dimanche 18 septembre 2016

CESSER DE FAIRE LA CABRIOLE!

Le monde moderne est en mal d'un roman, d'une histoire, d'un projet, d'une perspective, d'une finalité. Fin d’une époque, d’une civilisation ? Aube d’une ère nouvelle ? La question se pose de savoir quelles sont les clés de cette évolution qui prend des allures inquiétantes de guerre économique, financière, terroriste ou armée.

L'Europe, hier  souveraine, se replie progressivement sur elle-même ; elle a honte et peur de ce qu'elle a représenté et de l'autorité qu'elle a exercé sur le monde, en même temps qu'elle est incapable de retrouver le chemin du développement économique. La machine à gagner est en panne…

Le monde donne l'exemple d'un champ de bataille dans lequel chaque nation, chaque État, voire chaque individu, affirme son identité propre, son projet personnel, au risque de semer le trouble autour de lui. Il semble être devenu fou. Qui commande les peuples ?

Il y a près de 80 ans dans son traité « la révolte des masses »[1], José ORTEGA Y GASSET utilisait l'image surprenante de la cabriole pour répondre à cette question. Prenant l'exemple d'une classe d'élèves dont le maître s'est absenté et dans laquelle « chaque élève éprouve le délicieux besoin d'échapper à la pression qu'imposait la présence du maître, de rejeter le joug des règles, de lever les jambes en l'air, de se sentir maître de son propre destin »… De telle sorte que « la troupe des enfants n'a plus aucun emploi fixe, aucune occupation sérieuse, aucune tâche qui ait un sens, une continuité et une trajectoire » et il arrive qu'elle ne sait plus faire qu'une seule chose : la cabriole !

Pendant des siècles, après l’époque gréco-romaine, l'Europe a été « maître du monde », créant une civilisation qui fut exportée au-delà de ses frontières, sous réserve peut-être de la Chine, ce qui mériterait une analyse spécifique. Force est de constater que si le système de normes qu'elle avait mis en place n'était pas le meilleur, il n'en fut pas moins générateur d'une civilisation et d’un équilibre qui permit un développement bénéfique sur d’innombrables plans. Et depuis qu'elle a renoncé à ce leadership, poussant le renoncement jusqu'à l'autoflagellation, force est de constater que l'évolution du monde a été marquée par une forme d'anarchie et de folie dont nous voyons l'explosion depuis le XXe siècle et en ce début de XXIe siècle. Car il s'agit bien d'anarchie internationale, de jungle, de folie meurtrière, de concurrence des totalitarismes; même si la Doxa contemporaine tente de nous convaincre que notre monde des lumières s'est substitué aux ténèbres moyenâgeuses d'avant la révolution de 1789.

Pour analyser cette problématique de près et honnêtement il s'agit de bien s'entendre sur les mots. Si l'on parle de commandement (en ce qu'il est l'exercice d'une autorité), mot insupportable dans nos démocraties contemporaines, il ne s'agit pas de l'exercice d'une contrainte par la force mais d'exercer une autorité avec l'assentiment du peuple, ce qui n'est absolument pas la même chose… José ORTEGA Y GASSET s'exprime ainsi : « commander c'est imposer une tâche aux gens, c'est les mettre dans leur destin, les replacer dans leurs gonds, réduire leur extravagance qui est généralement vacance, fainéantise, vacuité de la vie, désolation ». Ce qui oblige à admettre que les membres d’un peuple ne sont pas tous capables de se diriger spontanément vers leur finalité.... Mais, même si cela n'est pas toujours facile ou agréable à entendre, ni conforme à la bienséance démocratique, n'est-ce pas une réalité de la vie de tous les jours sur le plan social, économique comme politique ? Et l'auteur insiste « la fonction de commander et d'obéir et la fonction décisive en toute société » !

Car, quoi que l'on puisse dire sur la notion d'autorité et son exercice, à travers notamment les approches contemporaines en entreprise ou à l’école, qui osera sérieusement contester le rôle moteur du chef, de celui qui a la capacité de voir, de se projeter dans l'avenir, d'aider à la définition du projet et de permettre ainsi à tout ceux qu'il a la responsabilité de conduire, de s'épanouir, de se développer et de grandir ? Qui n'a pas connu de crise dans un cadre quel qu'il soit, à un moment ou un autre de sa vie, et n'a pas à cette occasion ressenti ou constaté le besoin du ralliement à celui qui est capable de rassembler les énergies et de les entraîner dans la bonne direction ?

