lundi 12 septembre 2022

MON ETE AVEC CHESTERTON (12) : SAINT FRANCOIS D'ASSISE

La biographie de Saint François d’Assise que nous livre Gilbert K. CHESTERTON est bien évidemment atypique ! Nous avons maintenant l’habitude de devoir sortir de nos habitudes avec notre ami anglais.


Cette biographie toute en délicatesse et en mesure –une fois n’est pas coutume ! – est l’occasion pour notre auteur de nous délivrer un certain nombre de messages sur la sainteté, le mysticisme, la louange, etc.

Après avoir longuement insisté sur la nécessité de placer un homme comme François d’Assise dans le contexte historique de son époque pour ne pas apprécier sa vie et son œuvre de manière abstraite au risque d’en perdre le sens, Gilbert K. CHESTERTON nous entraîne dans une méditation sur la sainteté de ce François d’Assise pour lequel il a manifestement une piété toute particulière. Que nous sommes loin de son livre sur Saint Thomas d’Aquin ! Que l’approche et l’accroche en sont différentes…

Je ne vous proposerai pas une analyse de ce livre dont je serais bien incapable. Je me contenterai de vous soumettre quelques idées-forces que j’ai relevées et dont j’ai personnellement fait mon miel.

Tout d’abord une illustration du principe selon lequel le Christ nous demande de nous abaisser pour nous élever dont toute la vie de François d’Assise fut une illustration. Après avoir évoqué les histoires enfantines dans lesquelles on perce un trou imaginaire qui passe par le centre de la terre, il écrit : « Quoi qu’il ait senti d’autre, cela présentait avec l’histoire de l’homme qui perce la terre d’un tunnel cette analogie qu’il s’agissait aussi d’un homme qui descend plus bas, toujours plus bas, jusqu’à un moment mystérieux où il commence à monter plus haut, toujours plus haut. Nous ne sommes jamais montés de cette manière-là, parce que nous ne sommes jamais descendus de cette manière-là. ». Et de rappeler la phrase de Saint-François : « bienheureux celui qui n’attend rien, car il jouira de tout ». Et Gilbert en vient à conclure que « la transformation de l’homme juste en saint est une espèce de révolution, par laquelle celui pour qui tout ce qui existe illustre et illumine Dieu, devient celui pour qui Dieu illustre et illumine tout ce qui existe ». Gilbert nous emmène très loin et très haut…

Un autre thème, celui de la louange. J’avoue qu’il m’en a « bouché un coin » et pourtant c’est tellement évident… Un ami m’avait un peu cloué le bec avec l’hymne de Saint-François d’Assise considérant qu’il s’agissait d’une forme de panthéisme. Gilbert K. CHESTERTON répond : « ainsi s’élève de cet abîme, qui est presque un abîme de néant, cette noble chose que l’on appelle la louange, que nul ne comprendra jamais tant qu’il la confondra avec le culte de la nature ou l’optimisme panthéiste ». Il considère en effet que nous sommes là face à une sorte de poète qui loue réellement la création « dans le sens de l’acte de la création ». « Le mystique, qui remonte jusqu’au moment où il n’y a plus rien que Dieu, contemple en quelque sorte les commencements sans commencement où il n’y avait vraiment rien de plus. Il perçoit non seulement toutes choses, mais le néant d’où toute chose fut tirée ».

