dimanche 30 octobre 2022

HARO SUR LA VENGEANCE.

L'affaire à Roanne d'un père de famille accusé de violences sur l'agresseur sexuel présumé de sa fille nous plonge dans un débat douloureux et difficile sur la vengeance privée.



Haro sur la vengeance! Les médias font l'analyse que nous sommes partagés entre la compréhension de la réaction de ce père confronté à l’agresseur de sa fille et l'indispensable préservation de l'état de droit. Certains commentateurs soulignent que cette affaire ne peut s'expliquer autrement que par la faillite de notre système judiciaire et son trop grand laxisme. Elle survient d'ailleurs quelques jours seulement après l'horrible assassinat de la petite Lola qui pour sa part a mis en accusation le laxisme de notre Etat et de notre justice en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Mais ils concluent par exemple pour le dernier en date dans les colonnes du Figaro : « Il n'existe pas d'alternative à une réforme de la justice, aussi mal en point soit-elle, et dont le fonctionnement est parfois si révoltant. La vengeance privée n'est pas un remède à une justice défaillante, elle est une injustice supplémentaire qui ne fait qu'accélérer la désintégration de l'ordre légal ».https://www.lefigaro.fr/vox/societe/face-aux-defaillances-de-la-justice-l-inquietante-tentation-de-la-vengeance-privee-20221026

Ne s'agit-il pas là d'une fausse alternative ? N'y a-t-il pas erreur sur le diagnostic ?

Michel MAFFESOLI dont j'apprécie toujours les interventions souligne ces derniers temps le fait que les valeurs dont se réclame la société officielle qu'il oppose à la société officieuse relèvent de plus en plus de la seule incantation ; l'incantation étant le fait de chanter quelque chose dont on n'est en réalité pas convaincu et qui en tous les cas n'a plus d'existence concrète réelle. Il en va ainsi de notre gouvernement, et le dernier n'est à cet égard que le fidèle héritier de ses nombreux prédécesseurs, qui ne cesse d'affirmer sa volonté de sévérité mais qui en réalité ne croit pas aux bienfaits de cette dernière et ne met rien en œuvre pour qu'elle se concrétise.

Il est vrai que le seul fait de se rappeler l’avocat que fut notre Garde des Sceaux ne peut que nous convaincre définitivement de ce qu’en la matière la parole publique n’est plus qu'incantatoire.

Ce réveil de la question de la vengeance privée nous renvoie au débat sur le rôle et la fonction de la Justice.

La notion vengeance est-elle inconcevable et à proscrire ? 

Dans son livre « oui à la peine de mort » le révérend père BRUCKBERGER osa affirmer que si nous avons individuellement en tant que victime l'obligation de pardonner nous n'avons pas celle de pardonner à la place des victimes. Il en va selon lui de même pour la société. Les victimes ont le droit d'être vengées et nul ne peut les en priver sauf elles-mêmes au nom du pardon.

Et l'auteur d'affirmer que « le malheur de l'homme moderne, qui le ramène doucement sur le seuil d'une nouvelle barbarie, une barbarie polytechnique, qui n'en fera pas moins de nous des sauvages, c'est que, compliquant tout, il obscurcit tout et qu'il perd le discernement comme on peut perdre le sens de l'équilibre ou celui de l'orientation» ; voilà qui nous renvoie à 40 ans de distance au caractère seulement incantatoire de notre affirmation des valeurs soi-disant fondatrices de notre République parmi lesquelles figure la justice.

