Je vous propose ce soir de vous plonger avec moi dans l’univers de Gilbert K. Chesterton.
À la base de sa réflexion et de sa spiritualité, il y a
ce paradoxe qui revient chez lui comme une constante et qu’il a notamment exprimé ainsi :
« Quand j’étais enfant, on parlait
beaucoup d’hommes de génie à l’étroit ruiné financièrement il était courant de
dire que plus d’un était un grand-aurait-pu-être. Pour moi, il est beaucoup
plus important et surprenant de constater que n’importe quel homme dans la rue
est un aurait-pu-ne-pas-être ».
Toute l’humilité de notre journaliste, poète, romancier et essayiste s’exprime là, dans ce constat que ce qui est aurait pu ne pas être.
De là tout se déroule….
C’est la racine de sa capacité d’émerveillement
devant l’univers, devant la vie, devant sa vie. D’où son humour permanent, sa
joie, sa capacité à rire de tout. Tout est lié.
Il pourra ainsi écrire « vrai ou faux, le monde est
magie ». Accepter qu’il soit magie plutôt que de couper les cheveux en
quatre afin d’essayer de toujours tout comprendre et tout expliquer… souvent en
vain ou de manière futile.
Ce dont il déduit bien sur la nécessité d’un magicien et
cette conclusion : « tout bien terrestre est un vestige qu’il faut
entreposer et conserver, comme une chose sacrée, contre une ruine primordiale
».
Telle fut la voie qui le conduisit à la conversion au
catholicisme. Celui-ci s’est imposé à lui comme une évidence. Tellement évident
qu’il affirmait « je suis l’homme qui a eu la suprême audace de découvrir ce
qui avait déjà été découvert ».
Selon lui la doctrine chrétienne a décelé et dépassé les
singularités de la vie. Elle n’a pas seulement découvert la règle, elle a prévu
les exceptions. La grande affaire de la morale chrétienne a selon lui été la
découverte du nouvel équilibre « les irrégularités exorbitantes s’y
équilibrent parfaitement ». Les accidents apparents s’équilibrent… et voilà
qu’il lance : « Becket portait un cilice sous sa chasuble d’or et de
pourpre, il y aurait beaucoup à dire sur cette association, car Becket
bénéficiait du cilice alors que le peuple bénéficiait de la chasuble d’or et de
pourpre. Cette conduite vaut mieux du moins que celle du millionnaire moderne
qui arbore des habits noirs et ternes pour autrui et garde l’or près de son
cœur » …
Face à la cohérence de cet équilibre entre les « irrégularités
exorbitantes » de la vie Gilbert K. Chesterton constate
qu’il est plus facile d’être un hérétique que de rester catholique. « Il
est toujours facile de laisser une époque n’en faire qu’à sa tête... Il est
toujours facile d’être moderniste de même qu’il est facile d’être noble... Il
eût été simple en effet de tomber dans n’importe lequel de ces pièges béants d’erreur
et d’exagération qui, d’une mode à l’autre, et d’une secte à l’autre, ont
jalonné le chemin historique de la chrétienté ». Voilà qui explique bien
des excès de notre époque.
« Le christianisme est un paradoxe
surhumain par lequel deux passions contraires peuvent s’enflammer l’une à côté
de l’autre ».
Dans l’homme à la
clé d’or son autobiographie Gilbert K. Chesterton nous fait une
confidence magnifique :
« L’idée maîtresse de ma vie je ne dirais pas que c’est
la doctrine que j’ai toujours renseignée, mais que c’est la doctrine que j’aurais
toujours aimé enseigner. Cette idée, c’est d’accepter toute chose avec
gratitude, et non de les tenir pur dues. Ainsi, le sacrement de pénitence donne
une vie nouvelle et réconcilie l’homme avec tout ce qui vit ; mais il ne le
fait pas comme font les optimistes, les hédonistes et les païens qui prêchent
le bonheur. Le don est fait moyennant un certain prix ; il est conditionné par
une confession. En d’autres termes, le nom de ce prix et vérité, qui peut être
appelé aussi réalité ».
