dimanche 6 mai 2018

KUNDERA, PIERRE MANENT, "LES DROITS-DESIRS" EN QUESTION...


Pierre Manent publie un nouveau livre que nous devons lire.





En voici une partie du résumé. La doctrine des droits de l’homme est devenue l’unique référence légitime pour ordonner le monde humain et orienter la vie sociale et individuelle. Dès lors, la loi politique n’a plus d’autre raison d’être que de garantir les droits humains, toujours plus étendus. La loi ne commande plus, ne dirige plus, n’oriente plus : elle autorise. Elle ne protège plus la vie des institutions – qu’il s’agisse de la nation, de la famille, de l’université –, mais donne à tout individu l’autorisation inconditionnelle d’y accéder. L’institution n’est donc plus protégée ni réglée par une loi opposable à l’individu ; celui-ci jouit en revanche d’un droit inconditionnellement opposable à l’institution.

Il a donné samedi matin une interview passionnante à Alain Finkielkraut dans son émission Répliques.

On y commence en fanfare avec Alain Finkielkraut avec une citation décapante de Kundera :

«Je ne connais pas un homme politique qui n’invoque dix fois par jour les «droits de l’homme» ou les droits de l’homme qu’on a bafoués. Mais comme en Occident, on ne vit pas sous la menace des camps de concentration, comme on peut dire ou écrire n’importe quoi, à mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité elle perdait tout en contenu concret, pour devenir finalement l’attitude commune de tous à l’égard de tout, une sorte d’énergie transformant tous les désirs en droits. Le monde est devenue un droit de l’homme et tout s’est mué en droit : le désir d’amour en droit à l’amour, le désir de repos en droit au repos, le désir d’amitié en droit à l’amitié, le désir de rouler trop vite en droit à rouler trop vite, le désir de bonheur en droit au bonheur, le désir de publier un livre en droit de publier un livre, le désir de crier la nuit dans les rues en droit de crier la nuit dans les rues. Les chômeurs ont le droit d’occuper l’épicerie de luxe, les dames en fourrure on le droit d’acheter du caviar, Brigitte a le droit de garer sa voiture sur le trottoir et tous, chômeurs, dames en fourrure, Brigitte, appartiennent à la même armée de combattants des droits de l’homme (Kundera in L’Immortalité, Gallimard/Folio, 1993, p.206-207).

Puis Pierre Manent rebondit et expose que dans le système actuel dénoncé par Kundera, les droits sont réduits à eux-mêmes. Le désir devient la source de la loi. On donne droit au désir. La loi organise les droits du désir. La question est dès lors posée de savoir si une société peut être organisée sur cette base c’est-à-dire sur le droit au désir, si elle peut être livrée aux désirs de tous et de chacun. Le principe des droits actuels est selon lui devenu indéterminant et indéfinissant de la vie humaine. Ces « droits-désirs » vident la société de son caractère déterminant au lieu de la nourrir par la participation de chaque personne à son bien. Ces droits ainsi conçus, sans fondements autres que l’individu qui les revendique, ne sont pas structurants ; c’est tout l’inverse.

Voilà qui est à mettre en parallèle avec une rengaine qui renvient si souvent dans mes billets, comme un disque rayé..., à savoir: le caractère nécessairement structurant du droit ; ce qui lui est impossible lorsqu’il devient l’organisation législative de tous ces droits individuels, de ces « droits-désirs », avec comme seul garde-fou le fameux « ma liberté s’arrête là où commence la liberté des autres », qui ne fait qu’entretenir la surenchère, le conflit et la déliquescence du lien social.

Semper idem !

2 commentaires:

  1. En lisant ton billet, cher Bernard, je ne peux m'empêcher de penser aux états-généraux de la Bioéthique qui viennent de s'achever, et dont les conclusions que l'on peut craindre vont sans doute malheureusement se traduire notamment par une "mise en musique" législative du droit A l'enfant qui fera peu de cas du droit DE l'enfant...
    Que faire ?
    Bien à toi.
    CR

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  2. Notre action doit se situer dans le temps long. Il y aura sans doute à court terme des évolutions pernicieuses. Par contre il nous revient de réaliser les conditions d'un retour à une saine mise en perspective et à un accès retrouvé à de vraies valeurs civilisationnelles

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