Octobre 2027.
Je
suis en excursion, équipé d’un GPS dernier cri, le plus performant sur le
marché. Il doit nous conduire, mes amis et moi, à notre prochain refuge.
Patatras ! A la nuit tombée, plus de réseau… Que se passe-t-il ? Nous ne savons
pas nous situer avec la seule carte que nous avons emportée. Et l’usage de la
boussole ne nous est plus familier. J’ai beau essayer de me souvenir de mes
marches à l’armée derrière ce capitaine qui nous dirigeait avec la lune et les
étoiles, je ne m’en sors pas ! Je la vois cette lune, comme les étoiles, j’ai
cette carte sous les yeux, la boussole dans la main, mais je suis incapable de nous
guider. Nous mettrons de longues heures
jusqu’au lever du jour et le retour de la connexion pour atteindre notre
destination… La carte et le territoire nous sont-ils devenus étrangers ?
Quelques jours
auparavant, avant de partir pour cette excursion, j’avais entendu parler d’un
accident dramatique. Une voiture autonome avait écrasé un enfant ; le fils du
passager. Pourquoi s’est-il jeté sous les roues du véhicule de son père ? L’histoire
ne le dit pas. Mais par contre elle nous apprend que l’algorithme de la voiture
avait effectivement calculé et pris la décision de ne pas provoquer une
embardée sur une route verglacée qui aurait pu être mortelle pour le papa,
avant même que celui-ci ait pu reprendre la main pour sauver son fils ; lui qui
aurait été prêt à sacrifier sa vie pour sauver celle de celui à qui il l’avait
donnée… Sommes-nous encore maîtres de nos destins et de nos vies ?
Je viens de rentrer
de mon excursion ; comme souvent, bien qu’à la retraite, je retourne au
cabinet. Là je trouve un collaborateur agile, astucieux, dégourdi qui manie les
moteurs de recherche avec une dextérité remarquable. Il est effondré. Un client
vient d’annoncer qu’il entendait rechercher la responsabilité du cabinet dans
un dossier dont il avait la responsabilité. Il avait déconseillé l’engagement
d’une action en justice au vu d’une jurisprudence abondante et constante de la
Cour de cassation. Or, voilà que cette personne vient d’apprendre lors de
discussions dans le cadre d’un forum sur Internet qu’un autre cabinet, dans une
configuration identique, avait décidé de s’engouffrer dans une faille qu’ils
avaient imaginée, contre cette jurisprudence et qu’il avait pu obtenir gain de
cause, la juridiction suprême ayant finalement reviré sa jurisprudence
ancienne. Et les conséquences sont très lourdes. Il s’agit d’un dossier aux
enjeux colossaux ; le plafond d’assurance est malheureusement largement
dépassé… le collaborateur n’avait pas cherché à imaginer une solution qui
sortit du cadre de ce que ses nombreuses recherches lui avaient apporté comme
réponse. Il mesure tout le fossé qui sépare la réalité du monde des datas !…
L’univers virtuel
est déconnecté. Son lien avec la réalité, avec la vraie vie se déchire, se
rompt. Qu’est devenu notre rapport au monde ? Dans son livre « l’éloge
du carburateur » Matthew Crawford a écrit : « si la pensée est intimement liée à l’action, alors la tâche de saisir
adéquatement le monde sur le plan intellectuel dépend de notre capacité
d’intervenir sur ce monde »[1].
Nous en sommes loin… La technologie a absorbé le travail et lui a fait perdre
sa caractéristique d’être une opération intellectuelle. Nous privilégions la
simplicité d’utilisation, la rapidité, l’efficacité, à la réflexion. Comme
l’écrit Nicholas Carr nous devenons de simples consommateurs de nouvelles
technologies.[2]
Pour éviter les
effets pervers d’une évolution illustrée par mon modeste exercice de
science-fiction, nous devons nous interroger sur les moteurs de la rupture qui
est au cœur du bouleversement technologique en cours.
Ce bouleversement technologique
est la conséquence d’une perturbation en profondeur–la disruption- d’un monde
longtemps stable. Car si l’on devait retenir une caractéristique de la Justice,
du Droit et des hommes qui en sont les auxiliaires ou les praticiens, ce serait
bien celle de la stabilité, telle un défi lancé aux affres du temps et du
changement. La marque de cette perturbation est quant à elle la déstabilisation
de l’univers juridique qui a pour objet de structurer la société et d’y faire
régner la justice ; ampleur et profondeur du bouleversement donc, qui
soulignent son importance, mais aussi sa spécificité par rapport aux
bouleversements provoqués dans d’autres domaines.
D’ici quelques
temps je serai parvenu au terme d’un long travail sur ces sujets qui, je l’espère,
sera publié. J’y tenterai de contribuer à la nécessaire réflexion sur l’évolution
de l’art de l’avocat qui ne doit pas devenir un métier comme les autres. Lié à
la justice, au droit et à leur rôle structurant, il exerce en effet une mission
essentielle afin d’une part de soutenir la quête de justice de nos
contemporains et d’autre part de les conseiller utilement dans un univers juridique
transformé et marqué par la complexité. Rempart de l’humanité augmentée face au
Leviathan moderne toujours plus tentaculaire et efficace…
Ce faisant il doit
participer à ce que Nick Bostrom, philosophe américain spécialisé dans la
stratégie de l’intelligence artificielle nous invite à faire en conclusion de
son best-seller « Super intelligence » :
«Le défi qui nous fait face est plutôt d’être
fermes sur notre humanité : ne pas céder sur nos fondamentaux, notre bon
sens, notre bonne humeur courtoise, même dans la mâchoire de ce problème
contre-nature et inhumain ».[3]
Pour l’heure cette
intelligence artificielle qui anime les robots peut encore et doit donc pouvoir
être maîtrisée avec des moyens humains. Telle est la gageure de l’entreprise et
du défi lancé à l’ « Avocat-oïd »!
A bientôt….
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