Le révérend père BRUCKBERGER remonte à Athènes et nous rappelle qu’ATHENA donna à sa ville la règle d'or suivante :

« Ni anarchie ni tyrannie, telle est la règle que je conseille à mes citoyens de respecter. Mais qu'ils se gardent de bannir de la ville toute crainte, car, sans la crainte, quel est l'humain qui peut demeurer juste ? »

Ensuite de quoi il définit la justice :

« La justice c'est rendre à chacun son dû. Un Etat digne de la souveraineté qu'il détient est celui qui sait récompenser généreusement le mérite, mais qui sait aussi châtier roidement le crime. Telle était la conception de Saint Louis. Récompenser le mérite, c'est la munificence. Châtier le crime, c'est la vengeance. Quand elle est exercée justement et par qui de droit, il n'y a rien de déshonorant dans la vengeance en face du crime, c'est la concrétisation de la justice. C'est quand l'autorité renonce à venger le crime qu'elle se déshonore. Une justice amputée de la vengeance est une balance qui n'aurait à son fléau qu'un seul bras : ce n'est même plus une balance puisqu'il n'y a plus de possibilité de contrepoids. Rêver une justice sans vengeance c'est rêver le cercle carré qui d'ailleurs ne se rêve même pas. On peut rêver une chimère, et bien des peintres s'y sont essayés. Mais aucun peintre n'a jamais dessiné un cercle carré ».

Aborder le problème sous cet angle n'est à l'évidence pas dans l'air du temps. Entretenir la crainte... Concilier justice et vengeance...

La justice se doit-elle d'être ferme, de punir, à la mesure du crime commis ? Certes, l'échelle des peines et le code pénal nous le rappellent de manière formelle. Mais cette exigence n’est plus la priorité. La justice « moderne avancée » se doit d'être éducatrice, d'être un outil de réinsertion. La peine n'est plus considérée comme devant être dissuasive. Le contexte sociétal a évolué. Le délinquant et le criminel sont des victimes. Nous sommes tous collectivement responsables. Si les « officiels » parlent encore de fermeté ce n’est plus que de manière incantatoire. La fermeté n'a plus de sens. Nous n'y croyons plus. On nous inculque l’idée que nous sommes collectivement coupables vis-à-vis des auteurs de crimes ou de délits.

Or la fermeté s'impose au nom des victimes, au nom du trouble insupportable causé à l'ordre public qui justifie la sanction et la dureté de cette dernière.

Ainsi, le mot vengeance n'est pas un gros mot. Il n'est pas incompatible avec la notion de justice. Il n'est pas monstrueux. On ne doit pas en avoir honte. C’est ainsi que la fermeté étant concrètement réinstallée au cœur du fonctionnement de l’institution judiciaire nous pourrons limiter et condamner les réactions intempestives et incontrôlées de certaines victimes comme le père de Roanne.

Nous devons remettre au cœur de notre combat contre la délinquance et le crime l'idée fondamentale et prioritaire que celui qui cause un trouble à l'ordre public doit d'abord être puni à la mesure du trouble qu'il a causé.

Ce sera à cela que nous reconnaîtrons une société officielle qui aura effectivement transformé sa philosophie de la justice et donc du droit et aura placé concrètement au premier rang de ses priorités la nécessité de la sévérité.

Pour conclure j'emprunterai une autre idée à Michel MAFFESOLI. Son analyse de la situation actuelle est que notre imaginaire collectif est en panne, dévitalisé et qu’un autre imaginaire est en gestation. L’imaginaire a un rôle central car comme l’a écrit Max WEBER « on ne peut comprendre le réel qu’à partir de l’irréel ». Gilbert K. CHESTERTON l’a illustré. L'imaginaire actif donne leur sens aux valeurs et aux mots empruntés par le discours officiel, permettant ainsi de bien nommer les choses. Nous avons besoin d’un imaginaire de la fermeté, de la vengeance justifiée et adaptée, du droit des victimes et de la société à cette vengeance. N’en ayons pas peur ! Travaillons-y ! Osons ! Les élites qui tiennent le discours officiel ne sont plus écoutées ni crues…. Il faut secouer le cocotier avant qu’il ne nous secoue lui-même et ne nous jette dans la fracassante explosion de la période en cours que nous n’aurons pas su prévenir, avant que la violence non maîtrisée n'emporte tout sur son passage.

 

 

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