dimanche 24 avril 2016

LE DROIT ET LE PEUPLE

« Face aux épreuves du siècle qui menace, jamais les béquilles juridiques ne suffiront à maintenir les gens debout »[1]. A croire Alexandre Soljenitsyne le droit ne serait plus qu’une simple prothèse sur des peuples à la dérive.  Le droit a-t-il subi les mêmes subversions que le peuple et la société civile ? Les déconstructions du peuple, de la société et du droit sont-elles liées ? A l’inverse à quelles conditions le droit peut-il jouer un rôle dans la nécessaire entreprise de reconstruction d’un peuple?

On ne peut « refaire » un peuple à partir de rien, par contre on peut lui donner les moyens de revivre, alors qu’il est devenu une masse inerte, une foule informe, un agglomérat d'individus, sans autre lien entre eux qu'un juridisme très politique, réduit à l’état de béquilles incapables de lui redonner vie.
Pour reprendre les mots de Chantal Delsol « les malfaiteurs ont subtilisé la chose la plus volatile (et j'ajoute la plus précieuse) : le sens ». Le même auteur poursuivant « que manque-t-il alors que rien ne manque ? Les significations… »[2]. Le sens nous manque. Le lien aussi. De même que la structure faite de solidarités et de liens. Le nihilisme moderne a imposé des mutations et des transformations de la société, la dénaturant et l'éloignant de la recherche de ce qui est juste, comme de ce qui est nécessaire au plein épanouissement de ses membres. « La vision nihiliste est en correspondance avec l'individualisme pour accorder la valeur primordiale à la volonté individuelle surpassant toutes normes éthiques hétéronomes »[3].

La  constitution d’un peuple est le résultat d'un lent et long processus de sédimentation anthropologique. L'homme est un animal social, dont la dignité est reconnue par tous. Il se nourrit de culture et ne peut s'épanouir que dans le cadre d'une civilisation répondant à ses besoins matériels, culturels et spirituels. Un peuple se fonde sur le partage d’une langue, d’un territoire et d‘habitudes de vie commune. « Le peuple vit et se meut par sa vie propre. La masse est en elle-même inerte, elle ne peut être mue que de l'extérieur. Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions »[4].

Cet ensemble organique, fragile, subtil et évolutif qui a explosé sous les coups de boutoir de la déconstruction moderniste, devait sa structure à l’œuvre civilisatrice du droit. Car le droit codifie et structure les relations naturelles, afin que règne la justice entre ses différents membres. « La souveraineté civile a été conclue par le créateur afin qu'elle régla la vie sociale selon les prescriptions d'un ordre immuable dans ses principes universels, qu'elle rendit plus aisé à la personne humaine, dans l'ordre temporel, l'obtention de la perfection physique intellectuelle et morale et qu'elle aida à atteindre sa fin surnaturelle »[5] .
Les Romains à qui nous devons le droit, nous ont appris qu'il est l'objet de la justice. Ils nous ont légué un principe que nous avons abandonné, poussant le renoncement et l’impiété jusqu’à faire son exact contraire : « le droit n'est pas tiré de la règle, c'est du droit que sort la règle »[6] .

Notre système institutionnel contemporain est à l’inverse marqué par une prolifération juridique, un prurit de la réglementation, et une errance doctrinale. Nous avons renversé la table, et avec elle les sages principes de l'antiquité romaine comme de la période classique qui les avait perpétués. La règle fait dorénavant le droit. Celui-ci est devenu l'instrument d'une politique de réforme permanente de la société au service d'une vision individualiste, hédoniste, consumériste et matérialiste. Les outils juridiques ne sont plus au service du droit et de la justice sous toutes ses formes. Ils sont le bras armé de la modernité et de la déconstruction, de la réforme, de la transformation de la société et à travers elle du peuple dans toutes ses composantes.
Ce processus remonte à avant la période révolutionnaire. Le démontrant, Chantal Delsol cite Nicolas Berdiaev. : « J’appelle conventionnellement nouveau Moyen Âge la chute du principe légitime du pouvoir, du principe juridique des monarchies et des démocraties, et son remplacement par le principe de la force, de l'énergie vitale, des unions et des groupes sociaux spontanés ». Elle poursuit en expliquant que la charnière historique de cette évolution se situe au XVIe et au XVIIe siècle. Et elle conclut : « nous sommes en train de passer en sens inverse du système de Bodin à celui d'Althusius d'un monde structuré en entités politiques définies, robustes et comptées, un monde déstructuré nanti d'innombrables entités superposées, volatiles et fragiles. Une décomposition politique accompagne celle des monuments de la pensée, et lui fait écho »[7].

Afin de revenir à un schéma civilisateur et civilisé, tourné vers la dignité de la personne, nous avons un besoin vital de retrouver le sens des communautés de destin et la vitalité des médiateurs naturels; et à cet effet de mettre en œuvre les principes de subsidiarité et de totalité gouvernés par la recherche du bien commun. Ce qui nécessite que le droit ne soit pas la béquille dont parle Alexandre Soljenitsyne, mais une vivifiante structure de normes et de règles. A ces conditions, débarrassé du prurit de la réforme et de la folie réglementaire, affranchi de son ambition prométhéenne, le droit peut être le moyen de faire renaître un peuple à partir de l'agglomérat d'individualités auquel nous avons été réduits. La manie contemporaine, socialiste comme libérale, de légifération et de la réglementation à tous bouts de champs, est le contraire de ce dont nous avons besoin. Ce n’est qu’en recherchant le droit dans ce qui est juste, sous le prisme du bien commun, et non pas en s’en servant comme d’un outil au service de la politique, que nous contribuerons avec efficacité à l’œuvre civilisatrice de renaissance d’un peuple ! Ecole de l’humilité et de la modestie décrite et enseignée par Benoit XVI : « Pour une grande partie des matières à réguler juridiquement, le critère de la majorité peut être suffisant. Mais il est évident que dans les questions fondamentales du droit, où est en jeu la dignité de l’homme et de l’humanité, le principe majoritaire ne suffit pas: dans le processus de formation du droit, chaque personne qui a une responsabilité doit chercher elle-même les critères de sa propre orientation.» [8]

Le droit ainsi retrouvé peut être la voie de la renaissance et de la reconstruction de notre peuple au cœur de la Nation française!


Cet article est paru dans la revue "PERMANENCES".  http://www.ichtus.fr/refaire-un-peuple/





[1] Alexandre Soljenitsyne, Le déclin du courage
[2] Chantal Delsol L'âge du renoncement
[3] Chantal Delsol L'âge du renoncement
[4] Pie XII-Radio-message sur la démocratie
[5] Pie XII – Summi Pontificatus
[6] Digeste L 50, T 17, fragments 1
[7] Chantal Delsol, L'âge du renoncement
[8] Discours du Pape BENOÎT XVI devant le BUNDESTAG Berlin Jeudi 22 septembre 2011 

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