dimanche 4 décembre 2022

LES DEPOSSEDES, LES DECLASSES, LES IGNORES, LES MEPRISES...

Je viens de lire le dernier livre de Christophe GUILLUY « les dépossédés ». Il y a beaucoup de leçons à en tirer. Les analyses de cet observateur pointu de la réalité sociale de notre pays devront être prises en considération. Elles sont pleines de beaucoup de vérités. Analyse de ces dépossédés, déclassés, ignorés, méprisés.


L'une de ces vérités est d'insister sur la sécession qui se produit actuellement entre les classes supérieures et le reste de la nation. Les classes supérieures ne sont pas les « ultra riches ». Elles représentent les fameux « CSP + » qui sont l'objet de toutes les attentions et de toutes les convoitises de la part de nos hommes politiques et particulièrement de notre président de la République qui n’hésitait pas le 29 juin 2017 à parler ainsi : « les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Car notre auteur met en évidence que la classe dominante aujourd'hui n'est pas constituée par celle du CAC 40 mais par cette bourgeoisie supérieure qui bénéficie structurellement de l'évolution de notre système social au préjudice de la majorité des déclassés, des dépossédés.

Cette vérité se prolonge par une autre qui retint mon attention. C'est le sous-titre d'une section de l'un des chapitres de son livre « écologiquement responsables, socialement irresponsables ».

Empreinte écologique, empreinte carbone rythment actuellement la vie des entreprises et demain des particuliers. Mais où est l'empreinte sociale ? Qui est devenue la préoccupation sociale ?

Christophe GUILLUY suggère la création d'un label « socioresponsable » au même titre que le label « écoresponsable ».

Je le cite : « on dénonce à juste titre le saccage de l'environnement ; ne serait-il pas temps de mesurer le saccage social de la société ordinaire ? De dresser enfin le véritable bilan social et sociétal des classes supérieures ? ».

Comme il le souligne il est trop facile de dénoncer aujourd'hui les 1% les plus riches comme étant les seuls responsables des désordres économiques et sociaux générés par notre système : « la dénonciation ad nauseam de ce 1% est aujourd'hui LE combat de la bourgeoisie. Subversive et radicale, elle se mobilise, comme Bill Gates pour dénoncer le 1% des riches qui possèdent 40% des richesses et le scandale des 10 plus grandes fortunes mondiales. Question rhétorique : qui ne trouve pas ça scandaleux ? En réalité, ce 1% permet aux catégories supérieures de s’inclure dans la masse des exploités ». Et j'ajoute ... alors qu'ils ne le sont pas.

Comment ne pas rappeler ce que Charles Péguy écrivait en 1913 dans les cahiers de la quinzaine au sujet de la bourgeoisie : « Car on ne saurait trop le redire. Tout le mal est venu de la bourgeoisie. Toute l’aberration, tout le crime. C’est la bourgeoisie capitaliste qui a infecté le peuple. Et elle l’a précisément infecté d’esprit bourgeois et capitaliste. Je dis expressément la bourgeoisie capitaliste et la grosse bourgeoisie. La bourgeoisie laborieuse au contraire, la petite bourgeoisie est devenue la classe la plus malheureuse de toutes les classes sociales, la seule aujourd’hui qui travaille réellement, la seule qui par suite ait conservé intactes les vertus ouvrières, et pour sa récompense la seule enfin qui vive réellement dans la misère. Elle seule a tenu le coup, on se demande par quel miracle, elle seule tient encore le coup, et s’il y a quelque rétablissement, c’est que c’est elle qui aura conservé le statut. » ?

Je pense pour ma part avec Christophe GUILLUY qu'il n'est effectivement pas inutile de développer une exigence écoresponsable mais qu'il est tout aussi indispensable, si ce n'est plus..., de se préoccuper des conséquences sociales des politiques conduites actuellement et depuis des décennies dans notre pays. Les hommes et les femmes ne méritent-ils pas autant d’attention que la nature ?

Notre politique sociale se réduit à celle du carnet de chèque, de la préservation d'un certain nombre d'avantages sociaux mais sans aucunement évaluer les désastres provoqués par le fonctionnement actuel de notre système économique et politique. Le déclassement dénoncé par Christophe GUILLUY, qui est à l'origine de la création de cette catégorie sociale des dépossédés est aujourd'hui considéré comme une forme de déchet inéluctable du ronronnement d'un système qui tente ensuite de se dédouaner avec une redistribution dérisoire, hypocrite et honteuse.

Christophe GUILLUY démontre ensuite que cette situation est aggravée par ce qu'il dénomme le péril de la distanciation sociale. Ses analyses le conduisent à conclure que le conflit entre les classes dominantes et dominées n'a plus de raison d'être puisqu'elles ne se côtoient plus et qu'elles ne se voient plus ensemble. Pour lui « aujourd'hui c'est la mise à distance de l'autre qui assure l'ordre social ». Car « les interactions véritablement sociales se réduisent comme peau de chagrin ». La vie sociale en tant que telle n'existe plus. Nous sommes dans le monde de la distanciation, de la distance à l'autre. Il va jusqu'à écrire qu’« un cordon sanitaire invisible (culturel, politique et géographique) s'est peu à peu mis en place ». Cette distanciation est soulignée par la déclaration ahurissante de la part d’un chef d’Etat que j'évoquais précédemment à l'adresse de ces gens qui réussissent et de ceux qui ne sont rien ; comme en écho aux « sans dents » de François Hollande.

Cet état d'esprit de nos deux derniers Présidents de la République est particulièrement significatif. Il devrait suffire à les décrédibiliser de manière définitive. Indignes !

