Un jour, il sera passionnant d’écrire l’histoire de l’épidémie inédite et paradoxale de la COVID 19. Au-delà des polémiques il est d'ores et déjà utile de s’interroger sur les causes de ce qui est en train de devenir un drame sur fond de cacophonie politique et administrative. Pourquoi?
Inédite car jamais aucun virus n’avait eu de tels effets
politiques et économiques.
Paradoxale en raison de la disproportion entre le risque
létal effectif du virus et l’impact des mesures de restriction prises pour le
contenir.
On doit se poser la question de savoir ce qu’aurait été
la gestion d’une pandémie de même nature il y a un siècle, à la même époque que
celle qui a vu nos anciens se faire massacrer dans les tranchées du nord de
notre pays. Je vous laisse l’imaginer…
Dans un très intéressant article Yuval Harari [1]affirme
que les politiques ont failli alors que la science disposait des moyens de
juguler cette pandémie. La question est de savoir pourquoi. Je vais me hasarder
à essayer d’apporter quelques éléments de réponse.
La gestion collective française, empruntée, contestée, fragile,
imparfaite est marquée par deux caractéristiques. La première est que les
Français ne supportent pas les restrictions qui leur sont imposées. Nous sommes
ingérables. La seconde est que nos gouvernants n’osent pas prendre les mesures
qui s’imposeraient pour une gestion plus efficace par peur de la réaction du
peuple d’une part mais aussi en raison des interdits administratifs qu’ils
s’imposent ainsi que par peur de l’engagement de leur responsabilité pénale. Il
ne serait par exemple pas imaginable de demander à un médecin dont ce n’est pas
la spécialité de s’immiscer dans le travail des urgentistes à l’hôpital. Sa
responsabilité pourrait être recherchée ! Et de toute façon on l’en
empêcherait …. Un ami médecin me confiait que l’hôpital est malade de sa
bureaucratie qui a été multipliée sans justification véritable sur les 40
dernières années. On voit le résultat…
Pour quelles raisons avons-nous été ainsi paralysés par
des facteurs endogènes propres à la psychologie contemporaine et à une
organisation sociale désastreuse mais malheureusement ancrée dans les habitudes
de notre pays ?
Dans un très intéressant article Pierre-Henri TAVOILLOT[2]
fait la distinction entre le danger et le risque.
« Le danger est la cause possible d’un
dommage ; le risque est la probabilité pour ce danger d’advenir. Un exemple ?
Vivre est dangereux pour la santé, car on risque d’être malade et même de
mourir. Au nom du principe de précaution, faudrait-il donc s’abstenir de vivre
? Autres exemples : la viande rouge comme le glyphosate sont cancérogènes.
C’est prouvé, ils sont dangereux. Mais, à moins de manger une côte de bœuf à
chaque repas, arrosée d’un litre de glyphosate, le risque sera faible. »
Le danger est là. Principe de réalité. Pour le juguler il
faut savoir prendre certains risques. Mais encore faut-il ne pas confondre les
deux ! Et c’est ce que nous faisons avec le principe de précaution. Ce refus du
moindre risque vient de nous faire vivre l’un des épisodes les plus ahurissants
de la gestion de cette pandémie avec la suspension de l’administration de l’un
des vaccins, reprise quelques jours plus tard ; suspension qui aura des effets
désastreux sur la politique de vaccination.
De la même façon nous sommes dans l’incapacité de
renoncer à nos procédures administratives, nos répartitions de tâches, nos
« bureaux », nos organisations et les éventuels engagements de nos
responsabilités professionnelles ; ce qui nous met dans l’incapacité de gérer
dans l’urgence et de parer au plus pressé comme on le ferait en période de
guerre. Le mot n’a-t-il d’ailleurs pas été utilisé au début de cette épidémie ?
Nous touchons ainsi du doigt les limites du
fonctionnement de notre société, sans même évoquer la question européenne … ce
serait encore pire…
Nos politiques n’ont cessé d’annoncer des réductions de
cette administration proliférante et paralysante. Nous constatons que cela ne
vient pas et qu’au contraire elle continue de grossir et de se développer dans
l’entre soi en multipliant ses propres organes de contrôle paralysant toujours
plus les décisionnaires.
D’un autre côté les Français sont ingérables. Serons-nous
capables de nous remettre en question à la lumière de cette épidémie et d’en
tirer les leçons ? La COVID jouera-t-elle son rôle de révélateur dans cet
immense précipité des événements actuels et futurs que constitue l’histoire en
marche ?
Se référant à Charles Péguy Chantal Delsol a rappelé la distinction
essentielle entre les époques et les périodes. « Il y a, disait Péguy «
des périodes et des époques, des plaines et des points de crise » » [3].
Nous sommes dans une époque ; une vraie. Tous les ingrédients sont réunis. Or
nous ne voulons ni le croire ni l’admettre. Nous avons pris l’habitude des
périodes et de leur confort. Nous pensions que l’époque n’était pas pour nous ;
nos anciens avaient donné. Rappelez-vous, la « der des ders » ! Il
n’y aura jamais de der des ders sauf le jour de la vraie fin qui est peut-être
pour demain. Mais la question n’est pas là…
Nous vivons la fin du « progressisme-modernisme »
et de ses avatars ; il est en échec total, en panne ; tant il est
vrai que le virus et sa diffusion sont étroitement liés aux caractéristiques de
notre vie moderne, accélérée, ouverte, sans contrôle, ni limites, ni
frontières.
Notre monde sans absolu et sans vérité, sans bien ni mal,
sans lois intangibles autres que le respect imbécile et aveugle de valeurs que
nous déformons, est terrassé par un virus invisible. Celui-ci a atteint la vie
collective en plein cœur. Il l’a prise en défaut, tel David face à Goliath.
