lundi 15 août 2022

MOIN ETE AVEC CHESTERTON (7): CRITIQUE DU PROGRES INTELLECTUEL

Je vous suggère de poursuivre la quête des paradoxes de Gilbert K. Chesterton. A travers sa critique de bien de ses contemporains il s’attaque notamment à ce qu’il appelle le vice de la conception moderne du progrès intellectuel. 



Le progrès intellectuel consiste selon lui à rompre les entraves, démolir les barrières et rejeter les dogmes. Un progrès intellectuel qui accoucha notamment du printemps de 1968 en France avec son « il est interdit d’interdire » !

Et notre ami n’hésite pas à affirmer que « s’il existe un phénomène de développement intellectuel, il doit signifier le développement de convictions de plus en plus nettes, de dogmes de plus en plus nombreux » !... et ailleurs "ce dont nous avons le plus besoin pour la pratique immédiate, ce sont des abstractions". Il ajoute que « l’esprit humain est une machine faite pour tirer des conclusions ; si elle n’y parvient pas, c’est qu’elle est rouillée » ! 

Voilà qui est dit, sans ambages ni retenue, de manière claire et affirmative. Pas de place au doute !

Mais peut-on vraiment soutenir un tel point de vue alors que notre monde s’enracine aujourd’hui dans la culture du doute, du chacun pour soi, du subjectivisme ?

Gilbert K. Chesterton est à lui tout seul un défi au progrès moderne. Son œuvre en est l’expression.

Et il s’explique ; tant il est vrai que l’expression de la réaction la plus pure et la plus dure a besoin de se justifier face à la doxa environnante.

« Il n’est guère possible de définir l’homme comme étant un animal qui fait des outils. Les fourmis, les castors et bien d’autres animaux font des outils, en ce sens qu’ils font un appareil. On pourrait définir l’homme : un animal qui fait des dogmes. Alors qu’il empile doctrine sur doctrine et conclusion sur conclusion pour édifier un formidable système de philosophie et de religion, il devient vraiment, dans le seul sens légitime du terme, de plus en plus humain. Quant au contraire, il rejette une à une ces doctrines avec un scepticisme raffiné, quand il refuse d’être lié par aucun système, quand il déclare qu’il a dépassé l’âge des définitions, quand il dit qu’il ne croit plus à la finalité, quand, dans sa propre imagination, il s’installe comme Dieu, observant toutes les formes de croyances sans en partager aucune, alors par ce procédé même il retourne lentement à l’état vague des animaux errants, à l’inconscience de l’herbe. Les arbres n’ont pas de dogmes. Les navets sont singulièrement larges d’esprit. Donc, je le répète, s’il doit y avoir un progrès intellectuel, ce doit être un progrès dans la construction d’une philosophie définitive de la vie. Et cette philosophie doit être la vraie et toutes les autres doivent être fausses ».

Et Gilbert K. Chesterton n’hésite pas à faire référence à tous les auteurs qu’il a par ailleurs critiqués dans l’ouvrage dont est tirée cette longue citation « hérétiques » auxquels il reproche précisément d’avoir chacun des opinions affirmatives et constructives qu’ils considèrent comme étant seules vraies. Ne le remarquons-nous pas d’ailleurs dans les points de vue émis aujourd’hui par nos libéraux progressistes ? N’y a-t-il pas beaucoup d’hypocrisie dans les prises de position libérales qui cherchent en réalité à s’imposer comme étant vraies ?

Après avoir fait ce constat Gilbert K. Chesterton enfonce le clou : « nul homme ne devrait écrire ni même parler, s’il n’est persuadé qu’il est dans le vrai et l’autre dans l’erreur ».

Voilà qui nous amène une fois encore à la difficile question de la recherche de la vérité et de son affirmation. Nous sommes tous des chercheurs de vérité. Nous avons tous le droit de défendre nos points de vue. Nous croyons légitimement qu’ils sont justes et vrais. Place au débat, à la discussion, à la confrontation, à la recherche de ce qui est vrai. N’acceptons plus ces faux-fuyants qui consistent à proclamer « chacun sa vérité » tout en essayant d’imposer la sienne propre !

Est-il plus intolérant de rechercher la vérité ou d’imposer son point de vue sans être certain qu’il soit vrai ?

Chesterton ne dit pas autre chose : « on peut avoir des raisons de dire la vérité, d’éviter un scandale ; mais comment défendre l’homme par qui le scandale arrive et qui ne dit pas la vérité » ?

L’analyse de Gilbert K. Chesterton est d’une très grande subtilité:

D'abord à contre-pied: "Le fait même d'affirmer que certaines choses changent implique qu'il en est d'immuables"!

Puis  plus frontalement: « Les vérités deviennent des dogmes dès l’instant qu’elles sont contestées. Ainsi tout homme qui émet un doute formule une religion. Et le scepticisme de notre époque ne décrit pas véritablement les croyances, il les crée plutôt, il leur impose leurs limites, leurs formes précises et leur relief. »

Et notre ami anglais insiste pour soutenir que tel est précisément la voie de la liberté et d’un authentique libéralisme. Elle passe par cette recherche. Nécessairement  car " il est absurde d'affirmer que l'on défend avant tout la cause de la liberté quand on ne recourt à la libre-pensée que pour détruire le libre arbitre".

 

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