Je viens de lire le dernier livre de Christophe GUILLUY « les dépossédés ». Il y a beaucoup de leçons à en tirer. Les analyses de cet observateur pointu de la réalité sociale de notre pays devront être prises en considération. Elles sont pleines de beaucoup de vérités. Analyse de ces dépossédés, déclassés, ignorés, méprisés.
L'une de ces vérités est d'insister sur la sécession qui
se produit actuellement entre les classes supérieures et le reste de la nation.
Les classes supérieures ne sont pas les « ultra riches ». Elles représentent
les fameux « CSP + » qui sont l'objet de toutes les attentions et de
toutes les convoitises de la part de nos hommes politiques et particulièrement
de notre président de la République qui n’hésitait pas le 29 juin 2017 à parler
ainsi : « les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien
». Car notre auteur met en évidence que la classe dominante aujourd'hui n'est
pas constituée par celle du CAC 40 mais par cette bourgeoisie supérieure qui
bénéficie structurellement de l'évolution de notre système social au préjudice
de la majorité des déclassés, des dépossédés.
Cette vérité se prolonge par une autre qui retint mon
attention. C'est le sous-titre d'une section de l'un des chapitres de son livre
« écologiquement responsables,
socialement irresponsables ».
Empreinte écologique, empreinte carbone rythment
actuellement la vie des entreprises et demain des particuliers. Mais où est
l'empreinte sociale ? Qui est devenue la préoccupation sociale ?
Christophe GUILLUY suggère la création d'un label « socioresponsable »
au même titre que le label « écoresponsable ».
Je le cite : « on dénonce à juste titre le
saccage de l'environnement ; ne serait-il pas temps de mesurer le saccage
social de la société ordinaire ? De dresser enfin le véritable bilan social et
sociétal des classes supérieures ? ».
Comme il le souligne il est trop facile de dénoncer
aujourd'hui les 1% les plus riches comme étant les seuls responsables des
désordres économiques et sociaux générés par notre système : « la
dénonciation ad nauseam de ce 1% est aujourd'hui LE combat de la bourgeoisie.
Subversive et radicale, elle se mobilise, comme Bill Gates pour dénoncer le 1%
des riches qui possèdent 40% des richesses et le scandale des 10 plus grandes
fortunes mondiales. Question rhétorique : qui ne trouve pas ça scandaleux ? En
réalité, ce 1% permet aux catégories supérieures de s’inclure dans la masse des
exploités ». Et j'ajoute ... alors qu'ils ne le sont pas.
Comment ne pas rappeler ce que Charles Péguy écrivait en
1913 dans les cahiers de la quinzaine au sujet de la bourgeoisie : « Car
on ne saurait trop le redire. Tout le mal est venu de la bourgeoisie. Toute
l’aberration, tout le crime. C’est la bourgeoisie capitaliste qui a infecté le
peuple. Et elle l’a précisément infecté d’esprit bourgeois et capitaliste. Je
dis expressément la bourgeoisie capitaliste et la grosse bourgeoisie. La
bourgeoisie laborieuse au contraire, la petite bourgeoisie est devenue la
classe la plus malheureuse de toutes les classes sociales, la seule aujourd’hui
qui travaille réellement, la seule qui par suite ait conservé intactes les
vertus ouvrières, et pour sa récompense la seule enfin qui vive réellement dans
la misère. Elle seule a tenu le coup, on se demande par quel miracle, elle
seule tient encore le coup, et s’il y a quelque rétablissement, c’est que c’est
elle qui aura conservé le statut. » ?
Je pense pour ma part avec Christophe GUILLUY qu'il n'est
effectivement pas inutile de développer une exigence écoresponsable mais qu'il
est tout aussi indispensable, si ce n'est plus..., de se préoccuper des
conséquences sociales des politiques conduites actuellement et depuis des
décennies dans notre pays. Les hommes et les femmes ne méritent-ils pas autant
d’attention que la nature ?
Notre politique sociale se réduit à celle du carnet de
chèque, de la préservation d'un certain nombre d'avantages sociaux mais sans
aucunement évaluer les désastres provoqués par le fonctionnement actuel de
notre système économique et politique. Le déclassement dénoncé par Christophe GUILLUY,
qui est à l'origine de la création de cette catégorie sociale des dépossédés est
aujourd'hui considéré comme une forme de déchet inéluctable du ronronnement
d'un système qui tente ensuite de se dédouaner avec une redistribution
dérisoire, hypocrite et honteuse.
Christophe GUILLUY démontre ensuite que cette situation
est aggravée par ce qu'il dénomme le péril de la distanciation sociale. Ses
analyses le conduisent à conclure que le conflit entre les classes dominantes
et dominées n'a plus de raison d'être puisqu'elles ne se côtoient plus et
qu'elles ne se voient plus ensemble. Pour lui « aujourd'hui c'est la
mise à distance de l'autre qui assure l'ordre social ». Car « les
interactions véritablement sociales se réduisent comme peau de chagrin ».
