L’été est passé. Notre
voyage dans le temps se poursuit. L’eau nous a manqué au sens propre comme au
figuré durant cette période de ressourcement estival. L’homme moderne meurt toujours de soif. Rien n’a changé… La question lancinante revient en boucle; Que faut-l dire aux hommes?
Mon été a été marqué par l’émerveillement
du Puy du Fou, de belles lectures et un dialogue complexe.
Commençons par le
dialogue ; ce fut avec un ami brillant, très intelligent, médecin, passionné de sciences et
agnostique, qui s’interroge et qui m’interroge. Rencontre difficile autour de
la confrontation entre la science et Dieu, de notre approche du réel, de notre
compréhension du monde. Il me dit que pour lui l’univers qui nous entoure n’existe
qu’à travers la connaissance que nous en avons. Péché d’idéalisme même s’il s’en
défend. Cette interrogation illustre l’impasse de la métaphysique moderne qui
ne cherche plus à s’arracher aux ombres de la caverne de Platon pour accéder à
la connaissance mais recherche le fondement de la connaissance, animée par sa volonté
de puissance. Aveuglé par le pouvoir de la science et de la technologie l’homme
se veut créateur du monde… C'est vieux comme Prométhée...
Mes lectures m’ont permis de
découvrir quelques textes magnifiques. Notamment « La part du héros » d’Andrea Marcolongo[1] et « Les Incandescentes » d’Élisabeth Bart[2].
Dans un livre qui est un diamant, Andrea Marcolongo nous invite à puiser notre inspiration quotidienne dans le mythe
des Argonautes, celui de Jason parti à la recherche de la Toison d’or ! Ce
livre est inclassable. Il est tout à la fois poétique dans son expression
littéraire, érudit dans son contenu en même temps que facile à lire et émouvant
par l’évocation de l’itinéraire personnel de l’auteur. D’une richesse
exceptionnelle.
Le second livre cité, incontestablement
plus difficile à lire, met en présence trois auteurs majeures des décennies
écoulées, Simone Weil, Maria Zambrano et Virginia Campo. Trois femmes aux
sensibilités différentes, animées par une identique recherche de vérités pour
notre temps. Il nous fait découvrir la complexité et la richesse des rapports entre
philosophie et poésie. Ce livre nous interroge sur la place du verbe, le logos,
qui préoccupe la philosophie depuis la nuit des temps. Les trois itinéraires de
ces intellectuelles nous renvoient à la nécessaire ouverture à la dimension
poétique. La philosophie peut
tromper ; la poésie non, lorsqu’elle reste elle-même. La clé de ces
lectures est dans l’imagination.
Voilà qui singulièrement nous renvoie aux maux de l’époque et
à l’interrogation de mon ami scientifique. Pourquoi ? Qu’est-ce au fond que l’imagination
?
Élisabeth Bart nous explique
qu’à travers les lectures de ces trois auteurs elle constate l’existence de deux
types d’imagination. Une imagination passionnelle qui s’est détachée de la
réalité, que par facilité on peut qualifier de romantique. Et une imagination
qui pour reprendre les termes de Charles Baudelaire est "la faculté de percevoir
les différents plans de la réalité pour les représenter en images". Ce que Fabrice
Lucchini montre très bien dans son spectacle "Poésie"[3].
La difficulté du dialogue avec
mon ami est due à la métaphysique moderne qui depuis Descartes a perdu le vrai
génie créateur en nous plaçant en posture de seigneurs et maîtres d’un univers dont
nous nous croyons les inventeurs et finalement les créateurs à force de le
modéliser et de le soumettre à notre raison scientiste. Je pense donc je suis; et le réel est le fruit de ma pensée, du génie des hommes... La solution à ce
dialogue impossible serait-elle dans la poésie ? La poésie ignore la
volonté de puissance de la philosophie moderne. Rejetant une imagination qui ne
puiserait que dans nos passions les sources de son inspiration, elle transcende
le réel pour reprendre les termes de Simone Weil : « le poète produit le
beau par la tension fixée sur le réel ». Elle est une école d’amour
dans l’humilité. Elle nous apprend à aimer tout ce qui nous entoure en vérité,
en réalité. Elle nous permet d’échapper à la casuistique d’esprits qui
complexifient la pensée au point de la rendre aberrante et d’exposer toute métaphysique
à une critique que celle-ci ne mérite pourtant pas.
