L'affaire à Roanne d'un père de famille accusé de
violences sur l'agresseur sexuel présumé de sa fille nous plonge dans un débat
douloureux et difficile sur la vengeance privée.
Haro sur la vengeance! Les médias font l'analyse que nous sommes partagés entre la compréhension de la réaction de ce père confronté à l’agresseur de sa fille et l'indispensable préservation de l'état de droit. Certains commentateurs soulignent que cette affaire ne peut s'expliquer autrement que par la faillite de notre système judiciaire et son trop grand laxisme. Elle survient d'ailleurs quelques jours seulement après l'horrible assassinat de la petite Lola qui pour sa part a mis en accusation le laxisme de notre Etat et de notre justice en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Mais ils concluent par exemple pour le dernier en date dans les colonnes du Figaro : « Il n'existe pas d'alternative à une réforme de la justice, aussi mal en point soit-elle, et dont le fonctionnement est parfois si révoltant. La vengeance privée n'est pas un remède à une justice défaillante, elle est une injustice supplémentaire qui ne fait qu'accélérer la désintégration de l'ordre légal ».https://www.lefigaro.fr/vox/societe/face-aux-defaillances-de-la-justice-l-inquietante-tentation-de-la-vengeance-privee-20221026
Ne s'agit-il pas là d'une fausse alternative ? N'y a-t-il pas erreur sur le diagnostic ?
Michel MAFFESOLI dont j'apprécie toujours les
interventions souligne ces derniers temps le fait que les valeurs dont se
réclame la société officielle qu'il oppose à la société officieuse relèvent de
plus en plus de la seule incantation ; l'incantation étant le fait de
chanter quelque chose dont on n'est en réalité pas convaincu et qui en tous les
cas n'a plus d'existence concrète réelle. Il en va ainsi de notre gouvernement,
et le dernier n'est à cet égard que le fidèle héritier de ses nombreux
prédécesseurs, qui ne cesse d'affirmer sa volonté de sévérité mais qui en
réalité ne croit pas aux bienfaits de cette dernière et ne met rien en œuvre
pour qu'elle se concrétise.
Il est vrai que le seul fait de se rappeler l’avocat que
fut notre Garde des Sceaux ne peut que nous convaincre définitivement de ce qu’en
la matière la parole publique n’est plus qu'incantatoire.
Ce réveil de la question de la vengeance privée nous renvoie au débat sur le rôle et la fonction de la Justice.
La notion vengeance est-elle inconcevable et à proscrire ?
Dans son livre « oui
à la peine de mort » le révérend père BRUCKBERGER osa affirmer que si
nous avons individuellement en tant que victime l'obligation de pardonner nous
n'avons pas celle de pardonner à la place des victimes. Il en va selon lui de
même pour la société. Les victimes ont le droit d'être vengées et nul ne peut
les en priver sauf elles-mêmes au nom du pardon.
Et l'auteur d'affirmer que « le malheur de
l'homme moderne, qui le ramène doucement sur le seuil d'une nouvelle barbarie,
une barbarie polytechnique, qui n'en fera pas moins de nous des sauvages, c'est
que, compliquant tout, il obscurcit tout et qu'il perd le discernement comme on
peut perdre le sens de l'équilibre ou celui de l'orientation» ; voilà
qui nous renvoie à 40 ans de distance au caractère seulement incantatoire de
notre affirmation des valeurs soi-disant fondatrices de notre République parmi
lesquelles figure la justice.
Le révérend père BRUCKBERGER remonte à Athènes et nous
rappelle qu’ATHENA donna à sa ville la règle d'or suivante :
« Ni anarchie ni tyrannie, telle est la
règle que je conseille à mes citoyens de respecter. Mais qu'ils se gardent de
bannir de la ville toute crainte, car, sans la crainte, quel est l'humain qui
peut demeurer juste ? »
Ensuite de quoi il définit la justice :
« La justice c'est rendre à chacun son dû.
