dimanche 17 avril 2016

CE POUVOIR EST-IL LEGITIME?

Nombreux sont les analystes politiques qui s'interrogent sur la légitimité du pouvoir démocratique en France et en Europe. Défection d'une partie de l'électorat manifestant sa défiance à l'égard de ses dirigeants. Divorce entre le peuple et la classe politique... C'est l'occasion de s'interroger sur ce qui caractérise la légitimité d'un pouvoir. Je puiserai mes réflexions dans la lecture du remarquable livre de Guglielmo Ferrero « Pouvoirs », ouvrage écrit en 1943 mais d’une actualité brûlante.

Ce dernier y explique que « la légitimité consiste en un accord tacite et sous-entendu entre le pouvoir et ses sujets, sur certains principes et certaines règles qui fixent l'attribution et les limites du pouvoir ». Le principe de légitimité démocratique repose sur deux piliers, le droit d'opposition et l'élection, avec comme corollaire la nécessité de concilier la majorité et la minorité, le pouvoir et l'opposition, organes solidaires d'une unique volonté générale.

La légitimité d'un pouvoir met le peuple et la Nation à l'abri de la peur, et de la violence qui en résulte de manière inéluctable. Car les hommes ont peur du pouvoir qui peut les frapper et le pouvoir a peur des hommes qui peuvent se révolter ! La peur est ainsi par exemple la seule véritable explication du pouvoir Napoléonien et de son expansionnisme guerrier ; ce qui constitue la vérité de tout pouvoir révolutionnaire caractérisé par  la fuite en avant.

Le principe de légitimité est une défense contre la peur active et passive du pouvoir, afin d'y substituer la force découlant du consentement nécessitant lui-même la loyauté. La crise de légitimité provient dès lors du fait qu’à un moment donné les esprits ne peuvent plus supporter l'absurdité et l'injustice que le principe de légitimité renferme en lui-même ; car l’obéissance à un pouvoir a un aspect « contre nature » qui en fait la fragilité. Dès l’instant qu’il n’y a plus de consensus, de consentement et d'acceptation, la société est dans un état où le pouvoir est donc susceptible de réagir par la peur, c'est-à-dire de manière violente, de même que le peuple peut lui-même réagir par la même peur et donc aussi de manière violente ; ce qui caractérise le phénomène révolutionnaire dont l’histoire démontre qu’il peut naître de manière inattendue de circonstances propices mais non mesurables à l'avance.

Le problème n'est pas tant de savoir ce qui fait ou ne fait pas consensus – si celui-ci n’est pas relatif, il est partiel, fruit de facteurs évolutifs parce que contingents- mais de s'interroger sur les raisons pour lesquelles il a disparu ; afin de chercher les moyens de retrouver le chemin de la légitimité et de la paix. Alors qu'on nous rabat les oreilles avec le consensus des droits de l'homme et des principes démocratiques, Guglielmo Ferrero répondait à l’avance que « les immortels principes, la déclaration des droits de l'homme deviennent un fléau si le pouvoir s'en sert comme d'un prétexte pour augmenter les charges et des impositions des sujets, et si les sujets en profitent pour substituer au devoir de mieux obéir, le droit de désobéir ». N'est-ce pas très exactement la description de la situation dans laquelle nous nous trouvons ? Autant dire que nous sommes aujourd’hui dans une situation que notre auteur qualifierait de « pré-révolutionnaire »...

Guglielmo Ferrero conclut son livre en expliquant que l'ordre basé sur le consensus nécessaire au principe de légitimité résulte d'une œuvre de l'intelligence et du cœur, œuvre immense, à laquelle doivent concourir les hommes d'État, les lettrés, les historiens, les artistes et les philosophes. L'ordre est pour lui « l'épuisant travail de l'humanité contre lequel elle est toujours en état de lutte en puissance » ce qui l'amène à s'interroger sur le principe de réalité qui est nié par la philosophie occidentale depuis Descartes en ce qu'elle s'est mise « à nier partiellement d'une manière ou d'une autre la réalité du monde », en voulant se l'approprier, en faire sa chose. Pour lui on ne voit pas comment une philosophie « qui n'est pas sûre de la réalité du monde pourrait éviter au milieu d'une civilisation dévastée par la force la peur, d'aboutir par désespoir à la suprême consolation et la destruction du Nirvana ».

Le système de démocratie confisquée qui s'est progressivement mis en place en France, et en Europe avec le processus antidémocratique de la construction européenne, joue donc avec le feu. L'équilibre est fragile. Parce que tout ce qui touche à l'homme est délicat et subtil. Comme Guglielmo  Ferrero le rappelle cette fragilité est la caractéristique de toute société humaine ; car celle-ci repose sur "la contradiction entre la liberté humaine d'une part et le besoin social de réaction prévisible d'autre part". L'homme est toujours plus ou moins en lutte contre la société dont il a besoin…. Paradoxe des hommes réunis en société qui ne savent commander et obéir que d'une manière très imparfaite… Au fond il est impossible de faire peur aux hommes sans finir par en avoir peur; drame de la peur réciproque du pouvoir et de ses sujets...

N'y a-t-il pas d’ores et déjà une forme de violence, feutrée, mais propre à cette société dite avancée et du progrès, dans le mode d'exercice moderne du pouvoir par une minorité auto proclamée, se recrutant entre soi ? Elle qui, pour ne prendre qu’un exemple, a imposé un certain type de construction européenne contre notre volonté clairement exprimée.

D'où l'urgence et la nécessité de rechercher dans ce monde agité, complexe, délicat et dangereux, les hommes de réflexion et d’Etat capables de renoncer à une conception « hors sol » de la politique, d’incarner la légitimité du pouvoir et de nous mettre à l’abri des périls d’un processus révolutionnaire !.... CQFD....




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