La vie sociale en tant que telle n'existe plus. Nous sommes dans le monde de la
distanciation, de la distance à l'autre. Il va jusqu'à écrire qu’« un
cordon sanitaire invisible (culturel, politique et géographique) s'est peu à
peu mis en place ». Cette distanciation est soulignée par la
déclaration ahurissante de la part d’un chef d’Etat que j'évoquais précédemment
à l'adresse de ces gens qui réussissent et de ceux qui ne sont rien ; comme
en écho aux « sans dents » de François Hollande.
Cet état d'esprit de nos deux derniers Présidents de la
République est particulièrement significatif. Il devrait suffire à les
décrédibiliser de manière définitive. Indignes !
Christophe GUILLUY clôture son analyse de la première
partie de son livre en soulignant que « en se soumettant aux
impératifs de la marchandise et uniquement à eux, les classes dominantes et
supérieures ont abandonné tout ce qui fait sens dans une société (le bien
commun, le service du public, la laïcité, la nation). Le bilan social est
aujourd'hui sous nos yeux. »
Le vrai drame de la société actuelle est bien que cette
majorité de classes moyennes et inférieures ne sont plus considérés, qu’ils
sont ignorés. Et il n'est pas sans intérêt de relever toujours avec notre auteur
que l'existence sociale est garantie par l'accès à une fonction sociale et pas
à des prestations sociales. Il souligne que le débat sur le revenu universel
constitue l'épilogue ultime du long processus de mise à l'écart des classes
populaires. Indécent. Méprisant. Condescendant. « Les classes
populaires sont réduites, par cette vision comptable, à une masse anomique dont
la vie se résumerait aux articles entassés dans leurs caddies ».
Il faut encore ajouter à cela le fait qu’au-delà de
l'insécurité sociale les classes populaires souffrent de l'insécurité physique
et culturelle. Renvoi à la non-gestion de l’immigration.
J'avoue avoir lu avec délectation la citation de Nassim
Nicolas TALEB à propos de l'intellectuel idiot : ces « intellectuels
paternalistes diplômés des grandes écoles qui s'arrogent le droit de nous dire
ce que nous devons faire, ce que nous devons manger, comment parler, comment
penser et pour qui voter mais qui n'ont aucune idée des ressorts de la vie
ordinaire ». N'est-ce pas une merveilleuse description de ceux qui
nous gouvernent ? Notre énarchie !
Le même thème est abordé par François SUREAU dans son billet du Figaro sur le courage https://www.lefigaro.fr/vox/culture/francois-sureau-qu-est-ce-que-le-courage-20221201: "Arthur Koestler a décrit de manière définitive ces intellectuels qui défailliraient à la vue d'un chien crevé mais parviennent sans effort à justifier les massacres qu'ils ne seront jamais appelés à contempler au nom des chimères dont la poursuite justifie leur rôle public."
Est-ce un hasard si en conclusion de son livre Christophe
GUILLUY cite Michel HOUELLEBECQ alors que je venais précisément de parcourir le
dernier numéro de la revue front
populaire contenant un dialogue particulièrement intéressant entre notre
romancier et Michel ONFRAY ?
Leur conclusion renvoie à celle de Christophe GUILLUY.
Michel ONFRAY : « Voilà pourquoi mes amis
et moi avons fondé Front Populaire. Pour donner le moyen au peuple de résister
à ce MEPRIS. Et je constat que nous marquons des points, que nos idées sont
reprises. Nous progressons. On peut y arriver ».
Michel Houellebecq lui répond : « Dieu vous
entende, Michel ! ».
Comment saurons-nous répondre collectivement au mépris
avec lequel nous sommes gouvernés ? Telle est peut-être la bonne question
à se poser !
Pour cela il faudra du courage. Pour conclure écoutons François SUREAU. Il cite CAVAILLES « Les citoyens doivent être gouvernés et dirigés, non pour être des esclaves, mais pour faire librement le meilleur. »Puis il écrit: "Le courage est un saut dans l'inconnu, fait à la lumière incertaine d'une lanterne sourde. Il n'y a plus de prophètes, plus de dogmes, plus de panneaux indicateurs, seulement l'exemple de ceux qui nous ont précédés sur un chemin qui n'en finit pas, dans une pérégrination où s'exprime le meilleur de nous-mêmes. Ceux qui s'y engagent de nos jours, comme nos amis en leur temps, nous ne les connaissons pas. Ils restent pour l'instant invisibles. Certains sont assis aujourd'hui parmi nous. Un jour viendra où l'un de mes successeurs se lèvera pour prononcer leur éloge".
Il nous faudra du courage…
La dépossession de notre Histoire, de nos racines, de notre culture judéo-chrétienne, de nos frontières (géographiques, morales, sexuées, sociétales…) me semble bien plus grave que toute autre…
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