Pourquoi ? Nous ne vivons plus collectivement, en commun. La COVID a profité
d’une paralysie collective qui s’est manifestée dès qu’il a fallu prendre les
premières décisions difficiles. Notre société ne remplit plus son rôle. Elle n’existe
plus politiquement. Elle est soumise aux diktats de l’individu-roi, de sa
santé, de sa vie, de son refus de toute atteinte à son bien-être et de tout
risque, de sa peur du danger. Addition et confrontation d’égos ne font pas une
unité collective. Ce collectif normalement structuré autour du bien commun qui
ne se réduit pas à l’addition d’individus, a perdu le sens de son utilité, son
autorité, son rôle politique. C’est ainsi que chacun ne pense plus qu’à tirer
la couverture à lui et que par exemple le seul objectif du petit commerçant est
d’ouvrir son échoppe en période de confinement sans se préoccuper du besoin
commun. C’est ainsi que le confinement décidé en haut lieu n’est pas assumé
jusque par le Président qui nous dit que ce n’en est pas un… et qu’il tourne au
vaudeville cauchemardesque.
Le corps social est dévitalisé. L’individu l’a démantelé.
Il a perdu le fil…. La société est devenue politiquement incapable d’apporter
la solution. Ce qui fait écrire à Harari que « nous pouvons terrasser
le virus, mais nous ne sommes pas sûrs de vouloir payer le coût de la victoire ».
Réaliserons-nous enfin que le seul élément invariant,
permanent qui puisse constituer le fil conducteur de nos existences est ce qui
en nous n’est pas atteint par les virus et plus généralement la maladie ?
À l’inverse du pangolin nous avons la chance d’avoir une âme. La seule vérité
de l’être humain est dans l’identification de cette permanence immatérielle qui
n’est pas qu’individuelle. Elle seule nous permet de reprendre le contrôle sur
nos vies à l’inverse de la toute-puissance matérielle qui manifeste ses
limites. Non le virus, la maladie, la mort ne nous tueront pas. Ils ne peuvent
pas avoir le dernier mot. Cette espérance-là qui n’a pas seulement été partagée
par les croyants permet de résister et de se sauver collectivement. Les hommes
ont démontré dans l’histoire qu’on ne devait pas avoir peur, ni
individuellement ni collectivement. Or nous avons peur. La France a peur !
Inédite et paradoxale cette pandémie nous confronte à une
interrogation : pourquoi ce scénario catastrophe? Pourquoi ne
voulons-nous pas payer le coût de la victoire ?
Ce moment de l’histoire conduira à l’établissement d’un
bilan à charge et à décharge. Celui de l’action de nos responsables politiques en
même temps que celui de nos limites et de notre incapacité à accepter les mesures
prises par l’Etat. Qui a le plus failli ? Comment ? Pourquoi ?
La question est de savoir si ce sont les politiques qui
sont responsables de la difficulté de la gestion de la pandémie ou si ce sont
les citoyens en raison du point où ils en sont arrivés d’absence de maturité,
de dépendance par rapport à leurs besoins, d’incapacité de maîtriser leur
destin et de l’affronter.
Quelle est la cause de notre inaptitude collective à
faire face à cette pandémie autrement qu’avec peur, manque de courage et de
lucidité ? Les politiques ou nous ? Est-ce nous, avec nos défauts et
nos faiblesses qui rendons impossible la tâche des politiques ? Sont-ce
les politiques qui par leur inaptitude ou leur frilosité nous privent des
solutions pour nous en sortir ?
Le système perdurera-t-il ?
Devrons-nous enfin renoncer à tout ou partie des acquis,
des droits, des créances sur la vie et la société que nous revendiquons ?
Pourrons-nous réformer ?
Faudra-t-il tout renverser ?
Pouvons-nous croire qu’il soit encore possible de marcher
au nom du progrès vers un avenir meilleur comme nous avons pris l’habitude de
l’espérer ?
La crise de la COVID jouera-t-elle le rôle de révélateur
et d’accélérateur de particules politiques ? Dans quelle mesure ?
Jusqu’où ?
Les rythmes de l’histoire nous échappent. Mais n’oublions
pas que nous en sommes les acteurs…
Combien de variants à la COVID 19 nous faudra-t-il encore
pour ouvrir les yeux ? Car comme l’écrit Harari en conclusion de son long
article « si une pandémie mortelle s’abat sur l’humanité en 2030, il ne
s’agira pas d’une calamité incontrôlable ni d’un châtiment divin. Ce sera un
échec humain et, plus précisément, un échec politique ».
Il est certain que dans les époques charnière la solution
ne peut venir que de ceux qui sont conscients du bien commun, capables de
l’identifier et de le mettre en œuvre, de le poursuivre et d’y faire adhérer
leurs concitoyens.
Pour cela, il faut dépasser l’individualisme béat et exclusif;
il faut savoir garder la tête froide avec détermination, courage et lucidité ;
il faut vouloir ; et il faut se rappeler que la peur n’éloigne pas le
danger.
[1] https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/yuval-noah-harari-les-lecons-d-un-an-de-covid_2145771.html
[2] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/astrazeneca-la-politique-n-arrive-plus-a-distinguer-le-danger-et-le-risque-20210316
[3] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/chantal-delsol-covid-19-pourquoi-notre-impuissance-persistante-nous-laisse-pantois-20210317
Que fallait-il donc faire?
RépondreSupprimerJe n'ai pas dû être suffisamment clair. La société ne retrouvera sa force vitale en un coup de baguette magique. C'est une œuvre de longue haleine.
SupprimerEn l'état je crois que sauf ne pas commettre certaines erreurs il était et il est fufficile de faire autrement....