Un Etat digne de la souveraineté qu'il détient est celui qui sait récompenser
généreusement le mérite, mais qui sait aussi châtier roidement le crime. Telle
était la conception de Saint Louis. Récompenser le mérite, c'est la
munificence. Châtier le crime, c'est la vengeance. Quand elle est exercée
justement et par qui de droit, il n'y a rien de déshonorant dans la vengeance
en face du crime, c'est la concrétisation de la justice. C'est quand l'autorité
renonce à venger le crime qu'elle se déshonore. Une justice amputée de la
vengeance est une balance qui n'aurait à son fléau qu'un seul bras : ce n'est
même plus une balance puisqu'il n'y a plus de possibilité de contrepoids. Rêver
une justice sans vengeance c'est rêver le cercle carré qui d'ailleurs ne se
rêve même pas. On peut rêver une chimère, et bien des peintres s'y sont
essayés. Mais aucun peintre n'a jamais dessiné un cercle carré ».
Aborder le problème sous cet angle n'est à l'évidence pas
dans l'air du temps. Entretenir la crainte... Concilier justice et vengeance...
La justice se doit-elle d'être ferme, de punir, à la
mesure du crime commis ? Certes, l'échelle des peines et le code pénal
nous le rappellent de manière formelle. Mais cette exigence n’est plus la
priorité. La justice « moderne avancée » se doit d'être éducatrice, d'être
un outil de réinsertion. La peine n'est plus considérée comme devant être
dissuasive. Le contexte sociétal a évolué. Le délinquant et le criminel sont
des victimes. Nous sommes tous collectivement responsables. Si les « officiels »
parlent encore de fermeté ce n’est plus que de manière incantatoire. La fermeté
n'a plus de sens. Nous n'y croyons plus. On nous inculque l’idée que nous
sommes collectivement coupables vis-à-vis des auteurs de crimes ou de délits.
Or la fermeté s'impose au nom des victimes, au nom du
trouble insupportable causé à l'ordre public qui justifie la sanction et la
dureté de cette dernière.
Ainsi, le mot vengeance n'est pas un gros mot. Il n'est
pas incompatible avec la notion de justice. Il n'est pas monstrueux. On ne doit
pas en avoir honte. C’est ainsi que la fermeté étant concrètement réinstallée
au cœur du fonctionnement de l’institution judiciaire nous pourrons limiter et
condamner les réactions intempestives et incontrôlées de certaines victimes comme
le père de Roanne.
Nous devons remettre au cœur de notre combat contre la
délinquance et le crime l'idée fondamentale et prioritaire que celui qui cause
un trouble à l'ordre public doit d'abord être puni à la mesure du trouble qu'il
a causé.
Ce sera à cela que nous reconnaîtrons une société
officielle qui aura effectivement transformé sa philosophie de la justice et
donc du droit et aura placé concrètement au premier rang de ses priorités la
nécessité de la sévérité.
Pour conclure j'emprunterai une autre idée à Michel MAFFESOLI.
Son analyse de la situation actuelle est que notre imaginaire collectif est en
panne, dévitalisé et qu’un autre imaginaire est en gestation. L’imaginaire a un
rôle central car comme l’a écrit Max WEBER « on ne peut comprendre le
réel qu’à partir de l’irréel ». Gilbert K. CHESTERTON l’a illustré. L'imaginaire actif donne leur sens aux valeurs et aux mots empruntés par le discours officiel,
permettant ainsi de bien nommer les choses. Nous avons besoin d’un imaginaire
de la fermeté, de la vengeance justifiée et adaptée, du droit des victimes et
de la société à cette vengeance. N’en ayons pas peur ! Travaillons-y !
Osons ! Les élites qui tiennent le discours officiel ne sont plus écoutées
ni crues…. Il faut secouer le cocotier avant qu’il ne nous secoue lui-même et
ne nous jette dans la fracassante explosion de la période en cours que nous n’aurons
pas su prévenir, avant que la violence non maîtrisée n'emporte tout sur son passage.
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