Il en va ainsi des hommes, des entreprises, de tous les groupes organisés, des armées et des nations.

Notre frénésie de recherche d'un homme providentiel pour conduire la barque de la France en ce temps de crise multiformes, n'est-elle pas très précisément dans cette logique que nous réfutons par ailleurs au nom de nos principes ?

Ceci posé, José ORTEGA Y GASSET développe une analyse très originale surtout lorsque l'on réalise qu'elle fut publiée en  1937. J'en prendrai deux exemples.

Il considère tout d'abord que les critiques de nos systèmes parlementaires institutionnels, analysés comme étant à l'origine des crises traversées par nos démocraties, sont de véritables inepties. Tout simplement parce que les parlements et plus généralement les institutions ne sont que des instruments au service d'une finalité et que le problème réel est de savoir les adapter et les mettre au service d'un projet. Encore faut-il donc que le projet soit préalablement défini et que la finalité soit désignée !

Il analyse ensuite les crises économiques (le monde venait d'en traverser une particulièrement difficile lorsqu'il publia son ouvrage). À la question de savoir pourquoi les Européens ne se sentiraient plus capables de produire plus et mieux que jamais il répond qu'en réalité ils se heurtent à des barrières qui les empêchent de réaliser ce qu'ils pourraient fort bien faire. N'est-ce pas très précisément le mal dont nous souffrons? Ne plus savoir comment nous pourrions produire et retrouver les chemins de la prospérité ? Pourquoi ? Parce que nous ne parvenons pas à imaginer le monde à sa nouvelle échelle, dans sa dimension liée au développement des nouvelles technologies. Ce qui nécessite la vision de la finalité et la définition du projet à venir…

Ces deux illustrations mettent en évidence la nécessité de percevoir le monde de demain et de déterminer comment et à quelles conditions il peut répondre à l'attente et aux besoins de la plus grande partie possible de l'humanité, afin de conduire les peuples dans la bonne direction.

Or la définition de cette finalité relève d'un pouvoir d'ordre spirituel. Le mot spirituel n'est pas ici entendu au sens religieux du terme mais au sens strict, c'est-à-dire de ce qui relève de l'esprit par opposition à la matière au moyen de la raison dont nous avons fait une idéologie tout en renonçant à nous en servir à bon escient.

Il faut pour cela que le maître d'école revienne dans la classe et dissuade les élèves de continuer de faire n'importe quoi, dans tous les sens, dans le désordre. Il faut empêcher l'humanité de continuer à faire la cabriole !

Il s’agit donc de retrouver :

  • le sens de l'autorité et du commandement, qui ne sont pas synonymes de force, de contraintes et de manque de respect de ceux sur qui ils s'exercent dont la soumission, la discipline et l’obéissance sont également nécessaires.

  • la capacité spirituelle de l'Europe qui a su dans le passé définir des finalités et des principes de civilisation susceptibles de permettre le développement le plus harmonieux possible de l'humanité, sans que l'exercice d'une primauté ne soit synonyme de prétention… Ce qui ne se fera pas en s'investissant de l'autorité, mais en étant capable de définir le dessin voir le destin, ou encore le roman national de demain, avec humilité, clairvoyance et lucidité. Pour commander, il faut susciter l'adhésion. Pour susciter l'adhésion il faut montrer la voie.
À moins, que dans le choc civilisationnel qui se prépare, d'autres que les européens ne soient capables de le faire. Le problème est que ne se présentent à l'horizon que des nations ou des groupes qui entendent faire exclusivement usage de la force, faire régner la terreur ou la domination de la seule puissance économique et financière !.... C’est tout le sens du défi qui nous est lancé, car si tel devait être le cas, il ne s'agirait plus pour les peuples de faire la cabriole mais de subir la force aveugle et d'en être réduits aux affres de l'humiliation…

Voilà qui n'est pas très conformiste....









[1] http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100498400

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.

Retrouvez mes anciens articles sur mon ancien blog