Notre relation avec le monde et les choses. « Tous les biens semblent meilleurs quand ils prennent figure de dons. En ce sens il est certain que la méthode mystique nous fournit une très heureuse relation extérieure avec tout ce qui existe ». Et il insiste bien sûr sur le fait que plutôt que d’éloigner l’homme – le mystique – de la réalité, sa vie de prière, sa vie surnaturelle le rapprochent de ce réel, de ce monde, de cette nature, de ces choses qu’il reçoit comme des dons avec esprit de retour… Sauf que « la dette et la dépendance deviennent vraiment des plaisirs en présence de l’amour parfait ; on donne à ce mot un sens trop large et trop impur dans des simplifications vulgaires comme la présente ; mais il est ici véritablement une clef. Il est la clef de tous les problèmes que posent les mœurs franciscaines à un esprit purement moderne ; et par-dessus tout il est la clef de l’ascétisme. Que l’homme qui sait vraiment ne pas pouvoir payer sa dette soit perpétuellement occupé à la payer, c’est le plus noble et le plus sain des paradoxes. Il sera perpétuellement occupé à rendre ce qu’il ne peut pas rendre, et qu’on ne peut pas attendre qu’il rende. Il sera perpétuellement occupé à jeter des biens dans l’abîme sans fond d’une insondable reconnaissance. » Et, pour conclure, une attaque qui démenti la mesure que je croyais avoir identifiée dans ce livre de la part de notre auteur (!) : « les hommes qui se pensent trop modernes pour comprendre cela sont en réalité trop médiocres pour la comprendre ; nous sommes pour la plupart trop médiocres pour la mettre en pratique ».

À ceux qui considéreront qu’un pareil ascétisme est hors de portée des pauvres humains que nous sommes et qu’il y a dans les pratiques sacrificielles chrétiennes de cette nature une forme de masochisme inconciliables avec l’esprit du Christianisme, l’auteur répond : « son ascétisme même était en un sens le comble de l’optimisme. Il exigeait beaucoup de la nature humaine non parce qu’il la méprisait mais bien plutôt parce qu’il avait confiance en elle ». Et il poursuit : « c’était un mystique du grand jour et de la pleine nuit ; ce n’était pas un mystique de la pénombre. Il était le contraire même de cette sorte de visionnaire oriental qui n’est mystique que parce qu’il est trop sceptique pour être matérialiste. Saint-François était expressément réaliste, au sens beaucoup plus exact qu’avait le mot au Moyen Âge. »

S’agissant des miracles qui ont entouré et accompagné la vie de Saint-François-d’Assise mais aussi de ses stigmates qu’il reçut à la fin de sa vie, fidèle à ce que nous avons déjà lu et vu de lui, Gilbert K. CHESTERTON se rebelle contre tout ceux qui prendrait seulement une partie de l’histoire sans cet aspect essentiel de la vie de ce grand saint. Pourquoi trier ? Pourquoi ne pas tout accepter et refuser de prendre en compte ce qui fut attesté par tous ceux qui entourèrent François de son vivant ? Refus donc du doute, du scepticisme, de l’incrédulité qui nous font prendre avec nos pincettes modernistes et rationalistes ce qui n’est pas rationnellement possible. Notre scepticisme moderne, notre doute scientifique, nous font écarter une partie de l’histoire sans autre argument que cette impossibilité scientifique. Nous avons tort. Gilbert insiste.

 

Il est évident pour finir que l’héritage d’une vie comme celle-ci devait nécessairement poser un problème. Que pouvaient devenir les frères mineurs, les franciscains, dans le monde d’après, au cœur de l’Eglise ? Cette succession pouvait être l’occasion de tous les excès. Dans son dernier chapitre Gilbert K. CHESTERTON le met remarquablement en évidence, soulignant à quel point la force et la puissance de l’Eglise fut de savoir donner sa place au mouvement du Poverello tout en le préservant de ses excès ou dérapages. « La question qu’avait à résoudre le pape était celle-ci : la chrétienté absorberait-elle François ou François la chrétienté ? Et sa décision fut juste, outre qu’elle répondait aux devoirs de sa charge ; car l’Eglise pouvait contenir tout ce qui était bon dans les franciscains, et les franciscains ne pouvaient pas contenir tout ce qui était bon dans l’Eglise ». Comment mieux résumer la situation, mettre le mouvement des franciscains dans sa perspective historique, dans sa vie ecclésiale ? Comment mieux souligner le rôle universel de l’Eglise qui a su faire sa place à l’ordre des franciscains avec ses particularités jusque dans les temps modernes…

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