L’imagination créatrice nécessite
une attention effective et vigilante ; cette attention si chère à Simons
Weil… Mais aussi de savoir mettre en œuvre la capacité d’intuition.
Imagination.
Attention. Intuition.
Car le poète use de cette
intuition dont le philosophe Étienne Gilson a mis en évidence la nécessité pour
parvenir à rentrer dans l’espace-temps et à retrouver la voie d’une
métaphysique qui ne soit pas opposée aux progrès de la science comme on a trop
tendance à le croire, notamment à travers les mauvais procès que l’on fait à l’Eglise
Catholique. Étienne Gilson explique que la métaphysique est née de la recherche
de la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà ce qui se meut et ce qui
change. L’entendement humain a trop tendance à masquer la durée dans le
mouvement et le changement ; il se met ainsi dans l’impossibilité de
replacer la réalité dans la mobilité que l’on peut précisément grâce à cela appréhender dans
la durée au-delà du changement et du mouvement.
Au fond, ce qui nous manque
le plus aujourd’hui c’est le sens du réel au-delà du changement et du mouvement
face à l’éternité.
Le poète a cette capacité de
sentir vrai dès lors qu’il respecte l’approche définie par Charles Baudelaire
et qu’il se soumet au réel pour le transcender, le comprendre, le sublimer.
Ce que Victor Hugo illustre
avec son génie propre dans les Contemplations :
Il faut que
le poète, épris d'ombre et d'azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l'on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant !
Il faut que le poète aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l'on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant !
Il faut que le poète aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.
(Paris, mai 1842).
À sa façon le spectacle du
Puy-du-Fou nous place avec sa part de poésie dans une perspective historique
qui ne craint pas la transcendance en même temps que les voyages à travers le
temps, non pas pour entretenir cette idée d’un changement permanent mais d’une
mobilité dans la durée, dans la continuité et dans une ouverture à la dimension
transcendantale du temps.
Andrea Marcolongo nous offre
un outil merveilleux avec son analyse actuelle du mythe des Argonautes. Avant elle,
Sylvain Tesson déjà dans son été avec
Homère nous avait remis dans la perspective de cette dimension
pleinement humaine, respectueuse de la réalité et capable de la transcender
afin de la rendre belle. Concevoir la vie comme un voyage de l’âme… A l’image
de la Divine Comédie de Dante qui réunit métaphysique et poésie dans une
admirable synthèse, véritable défi au temps qui passe.
La Doxa nous isole et nous
apporte les réponses horizontales des paradis artificiels et de la prétention
intellectuelle. L’effondrement de la flèche de notre Dame illustre cette
horizontalité en cendres… Ce que
Sylvain Tesson met en évidence dans sa belle évocation de Notre-Dame et de son incendie[4] qui répond à beaucoup de
questions que l’on peut se poser sur la manière dont nous avons regardé son incendie. Vous
pouvez aussi l’écouter dans la passionnante émission Répliques d’Alain Finkelkraut[5]…
Au fond
n’avons-nous pas besoin
de poésie, de poètes, et d’amoureux de la poésie pour sortir de
l’impasse de notre
solitude quotidienne face à nos écrans, à nos incertitudes, à nos
contradictions, à nos angoisses ? Retrouver le chemin d’une pensée qui
va au-delà
des impressions et des passions, et du piège d’une réflexion coupée du
réel,
enfermée dans son ambition créatrice. Un pensée qui avec attention et
intuition cherche à
se projeter non pas dans l’avenir mais dans le destin ? Et si tout se commençait et
finissait en mots, en mythes, en symboles et en poésie ?
[1]
https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-culture/andrea-marcolongo
[2]
http://premium.lefigaro.fr/livres/les-incandescentes-d-elisabeth-bart-dans-les-tenebres-du-xxe-siecle-20190523
[3]
https://www.offi.fr/theatre/theatre-des-mathurins-2750/poesie-55544.html
[4]
https://www.babelio.com/livres/Tesson-Notre-Dame-de-Paris/1144524
[5]
https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/quand-notre-dame-brulait
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