Nombreux sont les analystes politiques qui s'interrogent sur
la légitimité du pouvoir démocratique en France et en Europe. Défection d'une
partie de l'électorat manifestant sa défiance à l'égard de ses dirigeants. Divorce
entre le peuple et la classe politique... C'est l'occasion de s'interroger sur
ce qui caractérise la légitimité d'un pouvoir. Je puiserai mes réflexions dans
la lecture du remarquable livre de Guglielmo Ferrero « Pouvoirs », ouvrage
écrit en 1943 mais d’une actualité brûlante.
Ce dernier y explique que « la légitimité consiste en un
accord tacite et sous-entendu entre le pouvoir et ses sujets, sur certains
principes et certaines règles qui fixent l'attribution et les limites du
pouvoir ». Le principe de légitimité démocratique repose sur deux
piliers, le droit d'opposition et l'élection, avec comme corollaire la
nécessité de concilier la majorité et la minorité, le pouvoir et l'opposition,
organes solidaires d'une unique volonté générale.
La légitimité d'un pouvoir met le peuple et la Nation à
l'abri de la peur, et de la violence qui en résulte de manière inéluctable. Car
les hommes ont peur du pouvoir qui peut les frapper et le pouvoir a peur des
hommes qui peuvent se révolter ! La peur est ainsi par exemple la seule véritable explication
du pouvoir Napoléonien et de son expansionnisme guerrier ; ce qui
constitue la vérité de tout pouvoir révolutionnaire caractérisé par la
fuite en avant.
Le principe de légitimité est une défense contre la peur
active et passive du pouvoir, afin d'y substituer la force découlant du
consentement nécessitant lui-même la loyauté. La crise de légitimité provient
dès lors du fait qu’à un moment donné les esprits ne peuvent plus supporter
l'absurdité et l'injustice que le principe de légitimité renferme en lui-même ;
car l’obéissance à un pouvoir a un aspect « contre nature » qui en
fait la fragilité. Dès l’instant qu’il n’y a plus de consensus, de consentement
et d'acceptation, la société est dans un état où le pouvoir est donc susceptible de réagir
par la peur, c'est-à-dire de manière violente, de même que le peuple peut
lui-même réagir par la même peur et donc aussi de manière violente ; ce
qui caractérise le phénomène révolutionnaire dont l’histoire démontre qu’il
peut naître de manière inattendue de circonstances propices mais non mesurables à l'avance.
Le problème n'est pas tant de savoir ce qui fait ou ne
fait pas consensus – si celui-ci n’est pas relatif, il est partiel, fruit de
facteurs évolutifs parce que contingents- mais de s'interroger sur les raisons
pour lesquelles il a disparu ; afin de chercher les moyens de
retrouver le chemin de la légitimité et de la paix. Alors qu'on nous rabat les
oreilles avec le consensus des droits de l'homme et des principes démocratiques, Guglielmo Ferrero répondait à l’avance que « les immortels principes, la
déclaration des droits de l'homme deviennent un fléau si le pouvoir s'en sert
comme d'un prétexte pour augmenter les charges et des impositions des sujets,
et si les sujets en profitent pour substituer au devoir de mieux obéir, le
droit de désobéir ». N'est-ce pas très exactement la description de la
situation dans laquelle nous nous trouvons ? Autant dire que nous sommes aujourd’hui
dans une situation que notre auteur qualifierait de « pré-révolutionnaire »...
Guglielmo Ferrero conclut son livre en expliquant que
l'ordre basé sur le consensus nécessaire au principe de légitimité résulte
d'une œuvre de l'intelligence et du cœur, œuvre immense, à laquelle doivent
concourir les hommes d'État, les lettrés, les historiens, les artistes et les
philosophes. L'ordre est pour lui « l'épuisant travail de l'humanité contre
lequel elle est toujours en état de lutte en puissance » ce qui l'amène
à s'interroger sur le principe de réalité qui est nié par la philosophie
occidentale depuis Descartes en ce qu'elle s'est mise « à nier partiellement d'une
manière ou d'une autre la réalité du monde », en voulant se
l'approprier, en faire sa chose. Pour lui on ne voit pas comment une
philosophie « qui n'est pas sûre de la réalité du monde pourrait éviter au milieu
d'une civilisation dévastée par la force la peur, d'aboutir par désespoir à la
suprême consolation et la destruction du Nirvana ».
Le système de démocratie confisquée qui s'est
progressivement mis en place en France, et en Europe avec le processus antidémocratique
de la construction européenne, joue donc avec le feu. L'équilibre est fragile. Parce
que tout ce qui touche à l'homme est délicat et subtil. Comme Guglielmo Ferrero le
rappelle cette fragilité est la caractéristique de toute société humaine ;
car celle-ci repose sur "la contradiction entre la liberté humaine d'une part et
le besoin social de réaction prévisible d'autre part". L'homme est toujours plus
ou moins en lutte contre la société dont il a besoin…. Paradoxe des hommes
réunis en société qui ne savent commander et obéir que d'une manière très
imparfaite… Au fond il est impossible de faire peur aux hommes sans finir par
en avoir peur; drame de la peur réciproque du pouvoir et de ses sujets...
N'y a-t-il pas d’ores et déjà une forme de violence,
feutrée, mais propre à cette société dite avancée et du progrès, dans le mode
d'exercice moderne du pouvoir par une minorité auto proclamée, se recrutant
entre soi ? Elle qui, pour ne prendre qu’un exemple, a imposé un certain type de construction européenne contre notre volonté clairement exprimée.
D'où l'urgence et la nécessité de rechercher dans ce
monde agité, complexe, délicat et dangereux, les hommes de réflexion et d’Etat
capables de renoncer à une conception « hors sol » de la politique, d’incarner
la légitimité du pouvoir et de nous mettre à l’abri des périls d’un processus révolutionnaire !....
CQFD....
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