Dans les premières pages DES GRANDS CIMETIERES SOUS LA LUNE Bernanos nous propose une critique ébouriffante de la bourgeoisie et par là-même de notre système économique et de leurs origines.
Il faut, pour le bien comprendre, avoir à l'esprit qu'il
avait une grande admiration pour le moyen-âge : « les hommes du
moyen-âge n'étaient ni très pitoyables, ni très chastes, mais il ne serait venu
à l'esprit d'aucun d'entre eux d'honorer la luxure ou la cruauté à l'exemple
des anciens, de leur dresser des autels. Ils assouvissaient leur passion, ils
ne les divinisaient pas ».
Le révérend père Bruckberger nous explique que le
reproche que Bernanos fait à la bourgeoisie n'est pas de s'être servi de
l'argent, c'est de s'y être asservie, d'avoir abandonné comme règle suprême de
l'action le sermon sur la montagne et les béatitudes, qui jusqu'alors avaient
formé les consciences pour les remplacer par la loi impitoyable du profit
immédiat, de l'enrichissement, sans autre considération divine ou humaine.
Déracinement. Culte de l'argent. Perte de la
conscience.
« Il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais une
légitimité de l'argent ». « La puissance de l'argent s'oppose à la
puissance de Dieu ». Plus loin Bernanos explique qu’en « des
temps lointains les hommes d'argent exploitaient le monde au hasard
d'expéditions fructueuses, ils ne l'organisaient pas. Les hommes du moyen-âge
n'étaient pas assez vertueux pour dédaigner l'argent, mais ils méprisaient les
hommes d'argent ».
Or c’est la bourgeoisie qui incarne le rôle nouveau de l’argent
dans la société.
La bourgeoisie va introduire les notions de droite et de gauche qui n’existaient pas auparavant, après s'être approprié le phénomène révolutionnaire dont Georges Bernanos considéra qu'il aurait pu être bénéfique s'il n'avait pas été détourné de son esprit initial.
Comme l'analyse le révérend père Bruckberger, dans
pour notre auteur « notre Révolution française est petite-fille légitime de la Renaissance. L'absurdité du maurrassisme est de maudire la Révolution française en refusant d'étendre cette malédiction et à notre âge classique, et à la renaissance qu'il a engendrée ». Il se place ainsi dans le prolongement des analyses de Taine... Bernanos et Péguy avaient lu monsieur Taine ils avaient lu aussi Michelet, mais leur génie et la grâce qui leur fut donnée approfondissaient singulièrement ce qu'ils avaient lu ». Plus loin « la perception qu'avait Bernanos du destin français était bien celle-ci cependant, il l'a dit clairement ici ou là à diverses reprises. Cela apparaît de façon éclatante dans l'édition nouvelle et complète du CHEMIN DE LA CROIX DES AMES où, page 777 et 778, il définit la généalogie des démocraties totalitaires, fait remonter cette généalogie jusqu'aux monarchies de droit divin, à l'engouement absurde de tout le monde intellectuel pour le droit Romain, qui a servi d'instrument privilégié à nos rois et à la bourgeoisie pour confisquer nos antiques libertés au profit de l’état ».Et Bernanos écrit tout naturellement : « Il
y a une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite. Il n'y a pas de
peuple de gauche ou de peuple de droite, il n'y a qu'un peuple ». Il
est vrai qu’il se faisait une idée du peuple qui n'était pas, pour reprendre
son mot, d'ordre démocratique. La démocratie étant pour lui une invention
d'intellectuels... (cf. mon précédent billet). Ce peuple dont il écrit « qu’il
donne à chaque patrie son type original » alors que tel n'est pas le cas
des élites. Et il insiste « on ne refera pas la France par les élites, on
la refera par la base ».
Ce qui est extraordinaire avec un écrivain comme Bernanos
c'est la fulgurance de ses analyses qui remontent si loin - de manière
excessive, caricaturale ?... N’est-ce pas leur mérite ? - que l'on en
vient naturellement aux causes premières, fondamentales, essentielles. C'est
ainsi qu'il évoque les hasards de l'anarchie économique qui ont transformé
notre système et par exemple ont dénaturé le négoce qui pouvait à l'origine
être un art et qui aujourd'hui ne l'est plus : « aujourd'hui n'importe
quel va-nu-pieds peut se vanter d'appartenir à la Corporation pourvu que
locataire d'une boutique, il s'inscrive comme 10e ou 20e intermédiaire entre
l'industriel qui se ruine pour produire à bas prix et le chaland imbécile dont
le destin est de se faire voler ». Une fois encore l'écrivain se
transforme en visionnaire quelques décennies avant même que ce qu'il dénonçait
ne se répande et ne se vulgarise dans notre société. Il dénonce l'absurde
prestige du commerce qu'il oppose aux intermédiaires épuisant la substance du
peuple comme des poux. « Ne trouvez-vous pas inique que le dernier
imbécile venu, pourvu qu'il ait les moyens de payer patente, puisse se
considérer comme socialement supérieur au premier, parce qu'il prélève encore
un bénéfice sur une marchandise, dont le prix initial, trop réduit par rapport
à l'énorme surcharge des commissions, finira par ne plus entrer en
compte ? ».
Et le révérend père Bruckberger de conclure : « Bernanos
avait prévu que le discours politique allait s'abaisser de plus en plus au
terme de l'économie, et que les chefs politiques se mettraient à parler de la
France, ainsi qu'un fermier parle de son plus bas bétail : pourvu qu'il
grandisse ! pourvu qu'il grossisse ! Pourvu qu'ils prennent du poids ! »
Les dernières paroles prononcées en public par Bernanos au
Brésil, avant qu'il revienne en France après la guerre, et qu'il termine son
livre LE CHEMIN DE LA CROIX DES AMES furent terribles : « la masse
a le poids ; l'argent, la puissance. Je comprends très bien qu'on prétend
dresser la masse contre l'argent. Mais la masse reste la masse ; et
l'argent, sous une forme ou sous une autre, l'argent. Que m'importe le choc de
ces monstres ? ils survivront à tout. C'est la liberté qui va périr ! ».
Voilà qui nous fait réfléchir et qui peut nous aider à
comprendre pourquoi nous avons l’impression de vivre la fin d’une époque...
Les bourgeois, c’est comme les cochons ?
RépondreSupprimerEn tout cas prisonniers de l’argent et étrangers à l’honneur…
CR