dimanche 26 avril 2020

UNE FABLE DE LA FONTAINE PEUT EN CACHER UNE AUTRE!


Pour une fois je ne suis pas d’accord avec Jean de La Fontaine !
A l’occasion de cette épidémie, nombreux sont ceux qui se sont référés à la fable « les animaux malades de la peste ». Ils auraient sans doute mieux fait d'écouter Fabrice Lucchini et de se plonger dans la mal connue "l'ours et l'amateur des jardins".



Outre que "les animaux malades de la peste" n’a finalement rien à voir avec la pandémie du covid 19 - la morale n’en est-elle pas « selon que vous serez puissants ou misérables les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » ? – notre cher fabuliste nous y livre une entrée en matière qui est l’objet de mon désaccord :

« Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux Animaux la guerre
. »

Un mal que le ciel, en sa fureur, inventa pour punir les crimes de la terre !

Ainsi Dieu nous punirait de nos péchés en nous infligeant ce type de maux ; comme si le mal était le moyen de la justice divine !
Un prêtre de la communauté St Martin à St Raphael nous a servi un beau sermon sur le sujet ; je ne vais pas lui faire concurrence … (il devrait être mis en ligne demain sur la chaine YouTube de la paroisse[1]).

Il a rappelé la belle citation du Professeur Lejeune : « Dieu pardonne toujours, l’homme parfois, la nature jamais ».

La seule malédiction qui nous attend c’est l’enfer auquel l’homme moderne ne veut plus croire…Et qui pour le coup sera la réponse à nos errements et nos péchés !

Donc l’ami Jean de la Fontaine a tort. La peste, et il en va de même de notre épidémie, n’est pas une punition divine. C’est peut-être par contre, et beaucoup plus sûrement, la réponse sans pitié de la nature.

Plutôt que de croire en ces histoires de châtiment divin, ou plus simplement de nous plaindre sur le registre « nous n’avons pas mérité ça », nous ferions donc mieux de nous décider pour de bon à tirer les leçons de cette épidémie. A ce sujet je vous invite à écouter la remarquable interview de Gael Giraud par Fréderic Taddei (deuxième partie après celle de Paul Jorion)[2].

Fabrice Lucchini a pour sa part a trouvé une fable beaucoup plus adaptée à nos maux et particulièrement au confinement qui au final fera peut-être plus de victimes que le virus, il s'agit donc de  "l’ours et l’amateur des jardins".

Certain ours montagnard, ours à demi léché,
Confiné par le Sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon vivait seul et caché.
Il fût devenu fou: la raison d'ordinaire
N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés.
Il est bon de parler, et meilleur de se taire;
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.
Nul animal n'avait affaire
Dans les lieux que l'ours habitait:
Si bien que, tout ours qu'il était,
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu'il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S'ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,
Il l'était de Pomone encore.
Ces deux emplois sont beaux; mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami:
Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre:
De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets, notre homme, un beau matin,
Va chercher compagnie et se met en campagne.
L'ours, porté d'un même dessein,
Venait de quitter sa montagne.
Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.
L'homme eut peur: mais comment esquiver? et que faire?
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire
Est le mieux: il sut donc dissimuler sa peur.
L'ours très mauvais complimenteur,
Lui dit:« Viens-t'en me voir.» L'autre reprit:« Seigneur,
Vous voyez mon logis; si vous me vouliez faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait: ce n'est peut-être pas
De Nosseigneurs les ours le manger ordinaire;
Mais j'offre ce que j'ai.» L'ours accepte; et d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver;
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble:
Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble,
Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,
Comme l'ours en un jour ne disait pas deux mots,
L'homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L'ours allait à la chasse, apportait du gibier;
Faisait son principal métier
D'être un bon émoucheur, écartait du visage
De son ami dormant ce parasite ailé
Que nous avons mouche appelé.
Un Jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l'ours au désespoir; il eut beau la chasser.
«Je t'attraperai bien, dit-il, et voici comme.»
Aussitôt fait que dit: le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche;
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Raide mort étendu sur la place il le couche. 
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami;
Mieux vaudrait un sage ennemi.

Qui sont nos vrais amis ? Qui sont nos vrais ennemis ?

Qui est ignorant ? Qui est sage ?

Et j’avoue boire comme du petit lait le propos introductif. 

Que devient la raison chez les gens confinés ? Où est la mesure dans le « parlé » et le « tu » ?

Éternel La Fontaine ! On lui pardonnera la malédiction céleste, il est tellement tentant et facile de chercher à reporter nos responsabilités sur le Ciel! C’était aussi vrai hier qu’aujourd’hui…


[1] https://www.youtube.com/channel/UCPsYGubO7-X8hqwAcBjhOvA
[2] https://francais.rt.com/magazines/interdit-d-interdire/73099-paul-jorion-gael-giraud-sur-les-consequences-economiques-epidemie

1 commentaire:

  1. Cher Bernard,
    Je te sens" verdir" de plus en plus, ou est-ce une simple impression provenant d'un confinement éloignant tout un chacun de la nature ?
    Trêve de plaisanterie, la question que m'inspire ton billet est très sérieuse : je me demande qui, de l'oncle Sam ou de l'oncle Li, sera l'ours de la fable, entraînant le monde dans un conflit dont nous ne connaissons aujourd'hui que le côté larvé mais pourtant bien présent...

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