Et quand on lui demanda pourquoi il s’était rallié à l’Eglise
de Rome il répondit « pour me débarrasser de mes péchés ».
On comprend mieux l’allusion précédente à la « ruine
primordiale » ...
Revenons à notre point de départ. Chesterton le décline
et le prolonge de différentes manières.
Dans hérétiques
au chapitre consacré à l’institution de la famille et à la conception qu’en ont
certains modernes il souligne le fait que l’on ne choisit pas son prochain. « Nous
faisons nos amis, nous faisons nos ennemis ; mais Dieu fait notre voisin ».
Après avoir écrit « les misanthropes font semblant de mépriser l’humanité
pour sa faiblesse, en réalité ils la haïssent à cause de sa force » !
Et il affirme que nous pouvons choisir de manière
rationnelle d’aimer telles catégories d’êtres humains et que ce choix détermine
notre amour alors qu’à l’inverse « il nous faut aimer notre voisin parce qu’il
est là ». Accepter. Prendre la vie telle qu’elle nous est donnée. Humilité.
S’émerveiller...
« Quand vous avez des groupes d’hommes constitués
par choix rationnel, vous avez une atmosphère spéciale, une atmosphère de
secte. C’est quand vous avez des groupes d’hommes constitués sans choix
rationnel que vous avez des hommes ». Voilà comment pour lui l’aventure
suprême n’est pas de tomber amoureux mais de venir au monde !
Hasard de la naissance… « le meilleur moyen pour un
homme d’éprouver sa faculté de s’accommoder à la diversité commune des humains
serait de descendre par la cheminée dans une maison choisie au hasard et de s’arranger
de son mieux avec les habitants. C’est là essentiellement ce que chacun de nous
a fait le jour de sa naissance » !
Comme je l’ai déjà évoqué dans un précédent billet
Chesterton aime le monde des fées. Celui de la magie ; la magie du monde. Il
explique que cet amour a enraciné chez lui deux convictions. La première est
que notre monde est un lieu sauvage et surprenant qui aurait pu être différent
mais qui, tel qu’il est, s’avère être tout à fait délicieux. La seconde est que
devant cette étrangeté et ses délices on peut rester modeste et se plier aux limitations
d’une bonté aussi bizarre. Et il poursuit « Or j’ai constaté que le monde
moderne tout entier, telle la marée montante, se ruer à l’assaut de mes deux
amours ».
De fait, la modernité n’est pas compatible avec le monde
de Gilbert K. Chesterton, avec sa vision, sa spiritualité, sa philosophie, sa
politique. Il est en réaction à cette modernité naissante qui depuis a envahi
le monde. Comme l’explique Philippe Maxence « pour Chesterton, l’Eglise ne
prône pas et n’a jamais prôné un équilibre pour modérer la vie humaine. Elle a
encouragé au contraire la passion. Et de là est venu l’équilibre. Elle a
encouragé la passion de vivre et la passion de mourir en proclamant qui veut
sauver sa vie la perdra ».
Gilbert K. Chesterton détient une clé en or. À nous de la
saisir, de la comprendre et de nous en pénétrer.
Humilité, émerveillement et passion.
La passion permet de trouver l’équilibre entre les irrégularités
exorbitantes, rationnellement insupportables… Elle donne du sens. Chesterton
peut alors écrire « la foi mua en modération ce choc continu de deux
émotions impétueuses ».
La pensée de Gilbert K. Chesterton, ses paradoxes, ses
aphorismes, ses allitérations, ses boutades, ses pamphlets, ses poèmes, ses
romans, ses essais sont un marchepied qui nous est offert pour essayer d'atteindre l’éternel.
Merci Mr HAWADIER de nous avoir fait découvrir Chesterton.. Quels beaux textes soumis à notre méditation.
RépondreSupprimerAmicalement.