Christophe GUILLUY clôture son analyse de la première partie de son livre en soulignant que « en se soumettant aux impératifs de la marchandise et uniquement à eux, les classes dominantes et supérieures ont abandonné tout ce qui fait sens dans une société (le bien commun, le service du public, la laïcité, la nation). Le bilan social est aujourd'hui sous nos yeux. »

Le vrai drame de la société actuelle est bien que cette majorité de classes moyennes et inférieures ne sont plus considérés, qu’ils sont ignorés. Et il n'est pas sans intérêt de relever toujours avec notre auteur que l'existence sociale est garantie par l'accès à une fonction sociale et pas à des prestations sociales. Il souligne que le débat sur le revenu universel constitue l'épilogue ultime du long processus de mise à l'écart des classes populaires. Indécent. Méprisant. Condescendant. « Les classes populaires sont réduites, par cette vision comptable, à une masse anomique dont la vie se résumerait aux articles entassés dans leurs caddies ».

Il faut encore ajouter à cela le fait qu’au-delà de l'insécurité sociale les classes populaires souffrent de l'insécurité physique et culturelle. Renvoi à la non-gestion de l’immigration.

J'avoue avoir lu avec délectation la citation de Nassim Nicolas TALEB à propos de l'intellectuel idiot : ces « intellectuels paternalistes diplômés des grandes écoles qui s'arrogent le droit de nous dire ce que nous devons faire, ce que nous devons manger, comment parler, comment penser et pour qui voter mais qui n'ont aucune idée des ressorts de la vie ordinaire ». N'est-ce pas une merveilleuse description de ceux qui nous gouvernent ? Notre énarchie !

Le même thème est abordé par François SUREAU dans son billet du Figaro sur le courage https://www.lefigaro.fr/vox/culture/francois-sureau-qu-est-ce-que-le-courage-20221201: "Arthur Koestler a décrit de manière définitive ces intellectuels qui défailliraient à la vue d'un chien crevé mais parviennent sans effort à justifier les massacres qu'ils ne seront jamais appelés à contempler au nom des chimères dont la poursuite justifie leur rôle public." 

Est-ce un hasard si en conclusion de son livre Christophe GUILLUY cite Michel HOUELLEBECQ alors que je venais précisément de parcourir le dernier numéro de la revue front populaire contenant un dialogue particulièrement intéressant entre notre romancier et Michel ONFRAY ?


Je ne partage pas toutes les analyses de ces deux hommes mais je dois avouer que leurs échanges intelligents et cultivés, affranchis du prêt à penser idéologique du système, permettent eux aussi de mieux comprendre où se trouve la faiblesse de notre système actuel, où le bât blesse. Je ne peux pas en faire le recensement dans ce billet. Je vous invite à le lire même si comme moi vous n'adhérerez pas à tout. Mais qu'il est éclairant d'écouter un philosophe et un romancier à la sensibilité à fleur de peau s'interroger sur les impasses de notre époque, qu'elles soient politiques, démographiques, historiques, religieuses, culturelles, économiques ! Cela part dans tous les sens. Ces deux-là n'ont pas peur des mots. Michel Onfray n'hésite pas à puiser partout les analyses pertinentes et intelligentes même si, pour des raisons qui lui sont personnelles il continue de se bloquer dans son rejet du catholicisme auquel il reconnaît par ailleurs beaucoup d'apports à l'humanité. Quant à Michel Houellebecq il va droit au but, il est cash. Il est terriblement vrai y compris dans sa désespérance. Je ne peux m'empêcher de citer deux de ses formules : « 
c'est plus facile de conduire les peuples avec la haine qu'avec un discours sur la grâce ! » Et encore, à propos de la confrontation avec l'islam, « on ne peut combattre une croyance forte qu'avec une autre croyance forte, c'est à dire une autre religion ».

Leur conclusion renvoie à celle de Christophe GUILLUY.

Michel ONFRAY : « Voilà pourquoi mes amis et moi avons fondé Front Populaire. Pour donner le moyen au peuple de résister à ce MEPRIS. Et je constat que nous marquons des points, que nos idées sont reprises. Nous progressons. On peut y arriver ».

Michel Houellebecq lui répond : « Dieu vous entende, Michel ! ».

Comment saurons-nous répondre collectivement au mépris avec lequel nous sommes gouvernés ? Telle est peut-être la bonne question à se poser !

Pour cela il faudra du courage. Pour conclure écoutons François SUREAU. Il cite CAVAILLES « Les citoyens doivent être gouvernés et dirigés, non pour être des esclaves, mais pour faire librement le meilleur. »Puis il écrit: "Le courage est un saut dans l'inconnu, fait à la lumière incertaine d'une lanterne sourde. Il n'y a plus de prophètes, plus de dogmes, plus de panneaux indicateurs, seulement l'exemple de ceux qui nous ont précédés sur un chemin qui n'en finit pas, dans une pérégrination où s'exprime le meilleur de nous-mêmes. Ceux qui s'y engagent de nos jours, comme nos amis en leur temps, nous ne les connaissons pas. Ils restent pour l'instant invisibles. Certains sont assis aujourd'hui parmi nous. Un jour viendra où l'un de mes successeurs se lèvera pour prononcer leur éloge".

Il nous faudra du courage…

 

1 commentaire:

  1. La dépossession de notre Histoire, de nos racines, de notre culture judéo-chrétienne, de nos frontières (géographiques, morales, sexuées, sociétales…) me semble bien plus grave que toute autre…
    CR

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