus dans le monde, mais à
l'intérieur de notre tête ; il devient une fonction de nos procédures mentales.
De telle sorte que notre attention a définitivement changé de cible. Elle ne
consiste plus à nous permettre de rencontrer le réel mais de construire une
représentation mentale du monde.
Chantal Delsol explique que nous avons basculé dans un système de recherche
permanente du consensus grâce aux négociations et aux compromis dans lequel on
ne discute plus sur des vérités mais sur des intérêts. Un système qui nie
l'autorité et la hiérarchie, dans lequel l'échelle n'est plus le temps mais
l'espace. Monde de la gouvernance, sans buts, dans lequel l'existence se réduit
au seul chemin.
La clé de compréhension se trouve dans ce que Chantal Delsol appelle le
renoncement et dans ce que Matthew B. Crawford dénonce comme la perte de
l’attention lorsqu'il invite son lecteur à « ne pas se laisser absorber
par le discours abstrait qui se déploie dans sa tête, mais à prêter
tout simplement attention à ce qui se passe juste sous ses yeux » ;
s'inspirant ainsi de Wallace pour qui la capacité d'orienter notre attention à
notre guise est une condition essentielle de la vie bonne. Cette vie bonne dont
Chantal Delsol dénonce qu'elle ne soit plus le centre de notre civilisation…
S’agissant de l’attention qui est le thème central de sa réflexion Matthew
Crawford cite Simone Weil : « il y a quelque chose dans notre âme
qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chaire ne
répugne à la fatigue. Ce quelque chose est beaucoup plus proche du mal que la
chair. C'est pourquoi toutes les fois qu'on fait vraiment attention, on détruit
du mal en soi. ». D'où il résulte la nécessité d'une pratique
ascétique de l'attention. Matthew B. Crawford nous invite à une érotique de
l’attention.
Nous pouvons conclure que la solution se trouve dans notre approche du réel
et de sa connaissance, à travers notre attention ; notre souci de rester
connecté à la réalité et de ne pas nous laisser déconnecter de cette dernière
par toutes nos procédures, nos outils, nos moyens sur lesquels on nous focalise
afin de nous distraire de l’essentiel.
Non, la solution ne viendra pas toute seule. Elle ne tombera pas du ciel.
Elle ne sortira pas d'une élection, brutalement, comme par miracle en 2017, en
2022, en 2027. Elle sera le résultat de la seule vraie révolution qui vaille,
celle de notre regard sur le monde et de l’affirmation de notre volonté de nous
y immerger afin d’en maîtriser les évolutions. Nous devons reprendre le pouvoir
dans tous les domaines de notre vie, pour espérer qu’un jour le pouvoir
politique réponde à nos besoins et non pas à son pouvoir propre qui se nourrit
des procédures et des artifices dont nous avons accepté qu’elles nous
détournent du réel.
[1]
http://www.amazon.fr/L%C3%A2ge-du-renoncement-Chantal-Delsol/dp/2204095133/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457906319&sr=8-1&keywords=age+du+renoncement
[2]
http://www.amazon.fr/Contact-Matthew-B-CRAWFORD/dp/2707186627/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457906389&sr=8-1&keywords=CRawford
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