dimanche 15 septembre 2019

JEANNE d'ARC. LE PASSE EST UNE PIERRE VIVANTE


J’ai regardé "Dieu m'y garde" le film réalisé par P. Buisson à partir des minutes du procès de Jeanne d’Arc[1]. Minutes d'archives. Procès authentique. Réalité stupéfiante, saisissante. Péguy en tira le « Mystère de la charité de Jeanne d’Arc ». Il s'agit de l'une des pages de l'épopée de la Nation France bénéficiaire d’une attention divine à ce point aimante et vigilante qu’elle ait pu motiver une pareille immixtion spirituelle dans le temporel dégradé de la « grande pitié du royaume de France », avec l’intervention directe de saints anges et des saintes Catherine et Marguerite !



Comment l’homme moderne peut-il intégrer une pareille vérité historique ? La faire sienne... Comment se projeter dans cette réalité, admettre que ce fut vrai? Car on a tendance à regarder de tels événements avec distance et une forme d'incrédulité parée des atours de la modernité et de la maturité…. 

Voilà qui pose la question de notre relation au passé, à l’histoire.

Notre époque est celle du patrimoine, des musées, des visites. Nous aimons le passé. Nous conservons, nous restaurons… L’histoire nous intéresse. Nous en sommes curieux. Tous les visiteurs du Puy du Fou vont admirer l’anneau de Jeanne racheté à grand prix aux anglais… Mais en même temps l’histoire nous est devenue extérieure, étrangère. Elle n'est plus qu'un musée de pièces collection. Notre attitude est prudente, distante, détachée. Comme si nous visitions un musée prenant des photographies avec notre Smartphone. Comme si nous lisions un roman de fiction. Nous sommes détachés de notre histoire. Elle n’est plus nous-mêmes. Nous en sommes sortis, croyant grandir. 

Sans doute est-ce la marque de la puissance des mythes du progrès et de la modernité. Nous, modernes, avons la prétention d’écrire une page blanche dégagée des contraintes du passé. Notre époque incarne cet avenir meilleur qui ne tire pas les leçons de l’histoire, mais ambitionne de faire une histoire nouvelle, enfin meilleure, enfin bonne. Et pour cela nous n’allons quand même pas nous soumettre aux leçons d’un passé dont nous nous sommes affranchis au prix d’un effort dont nous nous glorifions et grâce auquel nous sommes entrés dans la modernité!

Il en va de l’histoire comme de la culture, de l'art et de la religion. La culture. On étale ses connaissances. Mais elles n’inspirent pas notre vie quotidienne. Pas de leçons ! Nous savons ce que nous avons à faire...  L'art devenu une expression détachée du réel et de toute aspiration vers l'absolu de l'expression de l'âme et de ce qu'il peut y avoir en elle qui nous transcende. L'art est un défouloir de nos passions et de nos expressions les pus débridées. Il n'est plus cette source à laquelle l'âme va boire...La religion nous est devenue extérieure. On va à la messe comme on assiste à un spectacle. Magnifique mise en scène. Beau sermon, belle eucharistie ! Quant à en faire le cœur battant de nos vies, soyons sérieux... Nous avons grandi...

Pour revenir à Jeanne d’Arc, elle est considérée comme une jeune fille extraordinaire, hors du commun. Quel destin ! Chapeau cette bergère… Mais c'est trop beau pour être vrai ! C’est tellement loin ; on ne peut plus croire à de tels récits même si nous aimons les entendre. Paradoxe quand tu nous tiens…

L’homme contemporain s’est affranchi de toutes les contraintes. Il s’est construit une identité de solitaire, sans racines, sans identité culturelle ni religieuse. Il s’est désolidarisé de son passé. Il prétend maîtriser sa destinée et le contexte dans lequel il vit. Seul. Il domine son sujet. Il est sorti de l’obscurantisme. Il entre dans l’avenir tout auréolé de son prestige et de la puissance du mythe construit par la modernité …

Il faut s'arrêter et réfléchir à cette prise de distance, à cette prétention de l’homme contemporain affirmant sortir des errements du passé, se targuant de n’avoir tiré qu’une leçon du passé: sortir de l’histoire pour construire un monde nouveau et meilleur… Attitude qui n'est pas sans risques.

Prenons l’exemple de notre attitude par rapport à l’hitlérisme et au nazisme. Volontarisme du « plus jamais ça ». Comme si nous pouvions sortir de l’histoire, comme si nous étions capables de rejeter tous ses démons… Pas nous ! Voyons !... Comme si nous étions capables de faire en sorte que cela ne sera plus, alors qu’il suffit de se replonger dans l’histoire qui nous a conduit à ces événements dramatiques pour constater qu’il n’y a rien de plus commun et de plus facile que de retomber dans nos pires travers… Sébastian Haffner[2] a montré combien le nazisme et l’adhésion de tout un peuple à cette idéologie s’étaient construits dans la banalité de l’humanité et du quotidien de la vie d'un peuple …Vanité de l'homme contemporain.

A l'inverse l'histoire conçue comme notre vie nous apprend l'humilité et le poids de l'expérience. Rien de ce qui nous a précédé ne nous est pourtant étranger, ni n’est sans influence sur nous. Tel est la première vérité de l’histoire. Notre prétention à vouloir sortir de l’histoire est un grand danger car elle nous fait perdre de vue ce que nous sommes, en bien comme en mal, ce qui forge notre identité. 
Cet enracinement fait que la France n’a rien de commun avec aucune autre nation au monde parce qu’il y a par exemple justement eu cette « Jeanne d’Arc » envoyée par le ciel pour bouter l’anglais du royaume de France et faire sacrer son roi à Reims… Après cela vous voudriez que la France, même du XXI° siècle, n’ait pas un destin hors du commun, puisque ça s’est passé, en vérité, « pour de vrai » comme disent les enfants ? Et peu importe que ce fut en 1432…. Ce qui ne signifie pas qu’il faille imaginer de reproduire aujourd’hui ce qui se passa il y a bientôt 7 siècles mais simplement qu’on ne peut pas à l’inverse faire comme si cela n’avait pas été.  L'épopée de Jeanne d'Arc a laissé des traces indélébiles…. Ce n’est pas pour rien que 361 ans plus tard on coupa la tête de l’héritier de ce Charles VII qu'elle avait fait sacrer à Reims et que notre République plonge une partie de son identité dans le sang qui coula ce jour-là sur l’échafaud après qu’eut roulé au sol le chef qui avait reçu l’onction du saint chrême à Reims…. Cette identité républicaine que nous exaltons en boucle dans nos discours moralisateurs et que nous opposons à ceux qui veulent nous imposer leur religion et leur modèle de société en nous égorgeant, eux qui savent ce que c’est que l’histoire et qui veulent la répéter et la faire revivre…. Et qui savent qu’ils s’apprêtent à mettre main basse sur une terre chrétienne et sur la Nation berceau du christianisme, la France fille aînée de l’Eglise… 

Il y a une actualité de l’histoire même la plus ancienne… Les pierres du passé sont vivantes… Elles nous disent qui nous sommes et pourquoi nous le sommes.   

Semper idem !


[1] https://www.zone-telechargement.plus/emissions-tv-documentaires/493641-que-dieu-m-y-garde-le-proces-de-jeanne-d-arc-HD%20720p-French.html
[2] https://www.babelio.com/auteur/Sebastian-Haffner/10826

1 commentaire:

  1. Cher Maître, vous attisez les feux de la guerre de religions... Nous avons déjà un incontestable conflit de civilisations, bien que nous refusions tous de le voir (ou de l'admettre) est-ce bien utile de mettre nommément la religion sur le coup ???

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