« Face
aux épreuves du siècle qui menace, jamais les béquilles juridiques ne suffiront
à maintenir les gens debout »[1]. A
croire Alexandre Soljenitsyne le droit ne serait plus qu’une simple prothèse
sur des peuples à la dérive. Le droit a-t-il subi les mêmes subversions
que le peuple et la société civile ? Les déconstructions du peuple, de la
société et du droit sont-elles liées ? A l’inverse à quelles conditions le
droit peut-il jouer un rôle dans la nécessaire entreprise de reconstruction d’un
peuple?
On ne peut « refaire » un peuple à
partir de rien, par contre on peut lui donner les moyens de revivre, alors
qu’il est devenu une masse inerte, une foule informe, un agglomérat d'individus,
sans autre lien entre eux qu'un juridisme très politique, réduit à l’état de
béquilles incapables de lui redonner vie.
Pour reprendre les mots de Chantal Delsol « les malfaiteurs ont subtilisé la chose la
plus volatile (et j'ajoute la plus précieuse) : le sens ». Le même auteur poursuivant « que manque-t-il alors que rien ne manque ? Les significations… »[2]. Le
sens nous manque. Le lien aussi. De même que la structure faite de solidarités et de
liens. Le nihilisme moderne a imposé des mutations et des
transformations de la société, la dénaturant et l'éloignant de la recherche de
ce qui est juste, comme de ce qui est nécessaire au plein épanouissement de ses
membres. « La vision nihiliste est en
correspondance avec l'individualisme pour accorder la valeur primordiale à la
volonté individuelle surpassant toutes normes éthiques hétéronomes »[3].
La constitution
d’un peuple est le résultat d'un lent et long processus de sédimentation
anthropologique. L'homme est un animal social, dont la dignité est reconnue par
tous. Il se nourrit de culture et ne peut s'épanouir que dans le cadre d'une
civilisation répondant à ses besoins matériels, culturels et spirituels. Un peuple se fonde sur le partage d’une
langue, d’un territoire et d‘habitudes de vie commune. « Le peuple vit et se meut par sa vie propre. La masse est en elle-même
inerte, elle ne peut être mue que de l'extérieur. Le peuple vit de la plénitude
de la vie des hommes qui le composent, dont chacun est une personne consciente
de ses propres responsabilités et de ses propres convictions »[4].
Cet ensemble organique, fragile, subtil et
évolutif qui a explosé sous les coups de boutoir de la déconstruction moderniste,
devait sa structure à l’œuvre civilisatrice du droit. Car le droit codifie et
structure les relations naturelles, afin que règne la justice entre ses
différents membres. « La souveraineté
civile a été conclue par le créateur afin qu'elle régla la vie sociale selon
les prescriptions d'un ordre immuable dans ses principes universels, qu'elle
rendit plus aisé à la personne humaine, dans l'ordre temporel, l'obtention de
la perfection physique intellectuelle et morale et qu'elle aida à atteindre sa
fin surnaturelle »[5] .
Les Romains à qui nous devons le droit, nous
ont appris qu'il est l'objet de la justice. Ils nous ont légué un principe que
nous avons abandonné, poussant le renoncement et l’impiété jusqu’à faire son exact
contraire : « le droit n'est
pas tiré de la règle, c'est du droit que sort la règle »[6] .
Notre système institutionnel contemporain est
à l’inverse marqué par une prolifération juridique, un prurit de la
réglementation, et une errance doctrinale. Nous avons renversé la table, et avec elle les
sages principes de l'antiquité romaine comme de la période classique qui les
avait perpétués. La règle fait dorénavant le droit. Celui-ci est devenu
l'instrument d'une politique de réforme permanente de la société au service
d'une vision individualiste, hédoniste, consumériste et matérialiste. Les
outils juridiques ne sont plus au service du droit et de la justice sous toutes
ses formes. Ils sont le bras armé de la modernité et de la déconstruction, de
la réforme, de la transformation de la société et à travers elle du peuple dans
toutes ses composantes.
Ce processus remonte à avant la période
révolutionnaire. Le démontrant, Chantal Delsol cite Nicolas Berdiaev. : « J’appelle conventionnellement nouveau Moyen
Âge la chute du principe légitime du pouvoir, du principe juridique des
monarchies et des démocraties, et son remplacement par le principe de la force,
de l'énergie vitale, des unions et des groupes sociaux spontanés ». Elle
poursuit en expliquant que la charnière historique de cette évolution se situe
au XVIe et au XVIIe siècle. Et elle conclut : « nous sommes en train de passer en sens inverse du système de Bodin à
celui d'Althusius d'un monde structuré en entités politiques définies, robustes
et comptées, un monde déstructuré nanti d'innombrables entités superposées,
volatiles et fragiles. Une décomposition politique accompagne celle des
monuments de la pensée, et lui fait écho »[7].
Afin de revenir à un schéma civilisateur et
civilisé, tourné vers la dignité de la personne, nous avons un besoin vital de
retrouver le sens des communautés de destin et la vitalité des médiateurs
naturels; et à cet effet de mettre en œuvre les principes de subsidiarité et de
totalité gouvernés par la recherche du bien commun. Ce qui nécessite que le
droit ne soit pas la béquille dont parle Alexandre Soljenitsyne, mais une vivifiante
structure de normes et de règles. A ces conditions, débarrassé du prurit de la
réforme et de la folie réglementaire, affranchi de son ambition prométhéenne, le
droit peut être le moyen de faire renaître un peuple à partir de l'agglomérat
d'individualités auquel nous avons été réduits. La manie contemporaine,
socialiste comme libérale, de légifération et de la réglementation à tous bouts
de champs, est le contraire de ce dont nous avons besoin. Ce n’est qu’en
recherchant le droit dans ce qui est juste, sous le prisme du bien commun, et
non pas en s’en servant comme d’un outil au service de la politique, que nous
contribuerons avec efficacité à l’œuvre civilisatrice de renaissance d’un
peuple ! Ecole de l’humilité et de la modestie décrite et enseignée par
Benoit XVI : « Pour
une grande partie des matières à réguler juridiquement, le critère de la
majorité peut être suffisant. Mais il est évident que dans les questions
fondamentales du droit, où est en jeu la dignité de l’homme et de l’humanité,
le principe majoritaire ne suffit pas: dans le processus de formation du droit,
chaque personne qui a une responsabilité doit chercher elle-même les critères
de sa propre orientation.» [8]
Le droit ainsi retrouvé peut être la voie de
la renaissance et de la reconstruction de notre peuple au cœur de la Nation
française!
Cet article est paru dans la revue "PERMANENCES". http://www.ichtus.fr/refaire-un-peuple/
[1]
Alexandre Soljenitsyne, Le déclin du
courage
[2]
Chantal Delsol L'âge du renoncement
[3]
Chantal Delsol L'âge du renoncement
[4]
Pie XII-Radio-message sur la démocratie
[5]
Pie XII – Summi Pontificatus
[6]
Digeste L 50, T 17, fragments 1
[7]
Chantal Delsol, L'âge du renoncement
[8]
Discours du Pape BENOÎT XVI devant le BUNDESTAG Berlin Jeudi 22 septembre 2011
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.